Avec son autorisation, nous publions un texte fondamental de son Éminence le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, paru initialement dans l’édition italienne de L’Osservatore Romano. Consacré à l’importance du silence dans la liturgie, ce texte souligne combien celui-ci n’est pas seulement une absence de bruit. De ce fait, il joue un rôle à part entière pour mieux entrer dans la profondeur des mystères célébrés dans la liturgie, permettant à sa place une véritable participation des fidèles.
Beaucoup de fidèles se plaignent avec raison de l’absence de silence dans certaines formes de célébration de notre liturgie romaine. Il nous a donc semblé important, dans cette brève étude, de rappeler le sens du silence en tant que valeur ascétique chrétienne (I), et donc comme une condition nécessaire pour une prière profonde et contemplative (II), sans oublier aussi que des temps de silence sont officiellement prévus lors de la célébration de la sainte Eucharistie (III), afin de mettre en évidence l’importance du silence pour un renouveau liturgique de qualité (IV).
I. Le silence comme valeur ascétique chrétienne
Au sens négatif, le silence est l’absence de bruit. Il peut être extérieur ou intérieur. Le silence extérieur concerne l’absence de silence aussi bien en paroles qu’en actions (bruits de portes, de véhicules, de marteaux-piqueurs, d’avions, le fonctionnement bruyant des appareils de photographie, souvent accompagné de l’éblouissement des flashes, et aussi cette horrible forêt des téléphones portables, qui sont brandis à bout de bras au cours de nos liturgies eucharistiques). Le silence vertueux – voire mystique – doit évidemment se distinguer du silence réprobateur, du refus d’adresser la parole, du silence d’omission par couardise, égoïsme ou dureté de cœur.
Bien entendu, le silence extérieur est un exercice ascétique de maîtrise dans l’usage de la parole. Avant tout, il peut être bon de rappeler ce qu’est l’ascèse, ce mot qui est loin d’être porté au pinacle de notre société de consommation, et même, il faut l’avouer, qui effraie nos contemporains, y compris très souvent les 1chrétiens, qui subissent l’influence de l’esprit du monde. Alors, qu’est-ce que l’ascèse ? L’ascèse est un moyen indispensable qui nous aide à enlever de notre vie tout ce qui l’alourdit, c’est-à-dire ce qui entrave notre vie spirituelle ou intérieure, et donc ce qui constitue un obstacle à la prière. Oui, c’est bien dans la prière, que Dieu nous communique sa Vie, c’est-à-dire manifeste sa Présence dans notre âme en l’irriguant des flots de son Amour trinitaire : le Père par le Fils dans l’Esprit Saint. Et la prière est essentiellement silence. Le bavardage, cette tendance à extérioriser tous les trésors de l’âme en les exprimant, est souverainement nuisible à la vie spirituelle. Emporté vers l’extérieur par son besoin de tout dire, le bavard ne peut qu’être loin de Dieu, superficiel et incapable de toute activité profonde.
Les livres sapientiaux de l’Ancien Testament (Pr 10, 8,11,13-14,18-21,31-32 ; 15, 1-7 ; Sir 19, 7-12 ; 20, 1-2, 5-8 ou 23, 7-15 ; 28, 13-26) regorgent d’exhortations destinées à éviter les péchés de la langue (notamment, la médisance et la calomnie). Les livres prophétiques, de leur côté, évoquent le silence comme expression de la crainte révérencieuse envers Dieu ; il est alors une préparation à la théophanie de Dieu, c’est-à-dire à la révélation de sa Présence dans notre monde (Lm 3, 26 ; So 1,7 ; Ha 2, 20 ; Is 41, 1 ; Za 2, 17). Le Nouveau Testament n’est pas en reste. En effet, il y a la lettre de Jacques, qui demeure évidemment le texte classique à propos de la domination de la langue (Jc 3, 1-10). Toutefois, on sait que Jésus Lui-même nous a mis en garde contre les paroles mauvaises, qui sont l’expression d’un cœur dépravé (Mt 15, 19) et même contre les paroles oiseuses, dont il nous sera demandé compte (Mt 12, 36). À l’opposé, on ne peut que rester impressionné par le silence de Jésus face au Sanhédrin, au gouverneur romain Pilate et au roi Hérode : Jesus autem tacebat (Mt 26, 63). Hérode lui demandait un miracle pour lui, et ses courtisans s’en seraient amusés. Mais Jésus-Christ, qui était enchaîné, Lui, le Dieu de majesté, ne consentit pas à devenir le bouffon du roi Hérode, ni à accomplir pour cet homme orgueilleux et d’une curiosité malsaine ce qu’Il accordait si généreusement aux humbles et aux simples.
En réalité, le vrai et bon silence appartient toujours à celui qui veut laisser sa place aux autres, et surtout au Tout Autre, à Dieu. En revanche, le bruit extérieur caractérise l’individu qui veut occuper une place trop importante, qui veut se pavaner ou s’exhiber, ou encore qui veut remplir son vide intérieur, comme c’est le cas dans nombre de magasins et de services publics, et aussi notamment dans les salles d’attente de certains dentistes, coiffeurs…, où l’on vous impose une musique de fond incessante.
Le silence intérieur, quant à lui, peut être constitué par l’absence de souvenirs, de projets, de paroles intérieures, de soucis… Plus important encore, grâce à un acte de la volonté, il peut résulter de l’absence d’affections désordonnées, ou de désirs excessifs. Les Pères de l’Église accordent une place éminente au silence dans la vie ascétique. Qu’on songe à saint Ambroise (In Psalm. 37, 12-15), à saint Augustin, à saint Grégoire le Grand (Moralia II, 48 ; XXII, 16 ; XXX, 16), sans parler du chapitre VI de la Règle de saint Benoît de Nursie, sur la « taciturnité », ou de son chapitre 62, sur le silence de nuit, où il se fait disciple de Cassien. À partir de ces maîtres, tous les fondateurs médiévaux d’ordres religieux, suivis par les mystiques de la Réforme catholique, insistèrent sur l’importance non seulement ascétique, mais encore mystique du silence.
II. Le silence comme condition de la prière contemplative
Dans l’Évangile, il est dit que le Sauveur lui-même priait dans le silence, notamment la nuit (Lc 6, 12), ou en se retirant dans des lieux déserts (Lc 5, 16 ; Mc 1, 35). Le silence est typique de la méditation de la Parole de Dieu ; on le retrouve notamment dans l’attitude de Marie devant le mystère de son Fils (Lc 2, 19, 51). La personne la plus silencieuse de l’Évangile est bien entendu saint Joseph, dont le Nouveau Testament ne nous rapporte pas une seule parole. Saint Basile considère le silence non seulement comme une nécessité ascétique de la vie monastique, mais encore comme une condition de la rencontre avec Dieu (Lettre 2, 2-6 : PG 32, 224-232). Le silence précède et prépare ce moment privilégié où nous avons accès à Dieu, qui, alors, peut nous parler face à face comme nous le ferions avec un ami (cf. Ex 33, 11 ; Nb 12, 8 ; Dt 34, 10).
Rappelons à ce sujet que nous accédons à la connaissance de Dieu par voie de causalité, d’analogie, d’éminence, mais aussi de négation : une fois affirmés les attributs divins, qui sont connus par la raison naturelle (c’est la voie cataphatique), il faut en nier le mode de réalisation limité que nous connaissons ici-bas (c’est la voie apophatique). Le silence est inscrit dans la voie apophatique d’accès à Dieu, si chère aux Pères surtout grecs, qui leur fait réclamer le silence des raisonnements face au mystère de Dieu (Clément d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse).
Il n’en est pas moins vrai que le silence est surtout l’attitude positive de celui qui se prépare à l’accueil de Dieu par l’écoute. Oui, Dieu agit dans le silence. D’où cette observation si importante du grand saint Jean de la Croix : « Le Père n’a dit qu’une parole, à savoir son Fils et dans un silence éternel Il la dit toujours : l’âme aussi doit L’entendre en silence ». (1) Le livre de la Sagesse (Sg 18, 14) avait déjà noté cela à propos de la manière dont Dieu intervint pour délivrer le peuple élu de sa captivité d’Égypte : cette action inoubliable eut lieu pendant la nuit : « Alors qu’un silence paisible enveloppait toutes choses et que la nuit parvenait au milieu de sa course rapide, du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s’élança du trône royal ». Plus tard, ce verset sera compris par la Tradition liturgique chrétienne comme une préfiguration de l’Incarnation silencieuse du Verbe éternel dans la crèche de Bethléem. Quant à la bienheureuse Élisabeth de la Trinité, elle insistera sur le silence comme condition de la contemplation du Dieu Trinité.
Ainsi, il faut faire silence : il s’agit bien d’une activité, et non d’une oisiveté. Si notre « téléphone portable intérieur » sonne toujours occupé, parce que nous sommes « en conversation » avec d’autres créatures, comment le Créateur peut-Il avoir accès à nous, comment peut-Il « nous appeler » ? Nous devons donc purifier notre intelligence de ses curiosités, la volonté de ses projets, pour nous ouvrir totalement aux grâces de lumière et de force que Dieu veut nous donner à profusion : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne ». « L’indifférence » ignacienne est donc elle aussi une forme de silence.
III. Le silence prévu par les normes liturgiques
La prière est une conversation, un dialogue avec le Dieu Trine : si, à certains moments, on s’adresse à Dieu, à d’autres, on fait silence pour L’écouter. On ne s’étonnera donc pas que l’on doive considérer le silence comme une composante importante de la liturgie.
Certes, pour leur part, les rites orientaux (qui ne relèvent pas de la compétence de ma Congrégation) ne prévoient pas de temps de silence pendant la Divine Liturgie. En effet, lorsque le prêtre ne chante pas lui-même, c’est-à-dire quand il prie en silence (ou « secrètement », qui vient du mot latin : secreto), notamment pendant l’anaphore, c’est-à-dire la Prière eucharistique, sauf pour les paroles de la consécration, qui sont chantées à voix haute, on peut remarquer que ce sont le diacre, les chœurs, ou encore les fidèles qui chantent sans discontinuer. Néanmoins, ils connaissent intensément la dimension apophatique de la prière, exprimée par toutes sortes d’adjectifs et d’adverbes qualifiant le Souverain Maître de l’Univers et Sauveur de nos âmes. Par exemple, la « préface » du rite byzantin dit ceci : « Vous êtes un Dieu ineffable, incompréhensible, invincible, insaisissable… ». De plus, pour l’essentiel, la Divine Liturgie est en quelque sorte une plongée dans le « Mystère », c’est-à-dire que, concrètement, elle est célébrée derrière l’iconostase, et le prêtre, qui se tient à l’autel du Sacrifice, prie souvent en silence.
En Occident, en revanche, dans tous ses rites (romain, romano-lyonnais, cartusien, dominicain, ambrosien, etc.), la prière silencieuse du prêtre n’a pas sans cesse été doublée par des chants du chœur ou des fidèles. La messe latine comprend donc depuis toujours des temps de silence complet. Jusqu’à la réforme du bienheureux pape Paul VI, c’était le cas surtout pendant le Canon, ou Prière eucharistique, qui était prononcée par le célébrant en silence (secreto), sauf dans les cas rares de la concélébration sacramentelle. Il est vrai qu’en certains lieux, on avait voulu combler le vide de ce silence de quelques minutes (cinq à huit tout au plus) qui, en réalité, n’était qu’apparent, par le son de l’orgue, ou par des chants polyphoniques, mais il faut avouer que cette pratique ne correspondait pas à l’esprit de ces rites.
Le concile Vatican II a prévu le maintien d’un temps de silence pendant le Sacrifice eucharistique. Ainsi la constitution sur la Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 30, a décrété que « pour promouvoir la participation active, (…) on observera aussi en son temps un silence sacré. » La Présentation générale du Missel romain (PGMR) du bienheureux pape Paul VI, rééditée en l’an 2002 par saint Jean-Paul II, a précisé les nombreux endroits de la messe où il faut observer un tel silence. On trouve d’abord ce rappel général, qui explicite SC n. 30, cité ci-dessus : « Un silence sacré, qui fait partie de la célébration, doit aussi être observé en son temps (Sacrosanctum Concilium, art. 30. ; Instr. Musicam sacram, n. 17 [2]). Sa nature dépend du moment où il trouve place dans chaque célébration. Car, dans la préparation pénitentielle et après l’invitation à prier, chacun se recueille ; après une lecture ou l’homélie, on médite brièvement ce qu’on a entendu ; après la communion, le silence permet la louange et la prière intérieure. Déjà avant la célébration elle-même, il est bon de garder le silence dans l’église, à la sacristie et dans les lieux avoisinants, pour que tous se disposent à célébrer les saints mystères avec cœur et selon les rites. » (PGMR, n. 45 [ancien 23]). Comme il est triste, et c’est presque un sacrilège, d’entendre parfois des prêtres et des évêques bavarder sans discontinuer à la sacristie, et même pendant la procession d’entrée, au lieu de se recueillir et de contempler en silence le mystère de la mort du Christ sur la Croix, qu’ils s’apprêtent à célébrer, et qui ne devrait leur inspirer que stupeur et tremblement !
Le premier moment particulier, où le silence est prescrit, est la préparation pénitentielle : « (…) Après une brève pause en silence, toute la communauté se confesse (…). » (PGMR, n. 51 [29]). Ensuite, pour la collecte : « (…) le prêtre invite le peuple à prier ; et tous, avec le prêtre, font silence pendant un peu de temps, pour prendre conscience qu´ils se tiennent en présence de Dieu, qu’ils s’adressent à la Majesté divine et pour mentionner intérieurement leurs intentions de prière. (…) » (PGMR, n. 54 [32] ; cf. n. 127 [88]). Puis, la « liturgie de la Parole doit se célébrer de manière à favoriser la méditation, c’est-à-dire en évitant toute forme de précipitation qui empêche le recueillement. Il est (…) bon qu’elle comprenne même quelques brefs moments de silence, adaptés à l’assemblée réunie : par ce moyen, avec l’aide de l’Esprit Saint, le Verbe de Dieu est accueilli dans le cœur et la réponse de chacun se prépare dans la prière. Ces moments de silence peuvent opportunément être observés (…) après la première et la seconde lecture, et enfin après l’homélie. » (PGMR, n. 56). La rubrique 128 [89] abonde dans le sens de cette recommandation pour la première lecture, et le numéro 130 [91] pour la deuxième lecture. Ce conseil vaut également pour l’homélie, qui doit être accueillie et assimilée dans un climat de prière (cf. PGMR, nn. 66 [42] et 136 [97]). Il devient enfin une véritable prescription adressée aux fidèles pour la Prière eucharistique, où le « peuple s’associe au prêtre dans la foi et en silence (…) » (PGMR, n. 147 [108]).
On retrouve la possibilité de demeurer en silence après la sainte communion (cf. PGMR, n. 164 [121]), ou pour se préparer à entendre la prière de la « postcommunion » (PGMR, n. 165 [122]). À la messe célébrée en l’absence du peuple, un moment de silence est même conseillé au célébrant : « Lorsque la purification du calice est achevée, il convient que le prêtre observe un temps de silence (…). » (PGMR, n. 271 [230]).
Le silence n’est donc nullement absent de la forme ordinaire du rite romain, du moins si on suit ses prescriptions, et que l’on s’inspire de ses recommandations. Malheureusement, trop souvent « on a oublié que le Concile place aussi dans l’actuosa participatio le silence, qui favorise une participation vraiment profonde, personnelle, nous permettant d’écouter intérieurement la parole du Seigneur. Or, de ce silence, il n’y a plus trace dans certains rites. » (3) En outre, en dehors de l’homélie, il faut bannir tout autre discours ou présentation de personnes, pendant la célébration de la Sainte Messe. En effet, on doit éviter de transformer l’église, qui est la maison de Dieu destinée à l’adoration, en une salle de spectacle où l’on vient applaudir des acteurs qui seraient de plus ou moins grande qualité en fonction de « leur capacité plus ou moins grande de communiquer », selon une expression que l’on entend souvent dans les médias. Or, de nos jours, on a parfois l’impression « que le culte catholique est passé de l’adoration de Dieu à l’exhibition du prêtre, des ministres et des fidèles. La piété a été abolie, y compris le mot lui-même. Elle a donc été “liquidée” par les liturgistes qui l’ont qualifiée de bigoterie, tandis qu’eux-mêmes faisaient subir au peuple leurs expérimentations liturgiques, tout en niant les diverses formes spontanées de dévotion et de piété. On a réussi à imposer les applaudissements, y compris durant les funérailles, à la place du deuil, qui normalement s’exprime par les larmes : le Christ n’a-t-il pas pleuré lorsque Lazare mourut ? Quand les applaudissements font irruption dans la liturgie, c’est un signe très sûr qu’on a perdu l’essence de la liturgie ». (4)
IV. L’importance du silence pour la qualité de la liturgie
Enfin, il faut s’efforcer de comprendre les motivations de cette discipline liturgique concernant le silence, et de s’en imprégner. Deux auteurs particulièrement qualifiés peuvent nous aider dans ce domaine, et donc achever de nous convaincre au sujet de la nécessité du silence dans la liturgie. En premier lieu, S. Exc. Mgr Guido Marini, maître des cérémonies pontificales, exprime le principe général en ces termes : « Une liturgie bien célébrée, dans ses différentes parties, prévoit une alternance heureuse de silence et de parole, où le silence anime la parole, permet à la voix de résonner avec une extraordinaire profondeur, et garde chaque expression orale dans un juste climat de recueillement. (…) Le silence requis ne doit (…) pas être considéré comme une pause entre un moment de la célébration et le suivant. Il doit plutôt être considéré comme un véritable moment du rituel, complémentaire de la parole, de la prière vocale, du chant, des gestes… (…) ». (5)
Il est vrai que le cardinal Joseph Ratzinger notait déjà dans son fameux ouvrage L’esprit de la liturgie : « le grand mystère qui dépasse toute parole nous appelle au silence. Et le silence, à l’évidence, appartient aussi à la liturgie. Il faut que ce silence soit plein, qu’il ne soit pas simplement l’absence de discours et d’action. Ce que nous attendons de la liturgie, c’est qu’elle nous offre ce silence substantiel, positif, où nous pouvons nous retrouver nous-mêmes. Un silence qui n’est pas une pause où mille pensées et désirs nous assaillent, mais un recueillement qui nous apporte la paix intérieure, qui nous laisse respirer et découvrir l’essentiel ». (6) Il s’agit donc d’un silence où nous regardons simplement Dieu, où nous laissons Dieu nous regarder et nous envelopper dans le mystère de sa Majesté et de son Amour.
Le même cardinal Ratzinger mentionnait aussi quelques temps de silence particuliers, comme par exemple celui-ci : « Il arrive aussi que le moment de l’offertoire se déroule en silence. Cette pratique convient en effet à la préparation des dons et ne peut être que féconde, pour autant que la préparation soit conçue non seulement comme une action extérieure, nécessaire au déroulement de la liturgie, mais comme une démarche essentiellement intérieure. (…) il s’agit de nous unir au Sacrifice que Jésus-Christ offre au Père (…). » (7) Il faut déplorer, ici, les processions d’offrandes, longues et bruyantes, comportant des danses interminables, dans certains pays d’Afrique. Elles donnent l’impression que l’on assiste à des exhibitions folkloriques, qui dénaturent le Sacrifice sanglant du Christ sur la Croix et nous éloignent du mystère eucharistique ; or, celui-ci doit être célébré dans le recueillement, car nous sommes plongés, nous aussi, dans sa mort et son offrande au Père. Ainsi, il convient d’insister sur le silence des laïcs pendant la Prière eucharistique, comme le précise Mgr Guido Marini : « Ce silence n’est pas synonyme d’oisiveté ou de manque de participation. (Il) a pour but de faire entrer tous les fidèles dans (…) l’acte d’amour par lequel Jésus s’offre au Père sur la Croix pour le salut du monde. Ce silence, véritablement sacré, est le moment liturgique pendant lequel il faut dire oui, avec toute la force de notre être, à l’agir du Christ, afin qu’il devienne aussi notre agir dans le quotidien de la vie. (…) ». (8)
Enfin, selon le cardinal Ratzinger, de leur côté, les « prières silencieuses du prêtre le préparent précisément à se pénétrer personnellement de sa tâche et à se donner au Seigneur dans la totalité de son propre “moi”. (…) elles existent toujours et doivent continuer à exister ». (9) Enfin, pour tous, le « silence qui suit la réception de l’eucharistie est (…) le moment privilégié du dialogue intérieur avec le Seigneur qui vient de se donner à nous, moment de communion intime avec Lui, qui nous fait entrer dans cette réciprocité de l’amour sans laquelle la réception extérieure du sacrement ne serait qu’un geste purement rituel, et donc stérile. » (10).
1. Saint Jean de la Croix, Maximes, 147, éd. du P. Lucien-Marie de Saint-Joseph, ocd, Bruges, DDB, 1949, p. 1314.
2. Rappelons au passage ce texte de Musicam sacram : « 17. Sacrum quoque silentium suo tempore servetur ; per illud enim fideles non modo non sunt habendi tamquam extranei vel muti spectatores actionis liturgicæ, sed arctius in mysterium inseruntur, quod celebratur, per dispositiones internas, quae e verbo Dei audito, e cantibus et precibus prolatis, atque ex spirituali coniunctione cum sacerdote, suas partes proferente, dimanant. » DC 1965, n. 1490, col. 500 : « On observera aussi en son temps un silence sacré. Par ce silence, en effet, les fidèles ne sont pas réduits à assister à l’action liturgique comme des spectateurs muets et étrangers, mais ils sont associés plus intimement au mystère que l’on célèbre, grâce à cette disposition intérieure qui découle de la parole de Dieu que l’on entend, des chants et des prières que l’on prononce, et de l’union spirituelle avec le célébrant pour les parties qu’il dit lui-même. »
3. Cardinal Joseph Ratzinger, Entretien sur la foi avec Vittorio Messori, Paris, p. 151, Fayard, 1985, 252 p., 19 €.
4. Nicolas Bux, La réforme de Benoît XVI, pp. 142-143, Éd. Tempora, 2009, 208 p., 17,90 e.
5. Mgr Guido Marini, La Liturgie. Gloire de Dieu, sanctification de l’homme, p. 71-72, Artège, 2013, 132 p., 14 e.
6. Cardinal Joseph Ratzinger, L’esprit de la liturgie, p. 164, Ad Solem, 2001, 18 e, en réimpression.
7. Cardinal Joseph Ratzinger, L’esprit de la liturgie, Ad Solem, p. 165-166.
8. Mgr Guido Marini, La Liturgie. Gloire de Dieu, sanctification de l’homme, p. 71-72, Artège.
9. Cardinal Joseph Ratzinger, L’esprit de la liturgie, Ad Solem, p. 167. Voir aussi p. 168.
10. Cardinal Joseph Ratzinger, L’esprit de la liturgie, Ad Solem, p. 165.