« Avec des chants d’allégresse, répandez la nouvelle, faites-la entendre, alléluia. Annoncez-la jusqu’au bout du monde. Le seigneur a libéré son peuple, alléluia alléluia. Acclamez Dieu, toute la terre, chantez en son nom, rendez gloire à sa louange. » (Introït Vocem Jucunditatis du 6ème dimanche de Pâques –5ème dimanche après Pâques)
Commentaire spirituel
Le texte de notre introït est tiré non littéralement du Prophète d’Isaïe, 48, 20. L’idée est bien présente mais les mots ne sont pas strictement ceux d’Isaïe. On a là un témoignage de la liberté des compositeurs par rapport au texte inspiré, à moins qu’ils n’aient disposé d’une version différente du texte reçu de la Vulgate. En tout cas, le contexte biblique de ce chant, c’est le retour de l’exil de Babylone à Jérusalem. Image du passage de la tristesse de ce monde terrestre à la joie de la Jérusalem céleste, terre promise. L’exode du peuple Juif à partir de l’Égypte, avec le passage de la mer Rouge, le retour d’exil à partir de Babylone, sont deux événements historiques qui ont la même signification profonde : ils expriment le salut opéré par Dieu de manière magnifique, grandiose, en faveur de son peuple. Ces réalités qui caractérisent l’ancienne alliance sont aussi des figures de ce que le Christ accomplit dans la nouvelle et définitive alliance : le salut par son sang, par le bois de la croix. Avec cette dimension universelle qui n’exclue pas les autres peuples. Dans l’Ancien Testament les autres peuples sont témoins, mais c’est à leurs dépens que s’opère le salut. Et quand le psalmiste ou le prophète invite à publier la bonne nouvelle jusqu’au bout du monde ce n’est pas pour qu’ils participent au salut, mais simplement pour qu’ils reconnaissent la grandeur de Yahweh et pour qu’ils la subissent. Mais avec l’Église la perspective n’est plus la même. Le salut est universel, c’est une bonne nouvelle adressée à tous. La joie nous appartient. Tel est le sens de ce chant d’entrée à partir de son contexte biblique.
On a évoqué déjà le contexte liturgique, celui du mystère pascal du Christ. Bonne nouvelle de la mort et résurrection du Christ qui s’est répandue par tout l’univers. C’est le chant d’entrée le plus expansif de tous les chants d’entrée des dimanches de Pâques. C’est beau de voir que l’Église ne se laisse pas entraîner d’emblée dans une allégresse qui risquerait d’être superficielle. Non, elle commence par intérioriser ce qu’elle contemple. Il y a une beauté significative dans la succession des introïts des dimanches de Pâques. Avec le premier, l’introït Resurrexi, comme je vous l’ai dit, c’est la plongée dans les relations trinitaires. C’est le Christ qui parle à son Père. On est au ciel, c’est un chant d’extase si bien rendu par le 4ème mode, contemplatif et mystique. L’Église est subjuguée par ce dialogue, elle s’en nourrit, elle s’en abreuve. Elle est comme le petit enfant qui admire ce que son Père a réalisé. Le chant d’entrée du 2ème dimanche de Pâques, Quasi modo, du 6ème mode, a la fraîcheur et la naïveté de l’enfance spirituelle, que représentent particulièrement les nouveaux baptisés. Puis au dimanche suivant, avec l’introït Misericordia on revient au 4ème mode et à la contemplation pleine de reconnaissance du mystère. L’Église ne cesse de regarder et d’aimer, d’approfondir cet amour sans date qui l’enveloppe et qui se nomme miséricorde. Les deux autres introïts Jubilate et Cantate Domino (respectivement du 8ème et du 6ème mode) sont une double invitation à la joie et au chant. Et notre introït de ce dimanche unit précisément dans ses premiers mots ces deux composantes de la vie pascale, ces deux composantes qu’on retrouve dans la signification de l’alléluia. Vocem jucunditatis : faites entendre une voix d’allégresse.
Le vocabulaire latin de la joie est riche : il y a le mot gaudium, le mot laetitia, le mot exultatio, le mot jucunditas. Je traduis ici Jucunditas par allégresse, c’est en effet d’une joie débordante qu’il est question ici, et cela se traduit dans cette magnifique mélodie du 3ème mode.
Commentaire musical
Dès l’intonation la mélodie s’envole. Elle part de la tonique, le mi et s’élance avec beaucoup de légèreté vers la dominante Do, sur laquelle elle va se camper, également sur le mot suivant annuntiate, avant de revenir doucement sur la tonique Mi sur la finale de ce mot. Avec ce membre de phrase on a une belle courbe typique du 3ème mode, ce mode qui cultive l’harmonie des deux dimensions, extériorisée et intériorisante de la vie chrétienne. C’est très bien rendu dans cet aller-retour de la tonique à la tonique en passant par la dominante au sommet de la courbe.
L’intonation doit donc être donnée dans un accelerando assez marqué qui s’épanouit sur le Do. La descente sur annuntiate se fait dans la détente, le decrescendo et l’élargissement. La fin de la phrase (et audiatur alleluia) connaît la même courbe mais l’expression est moins significative du 3ème mode. La cadence sur le Ré donne quelque chose de plus stable. Audiatur se termine comme annuntiate mais une note en dessous et cela change tout. Sur audiatur on a un bel exemple de la liberté du compositeur par rapport à l’accent du mot. C’est sur la troisième syllabe que porte l’accent mais c’est sur la deuxième que la mélodie se déploie avec prédilection et atteint son sommet. Par contre il faudra faire attention à ne pas déplacer l’accent.
Le premier alleluia nous ramène dans l’atmosphère mystérieuse du 3ème mode, à la fois très léger, doux et contemplatif. Cet alleluia annonce le bel épanouissement qui va suivre, on sent bien que ce n’est pas finit. Le mouvement ne se pose pas définitivement. La deuxième phrase commence sur le même thème mélodique et textuel que la première, donc dans un grand élan, un grand crescendo après un départ piano, mais la mélodie va franchir une première fois la dominante Do, en atteignant le Ré, ce qui apporte une nouveauté expressive, puis c’est l’explosion sur ad extremum terrae qui nous fait toucher le Mi cette fois. C’est le sommet de la pièce dans une formule mélodique typique du 3ème mode, très expressive, à l’aigu, avec le beau balancement des deux clivis sur l’accent de extremum puis le torculus aérien Do-Mi-Ré, et les deux torculus de terrae, qui s’achèvent sur un cadence ferme sur Sol. Cette belle phrase mélodique exprime bien tout l’élan enthousiaste de l’amour de la bonne nouvelle qui se répand dans le monde entier. L’Évangélisation puise son dynamisme dans la Parole de Dieu et spécialement dans le mystère Pascal. C’est pour cela que la phrase suivante fait allusion à la libération (sous entendu du péché et de la mort) opérée par le Christ dans sa mort et sa résurrection.
Cette troisième phrase est plus sobre au plan mélodique, elle doit être prise dans un tempo plus large. Partir piano sur liberavit, bien mettre en valeur l’accent au levé du mot. La tristropha de Dominus est intense, chaleureuse, pleine d’amour et de confiance. Populum sum doit être plus léger, conduisant vers les deux alléluia, dont le deuxième renchérit magnifiquement sur le premier. Ces deux alléluia sont très beaux, avec leur belle courbe d’adoration, constituée d’un crescendo et d’un decrescendo, d’une montée ferme et enthousiaste et d’une descente en balancement, selon un procédé cher au chant grégorien : celui d’une ondulation mélodique en descente entrecoupée doucement de petites remontées, le tout dans un grand legato. C’est du grand art, un art dont l’expression est toute entière au service de la prière, la prière qui est élan vers Dieu et repos en Dieu.
Pour écouter cet introit :