> Éditorial de Maitena Urbistondoy
Le 17 juillet 1794, seize carmélites du couvent de Compiègne montaient à l’échafaud, leurs chants sacrés s’élevant au-dessus des clameurs révolutionnaires. Leur canonisation équipollente, annoncée en décembre dernier, est une reconnaissance de leur foi héroïque et de leur courage face à l’injustice. Elles ont incarné l’amour parfait. Cependant, leur exemple ne doit pas devenir une norme. La grandeur du martyre est, au-delà d’une épreuve terrible pour l’individu, un drame pour la société.
Le sujet reste malheureusement d’actualité, la persécution religieuse demeure une réalité contemporaine. Le rapport de l’ONG « Portes Ouvertes » révèle que plus de 360 millions de chrétiens dans le monde subissent des discriminations ou des violences graves.
Cette persécution prend des formes variées : en Afrique subsaharienne, des groupes terroristes incendient des églises et massacrent des croyants ; en Chine, le gouvernement surveille étroitement les pratiques religieuses et arrête les fidèles ; au Nicaragua, l’Église catholique a été la cible de plus de 870 attaques recensées depuis 2018. Des prêtres sont expulsés, des séminaires fermés, et les fidèles subissent des intimidations constantes. Cette souffrance, bien que dramatique, est trop souvent accueillie avec indifférence, voire résignation.
Une atteinte à la justice
Cette banalisation de la persécution est un poison. Comme l’écrivait saint Pie X dans l’encyclique Une fois encore (1907) : « La persécution en soi c’est le mal car elle est l’injustice et qu’elle empêche l’homme d’adorer Dieu en liberté. » La foi chrétienne, bien qu’elle triomphe des pires épreuves, ne peut durablement s’épanouir dans un contexte d’oppression. Si elle peut sanctifier, la persécution reste une atteinte à la justice.
Georges Bernanos, dans Dialogues des Carmélites, met en lumière la tension entre peur et foi à travers les paroles de sœur Blanche : « Il n’y a jamais eu qu’un seul matin : celui de Pâques. Mais chaque nuit où l’on entre est celle de la Très Sainte Agonie. » Cette citation illustre le combat intérieur des martyrs entre peur humaine et foi surnaturelle.
Le Catéchisme de saint Pie X rappelle que le martyre est un témoignage suprême de foi : « La vérité de la doctrine chrétienne est démontrée […] par la force héroïque des martyrs. » Toutefois, il demeure la nécessité de structures solides pour permettre aux chrétiens de vivre leur foi sans contrainte.
Certains prônent des foyers locaux de chrétienté, qui deviennent des refuges de foi et de culture dans un monde hostile. Cette approche est précieuse pour conserver les traditions et offrir des lieux de réconfort spirituel. Mais ces enclaves ne sauraient suffire à long terme. La chrétienté ne peut s’épanouir durablement que dans un cadre institutionnel et social permettant de témoigner publiquement de la foi et d’en transmettre les valeurs.
Les martyres de Compiègne n’ont pas empêché la France de sombrer dans le chaos révolutionnaire. Aujourd’hui, sans effort collectif pour bâtir un ordre social juste, combien de vocations se perdent dans des contextes où la foi exige un héroïsme permanent ?
Union et action
Saint Pie X, dans Une fois encore, invite les chrétiens à lutter contre la sécularisation par l’union et l’action : « Cette double union vous rendra invincibles, et contre elle tous les efforts se briseront. » Il ne suffit pas d’honorer les martyrs ou de préserver des enclaves spirituelles ; il faut travailler à un ordre politique imprégné de valeurs chrétiennes. La civilisation chrétienne n’est pas une utopie, mais une nécessité pour bâtir un monde véritablement humain.
Laisser disparaître la chrétienté serait une injustice non seulement envers les croyants, mais envers toute l’humanité. Car la civilisation chrétienne, loin d’être un luxe spirituel, est le socle où justice et charité peuvent véritablement se rencontrer. Elle est une réponse concrète aux questions fondamentales sur le bien commun.
C’est pourquoi les chrétiens ne doivent pas céder à la tentation du repli ou à la résignation. Ils sont appelés à agir pour offrir un cadre social juste et stable, où la foi peut être vécue sans contrainte.
Le martyre des carmélites nous interpelle : sommes-nous prêts à construire une société où de tels sacrifices ne seraient plus nécessaires ? Le règne social du Christ est un devoir. Les martyres de Compiègne, par leur oblation, témoignent de la puissance de la foi. À nous de répondre par l’action, pour que justice, charité et vérité règnent en harmonie.
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