Grégorien : Introït Misericordia Domini (4ème dimanche de Pâques ou 2ème dimanche après Pâques)

Publié le 09 Avr 2016
gloria

« La terre est pleine de la miséricorde du Seigneur, alléluia. A la parole de Dieu les cieux ont été affermis, alléluia, alléluia. Exultez dans le Seigneur, vous les justes, aux hommes droits convient la louange. » (Psaume 32, 5, 6, 1)

Commentaire spirituel

On rencontre souvent dans les psaumes cette belle expression selon laquelle la miséricorde de Dieu remplit la terre ou l’univers. La miséricorde du Seigneur n’est pas un phénomène climatique elle est encore moins sensible que l’air dans l’atmosphère qui lui aussi remplit l’univers mais qui peut quand même être perçu comme chaud ou froid, comme violent ou doux, dans la tempête ou dans la brise légère. Si l’on peut dire que la miséricorde du Seigneur remplit la terre, c’est sur le témoignage de notre foi. Ce regard de foi est essentiel pour percevoir, en profondeur, le sens de l’histoire, le cours de l’humanité. On dirait aujourd’hui que la miséricorde de Dieu « c’est pas évident », loin de là. Pour reconnaître qu’elle remplit le monde il faut, comme le compositeur de ce chant d’entrée, avoir en vue de façon très présente, très actuelle, tout le mystère pascal, l’œuvre et la vie du Christ qui culmine dans sa Passion et sa résurrection. Les apôtres étaient tout pleins de ces événements qui avaient bouleversé leur vie. Ils ont vu de leurs yeux le Verbe de Vie incarné, ressuscité, ils l’ont touché, ils ont mis leurs mains sur ses plaies de crucifié devenues glorieuses, lumineuses, miséricordieuses. Oui la miséricorde qui remplit l’univers part des plaies du ressuscité, c’est-à-dire de la blessure de son amour. Le Sacré-Cœur est apparu à sainte Marguerite-Marie ou à sainte Faustine, leur a confié ce message de miséricorde fondé sur les souffrances du Christ comme preuve éclatante d’amour, de pardon. Pour celui qui, comme les Apôtres, a contemplé le ressuscité victorieux de la mort, doux et humble jusque dans son triomphe, comme il l’a été dans son supplice, jusque sur la Croix, le même, eh bien pour celui-là, oui, la miséricorde remplit l’univers. Les apôtres, témoins privilégiés, ont répandu cette bonne nouvelle partout où l’Esprit les a envoyés. C’est pour cela que des écrits du Nouveau Testament se dégage, une joie, un amour du Christ, une foi qui nous sont moins spontanés, à nous qui vivons 2000 ans après les faits. Mais la foi est toujours jeune, précisément quand elle se nourrit des sacrements qui sont l’actualisation de l’œuvre du Salut accomplie une fois pour toute par le Christ. « Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu ». Nous sommes heureux et nous pouvons dire avec le psalmiste, chanter avec le compositeur de cet Introït, que la miséricorde remplit la terre.

Nous venons de voir éclore magnifiquement le printemps. Dans la liturgie, le printemps c’est la résurrection, jour où tout refleurit. Printemps spirituel, invisible mais pourtant bien réel, qui vient enchanter nos âmes chaque année. La miséricorde est plus forte que la mort apparente dans les branches des arbres ou sur la terre nue. Merveille du printemps, des oiseaux qui se remettent à chanter. Nos âmes sont faites aussi pour la joie, cette joie qui naît de la certitude d’être aimé. L’atmosphère de Pâques c’est vraiment la miséricorde, ce climat tempéré de l’amour qui envahit nos cœurs (miseri cor dare) le cœur de Jésus s’est donné à la misère selon la belle étymologie du mot.

Commentaire musical

Misericordia

Ce chant est merveilleux, c’est un petit 4ème mode sans éclat, tout paisible, tout lumineux, tout pur avec une belle variété modale d’ailleurs, puisqu’on trouve des cadences aussi bien sur le Mi (verbo Dei, les deux derniers alléluias) que sur le Ré, finale du 1er mode (Domini, firmati sunt), ou encore sur le Fa (en 5ème, 6ème mode) sur terra ou le premier alléluia. La paix du 1er mode, la fraîcheur du 6ème, la contemplation du 4ème se conjuguent admirablement pour former cette pièce qui n’a l’air de rien mais qui est pourtant si expressive. Regardez par exemple la première phrase : on part du Ré, puis on module tout simplement autour du Fa, soit par en dessous avec le demi-ton Mi-Fa, si doux, si intérieur, ou la tierce Fa-Ré, plus ferme mais très paisible, soit au dessus en touchant le Sol (deux fois seulement jusqu’à terra), c’est tout. Quatre notes, Ré, Mi, Fa, Sol (4 Mi, 3 Ré, 2 Sol, pour 17 Fa) c’est prodigieux de simplicité, et pourtant quelle musicalité ! L’alléluia, comme un petit refrain joyeux, apporte sa note et c’est sur le La entendu une fois seulement, mais qui sonne clair. Il suffit de cette petite note pour mettre un peu d’éclat mais surtout sans briser la douceur qui enveloppe cette mélodie.

Et la deuxième phrase est presque aussi sobre que la première. Elle introduit pourtant les intervalles de quarte sur Verbo Dei qu’on n’avait pas encore entendus. Ça aussi c’est une merveille de cette première phrase dans laquelle les intervalles par degrés conjoints (seconde) étaient privilégiés par rapport aux intervalles de tierce (18 contre 5). Donc sur Verbo Dei ces intervalles de quarte, cela veut dire quelque chose. C’est une affirmation. La parole de Dieu est créatrice, elle est fondatrice. C’est sur elle que prennent appui toutes les œuvres créées, soit naturelles soit surnaturelles. Les cieux, au plan naturel, c’est le beau ciel bleu de printemps qui nous réjouit tous. Mais au plan surnaturel, les cieux ce sont les saints, et particulièrement les Apôtres. Au soir de Pâques il est vrai de dire que les Apôtres ont été réconfortés par la Parole de Dieu qui est le Christ. Voilà encore comment cet introït est un vrai chant pascal.

Cette deuxième phrase emprunte sa fermeté mélodique au 1er mode et les mots qui la composent ont tous un accent au posé très appuyé (Verbo sur le podatus initial de quarte, Dei sur la clivis inversée, caeli avec la distropha à l’unisson, et firmati sur le podatus qui touche le La et constitue le sommet expressif de ces deux phrases). Firmati, comme son nom l’indique, est vraiment très bien rendu, non seulement en lui-même mais aussi par la progression de toute la phrase qui monte en crescendo vers ce sommet. Viennent alors les deux alléluias. Le premier éclate, il franchit le La par un simple intervalle de tierce puis s’envole jusqu’au Do avant de redescendre doucement vers le Mi. Et le second va nous camper dans la contemplation du 4ème mode. La présence du Si bémol nous établit déjà dans cette atmosphère intérieure qui caractérise le mystère pascal et sa joie si profonde. La descente du Si vers le Mi se fait par un balancement très léger sans répétition, de façon très aérienne, très libre. On sent comme un flocon doucement porté par le vent qui se pose avec beaucoup de moelleux sur la terre. C’est beau. Pas une note qui ne soit imprégnée de paix. La grâce du chant grégorien me parait surtout remarquable dans ce genre de pièce où la sobriété matérielle, si l’on peut dire, l’appareil musical très simple, laisse passage à la réalité spirituelle qui, elle, est tellement riche, tellement profonde. C’est ce qui fait, entre autres, qu’on ne peut pas se lasser d’un chant comme celui-là.

Pour écouter cet introit :

Misericordia intro

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