Introit In omnis terra

Publié le 16 Jan 2016
Introit In omnis terra L'Homme Nouveau

« Que toute la terre t’adore, ô Dieu, et chante pour toi. Qu’elle chante un hymne à ton nom, ô Très Haut. Jubile pour Dieu toute la terre, chante un hymne à son nom, rends gloire à sa louange. »

(Deuxième dimanche après l’Épiphanie ou Deuxième dimanche ordinaire).

Il s’agit d’un chant d’entrée entièrement psalmique, il est tout emprunté au psaume 65 (selon la vulgate, ou 66 selon l’hébreu). Un psaume de louange dont les premiers versets multiplient les termes musicaux. Notre chant d’entrée est une composition des versets 4 pour l’antienne et 1 et 2 pour le verset.

Pour ce qui est du contexte liturgique, nous sommes toujours dans la proximité et comme le rayonnement de la fête de l’Épiphanie. C’est toujours l’enfant nouveau né et en même temps le roi de l’univers que nous fêtons, d’où cette conjonction des deux thèmes dans la liturgie de Noël et de l’Épiphanie : quelque chose d’intime et quelque chose de grandiose. Et on retrouve ces deux dimensions dans ce chant d’entrée. Ici, on peut dire que c’est le texte et la mélodie qui se départagent. Le texte est plutôt à la grandeur, à la solennité, à l’universalité ; par contre, on le verra, la mélodie est plus intérieure, plus contemplative. Et cela donne un chant assez contrasté mais très beau parce qu’il manifeste encore une fois la force du chant grégorien qui sait contenir des magnificences dans l’humilité et la sobriété de ses mélodies. Le résultat est d’autant plus expressif quand on sait entrer dans ce style de composition aux nuances si délicates.

Chanter pour Dieu

Revenons au texte. Le psalmiste, en l’occurrence l’Église ou l’âme chrétienne dans sa prière, invite toute la terre à chanter pour Dieu. La prière chrétienne, beaucoup plus que la prière juive de l’ancien testament, est catholique, c’est-à-dire universelle. Pour un juif, membre du peuple élu, le salut est d’abord réservé à une portion restreinte de l’humanité. Les nations, les païens ne sont guère qu’invités à reconnaître cet état de fait, à l’admirer, mais sans être vraiment admis à jouir du privilège de l’amitié divine. Bien sûr il y a eu une lente évolution, une lente purification de cette idée dans des textes prophétiques qui indiquent bien clairement que même si le salut vient des juifs, il est aussi destiné par leur intermédiaire à toute l’humanité. C’est une annonce prophétique de l’Église fondée par le Christ et envoyée par lui évangéliser le monde entier et tous les peuples. Et saint Paul ne s’y est pas trompé, lui qui a fait l’exégèse de ces textes et qui en a composé un petit florilège à l’usage des communautés chrétiennes. Il écrit cela aux Romains, au chapitre 15, mais c’est tout le thème de cette grande épitre.

« Que le Dieu de la constance et de la consolation vous accorde d’avoir les uns pour les autres la même aspiration à l’exemple du Christ Jésus, afin que d’un même cœur et d’une même bouche vous glorifiiez le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ.  Aussi soyez accueillants les uns pour les autres, comme le Christ le fut pour vous à la gloire de Dieu. Je l’affirme en effet, le Christ s’est fait ministre des circoncis à l’honneur de la véracité divine, pour accomplir les promesses faites aux patriarches, et les nations glorifient Dieu pour sa miséricorde, selon le mot de l’Écriture : C’est pourquoi je te louerai parmi les nations et je chanterai à la gloire de ton nom ; et cet autre : Nations, exultez avec son peuple ;  ou encore : Toutes les nations, louez le Seigneur, et que tous les peuples le célèbrent. Et Isaïe dit à son tour : Il paraîtra, le rejeton de Jessé, celui qui se dresse pour commander aux nations. En lui les nations mettront leur espérance. Que le Dieu de l’espérance vous donne en plénitude dans votre acte de foi la joie et la paix afin que l’espérance surabonde en vous par la vertu de l’Esprit Saint. »

On a là quasiment un commentaire de notre chant d’entrée.
Mais je voudrais revenir sur le thème de la louange. C’est une des caractéristiques du chant grégorien qui me frappent le plus. Le chant grégorien est essentiellement une louange. Il exprime dans la vaste étendue de son répertoire et sous une forme achevée toutes les nuances expressives de la prière chrétienne. En lui, on retrouve, à l’état incandescent, si l’on peut dire, les différentes formes de prière : la prière de demande, la supplication, la louange, l’action de grâce. Mais ce qui est remarquable et assez significatif des compositions les plus anciennes, c’est le primat de la louange. J’ai pu remarquer, depuis 25 ans maintenant que je chante jour après jour cette liturgie mise en musique sur les mélodies grégoriennes, combien l’âme chrétienne antique sait s’oublier devant la beauté de Dieu, comment elle sait l’admirer, la louer, la chanter sans retour sur elle-même, sans ce regard sur soi qui est devenu comme un réflexe psychologique de l’âme moderne. Beaucoup de pièces grégoriennes sont de la louange toute pure, et c’est exactement le cas de notre chant d’entrée ici. Il n’est question que de louange.

« Que toute la terre t’adore, ô Dieu, et chante pour toi. Qu’elle chante un hymne à ton nom, ô Très Haut. Jubile pour Dieu toute la terre, chante un hymne à son nom, rends gloire à sa louange. »

Il n’y a pas une demande dans ce chant, il n’y a même pas un souci d’orienter la splendeur de Dieu et de son mystère vers le cœur de l’homme. Non, c’est gratuit, et c’est ça la louange et c’est ça l’amour et c’est ça le bonheur. Et c’est pour cela que je crois vraiment que le chant grégorien se présente à nos contemporains comme un remède psychologique à bien des maux, à bien des souffrances, à bien des complexes, ou des problèmes relationnels dont on est incapable de sortir et qui nous rendent malheureux comme tout. Dieu est là comme un être magnifique. La Bible est tout entière pleine de ses faits et gestes grandioses et bouleversants d’intimité. Dieu s’est manifesté dans l’histoire des hommes; il continue de le faire, il a jonché notre pays d’églises, petites ou grandes, toutes plus belles les unes que les autres, témoins merveilleux du passage de Dieu dans notre histoire. Dieu est là, et le louer est une activité qui nous guérit en nous élevant vers ce pour quoi nous sommes faits. La louange gratuite est radicalement opposée au matérialisme qui rive l’homme au plaisir inférieur, à travers une dépendance humiliante à l’égard de biens inférieurs.

Analyse musicale

In omnis terra

Notre chant d’entrée est composé de deux grandes phrases musicales, elles- mêmes divisées en deux parties, chacune introduite par une note longue. La première phrase : Omnis terra adoret te, Deus (premier membre) et psallat tibi (deuxième membre). La deuxième phrase : Psalmum dicat nomini tuo (première et deuxième incises) et altissime (deuxième incise). Cela donne à ce chant quelque chose de très balancé, de très paisible. D’autant que les deux phrases ont presque la même facture mélodique (regardez les mots adoret et et nomini, les mots omnis terra et psalmum dicat, les mots te Deus et psallat tibi. C’est un chant de louange, mais la mélodie est très contemplative, très intérieure, très stable, très paisible et tranquille. C’est un chant tout simple et profond, typique du quatrième mode qui est le mode de la contemplation et de l’intimité adorante. regardez d’ailleurs ce mot adoret et voyez comment il est traité avec cette belle courbure que je vous ai déjà soulignée, ce bel arc roman, dès que ce mot est employé dans une mélodie grégorienne. Il faut mettre dans ce mot comme dans celui de Deus et de Altissime beaucoup de complaisance et d’amour. C’est un désir qui s’élance avec ardeur vers les hauteurs et redescend comblé par l’activité contemplative. C’est très beau cette alliance entre l’ardeur et la paix, cela se conjugue admirablement sur les mélodies grégoriennes. L’ardeur du désir doit se manifester dans les élans mélodiques sur adoret et nomini. Et la paix s’exprime dans la douceur des retombées. Quant aux longues qui commencent les membres de phrase, elles sont elles-aussi en élan et en douceur, et ce n’est pas si facile que cela à rendre. Enfin le psaume, lui, est très joyeux, très alerte, en contraste. Il redit presque la même chose que le corps de l’introït, mais sans fioriture mélodique, tout à la joie fraîche du psalmiste.

Pour écouter cet introit :

Omnis terra

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