Comment les soubresauts de la décolonisation ont-ils affecté l’Église du Vietnam ? Désireuse de maintenir une distinction essentielle entre colonisation et mission et de faire émerger de véritables communautés catholiques locales, Rome avait en fait pris soin très tôt de former et d’émanciper un clergé indigène pour remplacer les missionnaires occidentaux.
La fin de la Seconde Guerre mondiale correspond à l’initiation d’un processus complexe qui va conduire à l’indépendance de nombreux pays intégrés dans l’espace colonial des puissances européennes : la décolonisation. Sans entrer dans les débats idéologiques sur cette importante phase de l’histoire mondiale au XXe siècle, il convient de nous pencher sur la manière dont le Saint-Siège a accompagné ce processus dans le cadre particulier du Vietnam, et comment le clergé indigène a connu une promotion sans précédent pour remplacer sur place les missionnaires européens.
Rome soucieuse des réalités locales
Il convient de noter d’emblée que Rome s’est penchée sur le dossier de la décolonisation bien avant que le processus ne fût politiquement engagé. Le Saint-Siège était en effet conscient des tensions qui pouvaient exister dans certaines régions entre les puissances colonisatrices et les réalités locales. Au Vietnam, la fin du XIXe siècle a été marquée par la diffusion d’une profonde hostilité envers la présence française – qui déjà s’était fait sentir au fil des persécutions récurrentes qui touchèrent tout autant le clergé occidental que les vocations locales. Pour l’Église, le danger d’un amalgame entre les missionnaires et les autorités coloniales risquait de menacer les progrès de l’évangélisation. Dans les années 1920, Rome a voulu « imposer un renouvellement des stratégies missionnaires » afin d’« émanciper les missions de l’entreprise coloniale » (1). Benoît XV invitait ainsi les ouvriers de l’évangélisation à ne pas « chercher d’autre gain que celui des âmes » (2). La promotion d’un clergé indigène était la solution la plus évidente pour conjurer les menaces qui pesaient à la fois sur les Empires coloniaux et sur le processus d’évangélisation. Trois documents pontificaux ont vigoureusement promu ce renouvellement en faveur de la formation d’un clergé local susceptible de remplacer les missionnaires occidentaux. L’encyclique Rerum Ecclesiæ (1926) de Pie XI soulignait « l’immense intérêt que présente le recrutement du clergé indigène ». En négligeant ce projet capital, les Églises locales se trouvaient menacées par de longs retards dans leur constitution. En outre, le Pape rappelait que les prêtres autochtones ne devaient aucunement…