Introit : Dicit Dominus

Publié le 14 Nov 2015
La pause liturgie | Offertoire Sanctificavit (24ème dimanche ordinaire

Introït Dicit Dominus (33ème dimanche ordinaire ou 23ème dimanche après la Pentecôte)

« Mes pensées sont des pensées de paix et non d’affliction, dit le Seigneur ; vous m’invoquerez et je vous exaucerai, et de tous les pays où vous êtes captifs je vous rassemblerai. Tu as béni ton pays, Seigneur ; tu as fait revenir Jacob de captivité ». (Jérémie, 29, 11, 12, 14 ; Psaume 84, 1)

Commentaire spirituel

C’est le dernier chant d’entrée de l’année liturgique. Il clôt la série des dimanches après la Pentecôte selon la forme extraordinaire ; et il n’est suivi que de l’introït de la messe du Christ-Roi dans la liturgie selon la forme ordinaire. C’est donc un chant de fin de cycle, un chant de fin d’année, un chant du soir. C’est aussi un chant d’amour, un chant d’espérance, qui nous ouvre la perspective finale de l’histoire de l’humanité, comme de l’histoire de nos âmes.

Ce chant d’entrée emprunte son texte au langage prophétique. C’est le prophète Jérémie qui est ici utilisé, le prophète du cœur de Dieu. On a vu, tout au long de l’année, que les introïts sont le plus souvent des versets de psaumes. Le Psautier est en effet par excellence le recueil des prières inspirées. Rares sont les exceptions à cette règle qui n’a d’ailleurs rien de systématique. Mais ces quelques exceptions prennent alors d’autant de plus de valeur et de signification. Notre chant d’entrée nous délivre, en l’occurrence, un message essentiel : celui de l’attention jalouse avec laquelle le Seigneur prend soin de ses fidèles. L’Église, en choisissant ce texte issu des écrits de ce prophète, et en lui donnant explicitement cette place sur le calendrier, nous dit quelque chose qui nous touche, quelque chose qui concerne toute la prière de l’année écoulée et nous oriente vers le ciel. À la fin du cycle, elle laisse parler Dieu, ou plus exactement elle le rejoint dans ses pensées intimes, et ses pensées sont des pensées de paix, non des pensées d’affliction. On pourrait en douter en considérant l’amoncellement des fléaux de toutes sortes qui ont frappé l’humanité tout au long de son histoire, et qui continuent de l’accabler de nos jours, dans une sorte de crescendo dramatique. Oui, on pourrait douter de l’amour du Bon Dieu pour nous et c’est pourquoi l’Église nous redit ces paroles réconfortantes : les pensées de Dieu sont des pensées de paix, non des pensées d’affliction. Merveilleuse certitude puisée au cœur d’un message prophétique inspiré.

Le texte de notre chant d’entrée exprime la pensée de Dieu. C’est un secret d’amour. Le pluriel (mes pensées) ne doit pas nous tromper : Dieu n’a jamais eu qu’une pensée, il n’est pas sujet au changement d’humeur, à la versatilité. Ses pensées sont une seule pensée, de toute éternité, et cette unique pensée, c’est son Verbe, son Fils, cette pensée de Dieu qui s’est incarnée, qui est pour nous devenue chair. Le Christ est l’unique et éternelle pensée de Dieu. Le Christ   est devenue pour nous une pensée de paix, non une pensée d’affliction, une pensée d’amour qui rayonne et illumine l’humanité tout entière, en amont comme en aval. L’Incarnation est le moment central de l’histoire, et c’est un moment tout imprégné d’amour et de tendresse, un moment de joie, un moment très humain et tout divin, un moment qui a la simplicité d’un cœur virginal devenu maternel. Les bras de Marie enserrent cette pensée de Dieu, contribuent à la façonner pour nous, pour qu’elle soit humainement aussi une pensée de paix. Le Christ et la Vierge ont pris sur eux l’affliction qui résulte du péché, ils ont assumé l’affliction de toute l’humanité, et ils nous ont donné en échange, à travers le mystère de Noël, la paix de Dieu. Voilà ce que nous dit ce chant d’entrée. Au terme de l’année liturgique, nous sommes reconduits vers l’événement qui l’inaugure et qui va occuper notre cœur dès le début de la nouvelle année liturgique qui va s’ouvrir. Mais nous sommes conduits aussi vers l’aboutissement de toute l’histoire, vers le ciel. Ce chant est aussi un chant eschatologique, il nous parle des fins dernières. La pensée de Dieu, le Christ, est aussi la pensée ultime. La paix nous attend pour l’éternité. Le ciel est notre véritable patrie, le lieu définitif et comblant qui nous attend tous au soir de notre vie. Le mystère de la mort est un mystère de rassemblement des élus dans le sein de Dieu. Notre introït nous parle de l’exil, de la captivité qui est celle du péché. Dieu nous arrache par tous les secours de sa grâce au dur esclavage du démon et des vices, il nous ouvre l’horizon de la liberté. Là nos prières seront exaucées parce qu’elles proviendront enfin d’un cœur pur, parfaitement adapté au bon vouloir divin. « Vous m’invoquerez et je vous exaucerai, et je vous rassemblerai de tous les lieux où vous êtes retenus captifs ». L’immense pèlerinage des générations en route vers le ciel et à la suite du Christ, voilà ce que chante, en définitive, ce chant d’entrée grandiose.

Commentaire musical

Dicit Dominus

L’introït est constitué de trois phrases mélodiques. La première phrase exprime la pensée de Dieu, pensée de paix et non d’affliction ; la seconde phrase traduit la prière exaucée de ceux qui invoqueront le Seigneur ; la troisième, enfin, chante le retour de l’exil, œuvre du Seigneur lui-même.

Le mode utilisé par le compositeur est le 6ème mode. C’est le mode de l’enfance spirituelle, le mode de la simplicité. Il donne une grâce particulière à ce chant plutôt solennel qui commence à la façon des oracles prophétiques : « Voici ce que dit le Seigneur… ». L’intonation se situe d’ailleurs au grave ce qui renforce l’idée de solennité. Il faut pourtant la donner dans un tempo léger, surtout à partir de Dominus où l’on se campe sur la note Fa, tonique du 6ème mode. La première incise touche juste le Sol. La seconde, sur ego cogito, touche le La (avec un bel accent sur cogito) et se termine sur une note longue sur laquelle il faut amorcer un crescendo sans détriment pour la légèreté du tempo. La douceur légère de la mélodie est de bonne augure sur la teneur des pensées du Seigneur, on est d’emblée en confiance, grâce à la mélodie. Il s’en dégage une atmosphère de bonté. Le Seigneur qui parle est un Père aimant. Le mot cogitationes commence exactement comme l’intonation sur dicit Dominus. Mais bientôt, la mélodie quitte son modèle initial et s’échappe vers les sommets. La finale du mot cogitationes amorce un second crescendo qui lui devra être plus puissant puisqu’il va nous conduire cette fois jusqu’au sommet de cette première phrase, sur le mot pacis. Bien soulever l’accent de pacis qui porte l’intensité, et atteindre le sommet en douceur, ce qui ne veut pas dire avec de la faiblesse dans la voix, au contraire. Tout ce passage allie douceur et fermeté. On sent l’assurance du Père qui se transmet à ses enfants. Une fois atteint le sommet, on redescend en élargissant un peu le tempo jusqu’à la finale du mot pacis. Puis, sur et non afflictionis, on reprend du mouvement, à partir du Fa, pour repartir vers le Do aigu. On peut noter au passage le Si bémol qui convient assez bien au mot qui traduit la tristesse, l’affliction. Puis la mélodie revient se fixer sur le Fa, après une lente descente entrecoupée de légères remontées. L’atmosphère de toute cette première phrase est joyeuse, réconfortante. On sent la paix qui passe du cœur puis des lèvres du Seigneur, sur les lèvres puis dans le cœur de l’Église.

La seconde phrase prend un caractère plus solennel. C’est comme un engagement du Seigneur : « Vous m’invoquerez et moi je vous exaucerai ». La mélodie est à nouveau attirée, mais très vite cette fois, vers le Do aigu. Je remarque l’unique petite note Fa sur me. Le Seigneur parle de lui avec beaucoup d’humilité. Un peu plus loin, sur ego, on a aussi une grande sobriété mélodique. L’accent du mot ego est juste soulevé par un Sol et c’est tout. Par contre les deux verbes qui expriment l’action des fidèles et celle de Dieu, sont très développés. Sur exaudiam, on retrouve le Si bémol avec cette fois une note de tendresse. Les Si bémols se multiplient d’ailleurs sur ce mot. C’est la grande complaisance attendrie du Seigneur à l’égard de ceux qui l’invoquent et mendient son amour. Cette deuxième phrase se termine en une cadence su Sol. C’est un changement modal, alors que tout le reste de la pièce est bien uni de ce point de vue. Mais ce Sol veut dire quelque chose. Le mode de Sol, c’est le mode de la certitude, le mode solennel. Dieu assure ses enfants de son écoute attentive et de sa fidélité à opérer le bien qui leur convient.

La troisième phrase commence sur une sorte de récitatif sur le Fa (à part le petit accent de reducam bien mis en valeur). Tout ce passage est très léger, on est en plein 6ème mode. On imaginerait presque le bondissement des agneaux ou des cabris que l’on conduit dans les prés d’herbe fraîche. Il s’agit bien en effet d’un retour d’exil. Nous sommes le troupeau du Seigneur et il nous ramène de la grande épreuve vers notre patrie. Dans les écrits prophétiques, le retour de l’exil est souvent exprimé en des termes pastoraux et le Seigneur a exploité largement le thème du bon Pasteur et de ses brebis. Il y a donc beaucoup d’assurance et de joie dans cette dernière phrase. Il y a aussi un accent de triomphe sur le mot cunctis qui est très ferme, très fort, très puissant. On sent toute la puissance divine dans ce mot. Rien n’échappe à son autorité, à son pouvoir. Il est partout présent, partout le Maître. Mais n’oublions pas que pour nous, cette toute puissance est celle d’un amour de Père.

Pour écouter cet introit :

Dicit Dominus 1

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