> Carte blanche d’Yves Chiron
L’expression peut surprendre. Elle est d’Émile Poulat, qui soulignait aussi que l’œuvre d’Alphonse Dupront (1905-1990) se tient « à mi-chemin de l’histoire et de la théologie ». Il fut l’historien des « dévotions chrétiennes de longue durée » : la croisade, les pèlerinages lointains ou proches. Il a publié notamment Du sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages, recueil d’articles publié en 1987, et Le Mythe de croisade (en quatre volumes) qui, à l’origine, fut une thèse de doctorat d’histoire soutenue en 1956. Le nouvel ouvrage qui paraît, Des pèlerinages, n’est pas non plus un livre pensé et écrit d’affilée, c’est un recueil de textes et de documents où l’expérience personnelle – Dupront fut pèlerin à Lourdes, dès son enfance, avant la guerre de 1914, puis ailleurs – nourrit l’étude et la réflexion. Dans les années 1960, Dupront avait lancé une vaste enquête sur les pèlerinages contemporains en France. Il avait collecté, avec des collaborateurs, de très nombreux documents, articles et livres ; correspondu avec les diocèses ; recueilli, sur place, des témoignages ; établi des cartes et des statistiques. Les textes réunis aujourd’hui s’appuyaient sur la vaste documentation recueillie. Ils ne constituent pas une histoire des pèlerinages français, mais une suite d’analyses historiques, anthropologiques, sociologiques et culturelles, analyses fortement conceptualisées. Dupront note, par exemple, qu’au XIXe siècle, « le pèlerinage a été le premier à exploiter, comme immédiatement offertes, les possibilités fournies par la révolution industrielle et le raccourcissement de l’espace par le développement des moyens de communication. Les “foules de Lourdes” ont précédé, et de plus d’un demi-siècle, le tourisme de masse ». Il avait engagé son enquête au moment du concile Vatican II. Il constatait qu’en France les ecclésiastiques eux-mêmes parfois dénigraient les pèlerinages ou, du moins, s’en défiaient et cherchaient à les « encadrer fortement ». Ce clergé était aussi souvent critique envers la « religion populaire » et certaines dévotions jugées superstitieuses. Alphonse Dupront, loin de déprécier la religion populaire, la voyait comme « témoin le plus avéré d’une expérience et d’un ordre religieux collectif anté-modernes, donc une réalité essentielle de la longue durée ». À propos de l’Année sainte 1975, trois ans plus tard, il fera remarquer qu’en France et dans de nombreux autres pays, « peu nombreux étaient les évêques et les clercs qui y croyaient, mais le flux pèlerin l’a emporté, jusqu’à dépasser sans doute la dizaine de millions. Là, les masses ont entraîné l’institution. Ce qui, au cœur de notre temps, manifeste le…