Décédé le 10 décembre dernier, le philosophe allemand Robert Spaemann a produit une Å“uvre décisive et importante qui n’est pourtant pas assez connue en France malgré la traduction de plusieurs de ses ouvrages. En forme d’hommage, L’Homme Nouveau republie plusieurs articles parus à l’origine dans sa version papier, à travers deux dossiers qui avaient été consacrés à cet homme humble, animé d’une foi vigoureuse.
Le livre Les Personnes de Robert Spaemann est construit comme une réponse aux thèses du philosophe australien Peter Singer. Connu pour son engagement en faveur des droits des animaux, Peter Singer est convaincu que les hommes ne sont pas tous des personnes. Pour Singer, seuls les hommes qui ont une conscience de soi sont des personnes, ce qui lui permet de dénier la qualité de personnes aux jeunes enfants, aux débiles profonds mais aussi aux hommes atteints de sénilité ou aux handicapés mentaux. Pour Singer la vie d’un grand singe a plus de valeur que celle d’un petit enfant. Quant au fait de dire qu’hommes et animaux ont même dignité, tout cela n’est qu’anthropocentrisme et spécisme.
Tous les hommes sont-ils des personnes ?
La question de fond est finalement celle de la possibilité ou non d’évaluer la qualité d’une vie humaine, avec à la clé la possibilité d’y mettre fin que ce soit par l’euthanasie, l’eugénisme ou l’avortement. Si l’on met de côté le chapitre conclusif du livre de Robert Spaemann, en forme de réponse à Peter Singer (« Tous les hommes sont-ils des personnes ? »), le texte français se présente comme une tentative de ré-explicitation et de ré-expérimentation du concept de personne et des rapports entre personnes après le désastre opéré par la déconstruction moderne.
Spaemann dénonce évidemment l’utilitarisme grossier qui fait que l’individu voit dans l’autre un objet et un moyen et non une autre personne. Il montre comment la personne se déploie dans le champ social faisant qu’il n’y a de personne qu’au pluriel. La reconnaissance de l’autre comme personne avec les droits et les devoirs qui vont de pair, la promesse comme engagement réciproque d’une personne envers une autre, la pratique du pardon sont les éléments clés pour restaurer un lien social authentique. Le pardon évite d’enfermer l’homme dans un acte passé et reconnaît à l’autre la possibilité de changer. La promesse et la fidélité à celle-ci sont source de confiance et d’amitié puisqu’elles engagent irrémédiablement.
Une œuvre éducatrice
Chaque chapitre peut se lire de manière indépendante. Spaemann traite de thèmes aussi variés que la liberté, la reconnaissance, la conscience morale, la religion ou encore les âmes. Dans le chapitre central qui traite de l’être des sujets, Spaemann pointe la déconstruction de la personne à l’époque moderne (Descartes, Locke, Hume). Concernant la conÂscience, Spaemann rappelle la doctrine la plus classique, mais il l’exprime de manière pédagogique pour qu’elle puisse être reçue par nos contemporains. En cela, il fait Å“uvre éducatrice et son exemple devrait être médité quand on songe au mur d’incommunicabilité qui domine l’époque actuelle.
Dans le chapitre traitant de la reconnaissance, Spaemann aborde les conséquences de la dépersonnalisation du politique et ce passage mériterait certainement un plus long développement tant les enjeux sont importants. La légitimité du pouvoir politique tient selon Spaemann à deux éléments: d’une part, l’affirmation de son caractère politique, c’est-à -dire le fait que le pouvoir exige la loyauté des personnes ; d’autre part, le fait d’être une institution de droit. Spaemann pense que ces deux conditions ont disparu entraînant de ce fait une forme d’illégitimité du pouvoir. Tout est dit en quelques pages et le reste est à décider en prudence…
Cet article a été publié initialement dans le numéro 1477 de L’Homme Nouveau
Robert Spaemann, Les Personnes, Essai sur la différence entre « quelque chose » et « quelqu’un », Cerf, 368 p., 39 €.
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