Introit : Factus est (8e dimanche ordinaire, 2e dimanche après la Pentecôte)

Publié le 28 Mai 2016
Introit : Factus est (8e dimanche ordinaire, 2e dimanche après la Pentecôte) L'Homme Nouveau

« Le Seigneur s’est fait mon protecteur, il m’a dégagé, mis au large. Il m’a sauvé parce qu’il m’a aimé. Je t’aime Seigneur, ma force, le Seigneur est mon firmament, mon refuge, mon libérateur ».

Commentaire spirituel

Ce texte est tiré du psaume 17 (selon la vulgate) ou 18 (selon l’hébreu). C’est un des plus longs et un des plus beaux cantiques du psautier. Un psaume d’amour qui commence par ce mot tout simple (je t’aime) ce mot que les siècles n’ont pas et ne pourront jamais épuiser, ce mot qui dit tout quand deux êtres qui éprouvent ce sentiment nouveau qui les prend tout entiers cherchent à se l’avouer, ce mot qu’aucun autre mot ne parvient à égaler parce qu’il est trop simple et que sa simplicité correspond seule à la plénitude qui habite le cœur quand on aime. Ce mot là, Dieu aime qu’on lui dise, il nous le dit lui-même chaque matin, dans les splendeurs du jour qui se lève, dans la beauté rayonnante de la création, dans la douceur d’une nuit d’été qui descend et enveloppe le monde. Il nous le dit surtout dans son œuvre rédemptrice, dans le pardon que le prêtre nous donne en son nom, mais aussi dans l’amour qui naît entre un homme et une femme, alliance d’amour qui, dans le mariage, devient le signe de l’amour de Dieu pour l’humanité, et puis surtout Dieu nous dit je t’aime directement dans le sacrement de son amour, dans le baiser de son eucharistie, prolongement éternel du baiser de son incarnation. Mystère d’amour que ce merveilleux et incompréhensible échange entre le Créateur et sa créature que l’on saisit avec intensité dans la scène de l’annonciation.

Marie, la bien-aimée de Dieu, reçoit de lui le signe évident de son amour : un enfant, ce fils même qui naît éternellement dans le sein du Père et que le Père offre au monde dans le sein de Marie. Lorsque nous avons été conçu, lorsque nous sommes nés, Dieu nous a dit « je t’aime » et ce mot résonne en nous chaque jour de notre vie qui nous est donné. Et la mort elle-même n’est que la rencontre définitive de notre âme avec cet amour sans date qui fera tout notre bonheur. Dieu aime que dès ici-bas nous lui disions « je t’aime » en réponse à son initiative d’amour qui revêt tant de formes, si nous regardons bien, en nous et autour de nous. Ce cri d’amour que reprend le prophète (je t’aime Seigneur) apparaît donc dans ce beau psaume et dans le verset de notre chant d’entrée. « Diligam te Domine ». Vient ensuite l’énumération très ardente de toute les qualités du bien-aimé : ma force, mon firmament, mon refuge, mon libérateur. Ce sont des noms qui expriment ce qu’est Dieu pour une frêle créature humaine, si petite, si fragile. L’être humain est si peu de chose, mais si Dieu s’en empare et devient sa citadelle, son bouclier, son rocher, alors il devient inexpugnable. Pensons à la petite, à la toute petite Mère Térésa. Elle a déplacé des montagnes parce qu’elle était habitée par la force de Dieu. C’est cette force que nous invoquons dans ce chant d’amour. « Le Seigneur s’est fait mon protecteur, il m’a dégagé, mis au large. Il m’a sauvé parce qu’il m’a aimé. Je t’aime Seigneur, ma force, le Seigneur est mon firmament, mon refuge, mon libérateur ». On le voit bien, il s’agit d’une alliance : Dieu nous a aimés le premier, il nous a choisis, il nous a créés, il nous a tirés du néant, il nous a façonné un être, un corps et une âme, il a mis en nous sa vie divine, il nous protège tout au long de nos journées. Alors en retour nous pouvons lui dire je t’aime, nous pouvons détailler tous ce que nous aimons en Dieu, tout ce qu’il est, lui, et qui nous fait défaut, mais que nous possédons par notre union avec lui. C’est donc un chant merveilleux d’action de grâce et d ‘amour. Et ce que nous pouvons reconnaître, tous et chacun, l’Église notre mère peut le dire elle aussi, elle surtout. C’est elle, au fond, l’épouse par excellence, qui chante cet introït avec tout son cœur et tout son être, elle que le Seigneur protège depuis 2000 ans contre les attaques de l’intérieur et de l’extérieur, contre les trahisons de ses fils et contre la laideur du monde.

Commentaire musical

Factus est

D’un point de vue mélodique, ce chant d’entrée est emprunté au premier mode, le mode de la paix. Ce mode convient tout à fait à la spiritualité qui passe dans le texte. La mélodie va se déployer avec une certitude pleine de sérénité, pleine d’amour, de joie. La paix est précisément la plénitude de la joie. Il y a la paix dans une âme, quand sa joie règne de façon stable sans qu’il soit besoin désormais de combattre pour l’obtenir ou la préserver. C’est ce qu’expriment les mélodies du premier mode qui sont douces et sûres, bien appuyées, très confiantes. On sent cette paix, ici, dès le premier mot : factus est. C’est la même formule mélodique d’intonation qui sert pour les introïts Gaudeamus, ou pour l’offertoire Jubilate Deo, ou encore pour l’introït Rorate du 4ème dimanche de l’Avent, ou encore ce merveilleux et bien nommé introït Da pacem. La mélodie s’élève par un intervalle de quinte très expressif, vers la région sereine où la paix peut régner. Et tout de suite, le Seigneur est nommé. C’est lui l’auteur de la vraie paix, c’est lui notre paix. La mélodie redescend doucement sur la corde de fa, donnant à cette première formule une courbe qui correspond à un mouvement de l’âme, élevée, vers Dieu, soulevée par lui et appuyée sur lui. Le mot suivant, protector, est très expressif avec ses deux porrectus qui sont des neumes coulants, qu’il faut donc exécuter avec beaucoup de fluidité. Et dans cette fluidité passe l’amour et la complaisance de l’épouse envers son bien-aimé. Ce mot est très équilibré avec ses syllabes ternaires : trois fois trois notes, ce qui évoque pour nous la Trinité tout entière, ce qui évoque aussi une triple plénitude. Et ce Dieu protecteur qui nous enveloppe de son amour (l’amour, d’ailleurs ne peut être que trinitaire : quand on aime quelqu’un, cela ne peut pas ne pas comporter un certain fruit qui est le troisième terme de l’amour : le Saint-Esprit, en Dieu, l’enfant dans la relation conjugale, la vie spirituelle dans notre union à Dieu, une activité commune ou au moins une joie commune dans la relation d’amitié, etc.).

Oui, ce Dieu protecteur qui nous entoure de son amour, c’est  mon Dieu (protector meus) et on peut voir une fois encore comme le pronom possessif est ici bien mis ne valeur : il atteint le sommet mélodique de ce membre de phrase, et il nous laisse sur la dominante La du premier mode, comme dans une extase de l’amour contemplé. Nous sommes emmenés, avec ce chant, au-delà de ce monde visible, à travers cette progression ternaire légère et douce, vers la possession tranquille, paisible de notre Dieu. C’est une fin, mais c’est aussi un départ, car avec le deuxième membre, la mélodie s’élance encore avec énergie pour atteindre le Do puis le Ré sur eduxit me. Ce verbe eduxit qui signifie précisément conduire, fait penser au psaume du bon berger. «Le Seigneur est mon berger, rien ne me manque. Sur des prés d’herbe fraîche il me parque. Vers les eaux du repos il me mène,  il y refait mon âme ; il me guide aux sentiers de justice à cause de son nom. Passerais-je un ravin de ténèbres, je ne crains aucun mal car tu es près de moi ; ton bâton, ta houlette sont là qui me consolent. Devant moi tu apprêtes une table face à mes adversaires ; d’une onction tu me parfumes la tête, ma coupe déborde. Oui, grâce et bonheur me pressent tous les jours de ma vie ; ma demeure est la maison du Seigneur en la longueur des jours.» Ici, le Dieu protecteur emmène l’âme vers le grand large, vers les grands espaces de la vie spirituelle, de la vie éternelle (in latitudinem). Ici, c’est l’envol mélodique qui correspond à l’extase de l’âme épanouie en son amour. Inutile de préciser que ce mot (in latitudinem) doit être chantée de façon large et éclatante. C’est vraiment un magnifique épanouissement, très bien fixé, en fin de phrase, par le torculus épisémé qui établit bien la cadence sur La, dans cette atmosphère de paix si caractéristique du premier mode. On est au ciel et on n’en bouge plus, on n’a plus envie de bouger. Et pourtant, nous savons bien que notre condition terrestre n’est pas celle de la stabilité dans l’éternité. Tant d’obstacles dans notre vie à la paix, à la sérénité ! Nous sommes tiraillés sans cesse par de vraies épreuves comme aussi par les froissements de notre amour propre qui se blesse trop facilement. Et la paix s’en va, jusqu’à la prochaine grâce. Dieu permet cela, il se retire parfois de notre âme pour ré-activer en nous le désir, pour nous montrer aussi que la paix est un don, une grâce, que nous ne pouvons conquérir et préserver avec nos seules forces. Il nous faut le demander. Nous sommes des êtres mendiants. La paix relève du salut. Et la deuxième phrase commence justement avec l’évocation du salut. Mais comme ce passé simple est touchant : il m’a sauvé.

Oui, le Seigneur a déjà opéré notre salut, il nous a montré sur le bois de la croix, jusqu’où a pu aller son amour pour nous. Il a donné à notre espérance la certitude la plus ferme, au spectacle de cette mort qui nous a valu la vie, et la vie en plénitude, c’est-à-dire non seulement le pardon de nos péchés, mais aussi la grâce et tout le cortège des vertus et des dons, toute cette vie théologale et surnaturelle qui désormais s’écoule en nous et se renouvelle à travers notre pratique sacramentelle. Sur salvum me fac, la mélodie se fait plus humble. L’âme considère l’acte sauveur qui s’est appliqué à elle alors même qu’elle n’existait pas encore. Nous n’étions pas au calvaire, mais nous étions déjà dans la pensée et dans le cœur de Jésus. Bien plus, ce chant d’entrée semble remonter jusqu’au plus haut point de notre prédestination, dans ce décret créateur qui incluait déjà notre rédemption. Le Seigneur m’a sauvé parce qu’il m’a voulu. Quel mystère, dans ce mot voluisti. Pour Dieu, vouloir et aimer, c’est un seul et même acte. Quand Dieu veut quelque chose, c’est qu’il l’aime et ce vouloir et cet amour débouche forcément sur un acte  créateur. Il dit, il veut et cela est. Pour nous au contraire, vouloir et aimer sont souvent dissociés. Il nous arrive hélas de vouloir quelque chose en dehors de notre amour. Il nous arrive de vouloir par haine, de vouloir le mal. En Dieu, tout est un, tout est simple, total, Dieu est amour et tout puissant, son vouloir est un acte d’amour qui pose et conserve dans l’être l’âme bien-aimée. Regardez comme la mélodie se complaît amoureusement sur chacune des syllabes de ce verbe voluisti dans lequel nous sommes enveloppés comme dans l’amour créateur et rédempteur. Les neumes se serrent, se multiplient, s’étalent enfin en une cadence de paix qui finit sur me, ce petit moi, objet d’une incompréhensible dilection.

Pour écouter cet introit :

Factus est intro

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