> Éditorial de Maitena Urbistondoy
Dans Les Trois Messes basses, Alphonse Daudet raconte l’histoire de dom Balaguère, un chapelain distrait qui précipite la messe de Noël, oubliant la gravité de son ministère. Lors de son jugement, Dieu lui adresse des paroles terribles : « Retire-toi de mes yeux, mauvais chrétien ! Ta faute est assez grande pour effacer toute une vie de vertu… Ah ! tu m’as volé une messe de minuit… Eh bien ! tu m’en payeras trois cents en place, et tu n’entreras en paradis que quand tu auras célébré dans ta propre chapelle ces trois cents messes de Noël en présence de tous ceux qui ont péché par ta faute et avec toi […]. »
Cette histoire, ancrée dans une époque où le respect du sacré était central, nous rappelle un temps où l’on mesurait l’importance de l’âme humaine, et où chaque acte engageait la personne devant Dieu.
Ces traditions qui rythmaient autrefois la vie spirituelle et culturelle sont négligées. La Toussaint semble éclipsée par les festivités de Halloween. Dès les premiers jours de novembre, Noël est déjà mis en avant dans les vitrines. Mais où sont passées les traditions d’Avent et la dévotion pour les âmes du purgatoire, que novembre nous invitait autrefois à honorer ? Cette perte de repères religieux témoigne d’un détachement profond, où le sens de la réparation, de la prière pour les défunts, disparaît peu à peu.
Un risque de dérive
Ce phénomène touche même l’Église, au moment où certains débats internes semblent concédés (ou soumis) à l’esprit du monde. Le récent Synode sur la synodalité illustre ce risque de dérive. Doit-on suivre le monde et ses standards, au point de vouloir intégrer la logique de la parité là où elle n’a pas lieu d’être ? Pie XII rappelle pourtant dans Mystici Corporis Christi que l’Église n’est pas une institution humaine, mais un Corps mystique, une « société parfaite », où chaque membre et chaque fonction répondent à une vocation propre :
« L’Église, qui doit être regardée comme une société parfaite en son genre, n’est pas seulement composée d’éléments et de principes sociaux et juridiques. Elle surpasse, et de beaucoup, toutes les autres communautés humaines ; elle leur est supérieure autant que la grâce surpasse la nature, et que les réalités immortelles l’emportent sur toutes les réalités périssables. »
Pie XII nous rappelle que l’Église, en tant que Corps mystique du Christ, est un repère stable, qui ne se laisse pas entraîner par les modes. Cette stabilité, ancrée dans la fidélité à sa mission divine, protège l’Église de l’inconstance des tendances passagères. Et c’est cet équilibre qui manque aujourd’hui : la fidélité aux vérités éternelles, qui ne se mesure ni au succès ni à l’acceptation du moment.
Cette influence de l’esprit du monde ne s’arrête pas aux murs de l’Église ; elle traverse également les institutions et les lois. Dans le cas des dons d’organes, la charité chrétienne, telle que l’enseigne l’Église, repose sur la valeur de chaque vie humaine. Mais dans notre société, la définition de la mort est devenue une question technique, voire économique.
Là où l’Église impose un respect strict, définissant la mort comme la séparation de l’âme et du corps, la médecine se contente d’indiquer la « mort clinique ». En agissant ainsi, on rationalise la dignité de la personne au point de la soumettre à des critères d’efficacité médicale, réduisant l’individu à un ensemble de fonctions plutôt qu’à une âme vivante. La charité perd alors son sens originel pour devenir une démarche utilitaire.
Une déshumanisation profonde
La situation devient d’autant plus inquiétante quand on observe les drames qui secouent la France. Un an après la mort violente de Thomas, jeune rugbyman tué lors d’un bal, un autre membre du même club a trouvé la mort, victime lui aussi d’une agression brutale. Ces tragédies ne se limitent pas à des faits divers ; elles sont le reflet d’une déshumanisation profonde. Quand une société perd ses repères religieux et culturels, elle ne protège plus ses propres fils, et elle permet (ou consent à), sous couvert d’une fausse tolérance ou d’un refus de voir, une violence qui s’installe presque en silence.
Dans ce contexte difficile, l’appel de Pie XII à rejeter l’esprit du monde résonne avec une actualité frappante. En 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, Pie XII adressait aux fidèles ce message : « Qui veut que l’étoile de la paix se lève et se repose sur la société rejette toute forme de matérialisme qui ne voit dans le peuple qu’un troupeau d’individus séparés et sans cohésion interne, considérés comme matière à posséder et à gouverner. »
Retrouver cet esprit chrétien, c’est offrir à notre société une véritable paix, une alternative qui repose non pas sur des compromis, mais sur une fidélité profonde aux valeurs éternelles.
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