Grégorien : Introït Quasi modo du 2ème dimanche de Pâques (1er dimanche après Pâques)

Publié le 02 Avr 2016
Grégorien : Introït Quasi modo du 2ème dimanche de Pâques (1er dimanche après Pâques) L'Homme Nouveau

« Comme des enfants nouveaux-nés, alléluia, (devenus) spirituels désirez le lait non mélangé, alléluia, alléluia, alléluia ! Exultez pour Dieu notre secours, jubilez pour le Dieu de Jacob. » (1 Pierre, 2,2 ; Psaume 80, 2)

Commentaire spirituel

Voilà le chant des enfants ! Il est touchant de voir la sainte Église, en ce jour octave de Pâques, se pencher doucement, telle une maman, sur le berceau de son tout-petit et passer du temps avec lui, lui souriant et comprenant ses balbutiements dans ce langage d’amour dont les mères ont le secret. Un esprit rationaliste pourrait s’étonner, s’indigner même de voir la liturgie s’abaisser à ce point alors qu’on est en train de célébrer le triomphe pascal, la victoire du Christ sur le démon, le péché, le mal, la mort. On s’attendrait à de profondes réflexions théologiques sur le mystère du salut, et voici qu’on nous parle de nourrissons et de lait ! Mais l’Église montre ainsi à quel point elle est mère. Elle a compris que toute la sollicitude du Christ, cette sollicitude qui l’a conduit au gibet et à l’ignominie de la croix, était destinée à l’acquisition d’un peuple nouveau et surnaturel, composé d’hommes et de femmes rachetés par la grâce et donc redevenus comme des enfants, selon l’enseignement du Maître : « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux. » L’Église ne fanfaronne pas en cette fête de Pâques, elle a autre chose à faire : elle est devenue mère, et elle doit se pencher ceux qui ont été lavés dans le sang de son Époux. Elle s’adresse donc à eux, sans aucun respect humain, à la face du monde. Les nouveaux baptisés sont les privilégiés de son cœur maternel en ces heures émouvantes. Nous connaissons le bel exorde d’un sermon pascal de saint Augustin, dans lequel se manifeste toute le joie du pasteur au sortir de la fête des fêtes : « C’est à vous que je m’adresse, enfants nouvellement nés, notre postérité en Jésus-Christ, jeune famille de l’Église, grâce du père, fécondité de la mère, germe sacré, jeune essaim, éclat de notre honneur, fruit de nos travaux, ma joie et ma couronne, ô vous tous qui demeurez fermes dans le Seigneur ».

La liturgie emprunte ce chant d’entrée de la messe in albis (jour qui suivait immédiatement la déposition des aubes blanches que les néophytes avaient porté durant tout l’octave) à l’Apôtre saint Pierre, le premier vicaire du Christ, le premier Chef de l’Église. Le verset scripturaire a été légèrement modifié : tandis que l’Apôtre parlait d’un « lait spirituel et non frelaté », il semble bien que notre introït rapporte le premier de ces deux qualificatifs aux enfants plutôt qu’au lait, car il est transcrit au pluriel (rationábiles là où l’épître porte rationábile). C’est sans doute ainsi qu’est né le thème de l’enfance spirituelle !

Un petit bébé a besoin de lait, il n’est pas encore capable de supporter une nourriture plus solide. Mais d’un autre côté, le lait maternel contient toutes les richesses dont il a besoin pour grandir. Au plan surnaturel, mystique, le lait désigne l’Eucharistie que les néophytes viennent précisément de recevoir pour la première fois. Cet aliment, fruit de la passion et de la résurrection du Christ, a de quoi nourrir les chrétiens jusqu’à l’état d’adultes, jusqu’à la plénitude de la vie chrétienne, jusqu’à la vie éternelle même, qui ne sera qu’un immense banquet eucharistique, sans le voile sacramentel. Et ainsi nous comprenons que nous sommes tous concernés par ce chant qui s’adresse non seulement au néophytes, mais à tous les enfants de l’Église. Et ainsi nous comprenons également le lien très étroit qui existe entre la Pâque chrétienne et l’Eucharistie. L’Eucharistie est le point de rencontre entre le mystère du Christ parvenu à sa plénitude et l’homme qui a faim et soif de salut. Le lait dont nous parle l’introït de ce dimanche, nourrit l’Église tout entière et fait d’elle une seule et grande famille (l’étymologie du mot famille vient d’ailleurs du mot latin fames qui signifie la faim : la famille est composée des membres qui mangent à la même table, sous le même toit.) Réjouissons-nous donc de l’heureux choix de ce chant si profond et en même temps si simple et si enfantin au plan musical, comme on va le voir.

Commentaire musical

Quasi modo

Le compositeur de notre introït ne pouvait pas faire mieux qu’emprunter sa mélodie au 6ème mode qui est précisément le mode de l’enfance spirituelle. C’est le mode de la simplicité et cette qualité enfantine éclate littéralement dans cette œuvre assez géniale. Nous sommes en présence d’un petit introït dont l’exécution, sans le verset, dure un peu plus de cinquante secondes ! La mélodie est très sobre, comme le texte lui-même, mais pleine d’un mouvement léger qui la traverse d’un bout à l’autre et qui lui donne un charme vraiment très particulier. Trois parties se distinguent nettement dans cette courte pièce : la première phrase, ponctuée par un premier alléluia, qui ne contient que l’interpellation : Quasi modo géniti infántes ; la seconde partie qui nous livre l’éducation des petits rachetés, avec le conseil spirituel d’adaptation de leur être à l’aliment qu’ils reçoivent, et la mention, poétiquement voilée, de l’Eucharistie : rationábiles, sine dolo lac concupíscite ; et enfin la troisième partie, composée des trois alléluias dont le traitement mélodique est magnifique. Un verset de joie complète ce petit bout de chant si beau et si pur.

Au plan mélodique, tout se tient à l’intérieur de la quinte Ré-La, avec un seul Sib sur rationábiles et quelques Do graves semés çà et là tout au long de la pièce. Le Fa, tonique du 6ème mode, joue un rôle primordial : sur la centaine de notes que contient notre brève mélodie, cette corde en compte à elle seule presque la moitié.

L’intonation est on ne peut plus simple et humble : quatre notes, une pour chaque syllabe, un Do et trois Ré. C’est donc de façon toute petite et douce qu’il faut commencer ce chant, mais comme cela est bien adapté au message ! Les deux accents au levé bien mis en évidence, donnent juste ce qu’il faut d’élan et de vie à ce début de pièce. L’accent de géniti, au levé également, et sur la même corde Ré que les notes précédentes, prélude à la légère montée mélodique qui culmine sur le Sol et qui, très bien rythmée avec sa répercussion sur l’attaque du podatus, donne une belle impression de fraîcheur enfantine et de simplicité. Ce mot géniti doit donc être bien mis en valeur. La mélodie se campe ensuite sur le Fa et de façon syllabique, pour revenir au Do grave du début, sur la finale de infántes. Dom Baron voit dans cette cadence de infántes l’accent de tendre fierté qui est celui des mères heureuses contemplant à loisir leur enfant, le plus beau de tous évidemment ! Il remarque aussi de façon très juste que la joie de ce début, comme celle de toute la pièce d’ailleurs, « laisse entrevoir ce qu’elle a de profond plutôt qu’elle ne se répand… Les alléluias entrent dans la sobre ordonnance de cette joie discrète comme l’expression du bonheur profond de la mère. » Ce premier alléluia se déroule avec une grande complaisance, dans un grand legato qui n’empêche pas un bel accent plein de joie. La cadence finale de cette première phrase est brève et très nette rythmiquement avec son mouvement binaire.

La seconde phrase marque un crescendo assez expressif. On va, en plein élan, vers l’accent de rationábiles, bien épanoui, qui constitue le sommet mélodique de toute la pièce, avec son Sib de tendresse. Après cette brève poussée de joie plus extérieure et plus grande, la mélodie revient sagement, raisonnablement, sur le Fa, corde autour de laquelle va s’enrouler toute la formule très simple et très douce de sine dolo. On retrouve la même simplicité charmante sur lac concupíscite qui monte d’abord avec légèreté jusqu’au La, puis redescend brièvement pour se poser en une cadence provisoire en Ré, dans la paix profond de ce mode de Ré qui apporte sa nuance tout au long de cette pièce. La deuxième phrase se termine avec la série des trois alléluias, merveilleux là encore de simplicité, d’élan, de fraîcheur naïve. Le troisième alléluia reprend à une note près, la première, la mélodie du premier. Une belle progression, rythmée par les accents des mots, nous fait aller du premier au dernier. Le premier alléluia est doux mais net au plan rythmique, tout en binaire ; le second s’accompagne d’un crescendo assez marqué, surtout une fois que la finale a été déposée en douceur : on va alors avec élan et enthousiasme vers la suite (noter la répercussion légère sur la tête de la première clivis) ; et le troisième alléluia, aussi net rythmiquement que le premier, conclut admirablement la pièce, de façon très joyeuse et sans que l’on sente le moindre ralentissement. Ces finales en plein mouvement caractérisent le 6ème mode, et souvent les chœurs ont un peu peur de leur donner toute leur netteté. Mais cela donne au contraire une belle impression de simplicité enfantine. Le verset jaillit de cet élan et manifeste la joie communautaire de l’Église à travers son invitation universelle à la louange.

Voilà un petit chef-d’œuvre qui a donné son nom et sa tonalité, comme beaucoup d’introïts grégoriens, à toute la liturgie de ce dimanche de l’octave de Pâques.

Pour écouter cet introit :

Quasimodo

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