Pascal Jaouen est aujourd’hui l’un des plus grands noms de la broderie, un art oublié pour beaucoup de nos contemporains mais riche d’une longue histoire. Danièle Lepape et Béatrice Le Grand rendent hommage, dans Pascal Jaouen, War an hent, de Bannalec à Compostelle, au travail de ce grand artiste pour son défilé de l’année dernière qui avait pour thème le Chemin de Compostelle.
« C’est le tailleur, sauf votre respect », disait-on autrefois en Bretagne pour s’excuser de la présence du « quemener », le tailleur-couturier-brodeur itinérant qui allait de ferme en ferme et de maison en maison afin de réaliser costumes de fête ou habits de tous le jours. Prononcer ce mot de tailleur passait pour une incivilité, dont il convenait de s’excuser, comme l’on s’excusait de parler des chiens et des cochons … La raison en était simple : dans une société où la force virile primait, seuls ceux qui travaillaient physiquement, s’éreintant aux champs ou à l’atelier, méritaient considération. Le tailleur, lui, travaillait assis, au chaud près du foyer, en compagnie des femmes et des filles avec lesquelles il tirait l’aiguille et bavardait. Par conséquent, il n’était pas un homme et devenait objet de mépris général. Peu importait qu’il fût un artiste aux doigts de fée, souvent un conteur de génie : « c’est le tailleur, sauf vot’ respect. »
Aujourd’hui, les tailleurs brodeurs de Bretagne ont disparu, ou presque. Il n’en reste qu’un, mais d’exception. Depuis qu’il a, voilà vingt-cinq ans, ouvert une école de broderie à Quimper, Pascal Jaouen s’ingénie à rendre ses lettres de noblesse à cet art ancestral, d’une complexité rare, et former des jeunes gens pour leur transmettre cet héritage. Régulièrement, il organise des défilés de mode dignes de la haute couture internationale, démontrant que tradition et modernité peuvent se rencontrer pour produire des splendeurs.
Son dernier défilé, organisé l’an passé, avait pour thème le chemin de Compostelle, du Finistère breton au Finnistere espagnol. Ce sont les créations de ce défilé qui sont proposées dans l’album Pascal Jaouen, War an hent, de Bannalec à Compostelle réalisé par Danièle Lepape et Béatrice Le Grand (Ouest-France, 135 p., 39 €). C’est bien sur le chemin entre la petite ville bretonne et la cité galicienne que le brodeur nous entraîne, vers Saint-Jacques. D’étape en étape, le long de la côte Atlantique, Jaouen propose des robes splendides, oniriques, féeriques, où l’élégance de la coupe est sublimée par la richesse des broderies, rappelant que la broderie fut un art sacré mis au service de Dieu et du culte divin.
Dévot, en bon Breton, de sainte Anne, Jaouen, s’inspirant de la statue d’Auray, offre de la Mamm goz une image revisitée, d’une beauté troublante et hors du monde. Partant de l’austère cape de deuil des Vannetaises, il crée un somptueux manteau d’apparat de soie peinte figurant la montée des pèlerins vers Compostelle, à moins que ce soit celle des élus vers la Jérusalem céleste.
Ici, les traditionnelles broderies glazik des Quimperois subliment de sévères robes noires ; là, les torrents lumineux de la Voie lactée, emblème du chemin de Saint-Jacques ruissellent sur un vêtement, tandis qu’ailleurs, des vagues de perles en cristal et coquillages, des coraux entrelacées, des plumes, des métaux, se marient pour évoquer les élégances du Bassin d’Arcachon, la haute société bordelaise, le commerce triangulaire, les couleurs de Burgos ou de Pontevedra, avant qu’une éblouissante femme mouette ou une robe imaginée pour une déesse de la Mer, enchanteresse Mari Morgan surgie des eaux, évoquent les destinées maritimes des terres celtes.
La beauté des images se suffit à elle-même et le texte de Danièle Lepape, ponctué de recettes de cuisine basque ou espagnole, mais dépourvu de dimension spirituelle, n’ajoute rien à ce bel album.