Si le christianisme est le fondement principal de l’identité arménienne, les croyants du pays composent un tableau insolite, bigarré et compliqué : divisions doctrinales, pratiques proches du paganisme, histoire enchevêtrée de persécutions, de guerres et de controverses… Aperçu sur un destin unique.
Au son des cloches du sanctuaire et des zournas, à travers les nuages sortant de l’encensoir et des pots d’échappement des Bentley, une colombe s’envole des mains de la mariée dans le ciel azur d’Arménie. Après le couronnement des époux, le prêtre les renvoie chaleureusement mais prestement, du miel bénit sous le bras, car déjà un autre cortège se présente pour recevoir le sacrement nuptial. Le prêtre officiant au monastère de Noravank a une journée chargée. Un de ses confrères, se faufilant parmi la foule, trouve un instant pour saluer ses enfants et sa femme mais très vite il doit retourner à ses obligations sacerdotales. Le soleil de plomb transformant les pierres millénaires en brasero complique l’œuvre des ministres. À quelques dizaines de kilomètres de là, au monastère de Tatev, le père Michael retire sa mitre et se rafraîchit un instant après sa messe, avant de retrouver la force de donner le baptême à un jeune enfant.
Une pratique toujours vivante
Fruit de presque deux mille ans d’histoire chrétienne, malgré les vicissitudes des conquêtes et des invasions, de soviétisme en mondialisation, la pratique religieuse arménienne est toujours vivante. Et quand en Artsakh l’ennemi azéri détruit la plus grande et ancienne concentration de khatckars, le peuple allume des croix en LED géantes sur les montagnes, et les oligarques réservent des panneaux publicitaires pour y afficher des versets bibliques. Si l’œil occidental peut parfois être surpris de ces manifestations démesurées de la foi du charbonnier, on ne peut s’empêcher d’être touché et de chercher à comprendre. Pourquoi subsiste-il une foi arménienne ? Quel est son niveau de complexité et de diversité ?
« C’est grâce à saint Grégoire l’Illuminateur et à la conversion de Tiridate IV que la chrétienté locale connut la fin des persécutions et un essor qui porte encore ses fruits. »
Fils de Noé
Myasnik, un habitant d’Ararat, croyant de l’Église évangélique arménienne, affirme vivement : « nous sommes les fils de Noé, si nous existons encore c’est uniquement par la volonté de Dieu ». Il y a trois ans encore, lui et ses…