Introit Suscepimus pour la Fête de la Présentation du Seigneur au temple

Publié le 31 Jan 2016
Introit Suscepimus pour la Fête de la Présentation du Seigneur au temple L'Homme Nouveau

« Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton temple. Comme ton nom, ô Dieu, ainsi ta louange couvre l’étendue de la terre, ta droite est remplie de justice. Le Seigneur est grand et digne de toute louange, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte ». (Psaume 47, 10, 11, 2)

Commentaire spirituel

Le psaume 47 d’où est tiré ce chant d’entrée est un hymne à Yahvé et au mont Sion qu’il a choisi pour demeure. Il était chanté semble-t-il au cours d’une procession à laquelle prenaient part des pèlerins venus de tous les horizons, proches ou lointains. Une admiration et un amour universels unissent ensemble le Dieu unique et la montagne sainte sur laquelle sont édifiés la cité de Dieu et le temple de sa gloire. C’est une vision de splendeur qui est proposée aux pèlerins montant vers la beauté de Dieu incarnée dans celle d’une ville. Texte magnifique, enthousiasmant, qui a été choisi fort à propos pour la circonstance liturgique du 2 février. On ne peut pas ne pas être saisi par le contraste qui apparaît entre la majesté grandiose du psaume et l’humilité de ce jeune couple qui s’avance, anonyme, perdu au milieu de la foule, pour conduire leur enfant au temple de Jérusalem. La femme qui s’avance, portant son petit dans ses bras, est une femme comme les autres, une femme pauvre qui n’a pas de quoi s’acheter un agneau pour le rachat rituel de son fils et qui doit se contenter de l’oblation de deux jeunes tourterelles. Cette toute jeune mère de 16 ou 17 ans peut-être, inaperçue des hommes et inconnue d’elle-même, est pourtant celle sur qui le Seigneur a jeté un regard de prédilection. Elle est l’immaculée, elle est la plus belle des femmes et des mamans, elle est la nouvelle Ève. L’enfant qu’elle porte au temple est précisément le maître de ces lieux, le Seigneur de gloire que chante le psaume 47. Rien ne le laisse paraître. C’est un petit d’homme comme les autres, fragile et dépendant comme tous les nourrissons. Il n’a pas d’armée ni de garde personnelle, il n’a que le fidèle Joseph pour le défendre, le nourrir. Il attend tout de lui. Seule la foi peut dépasser ces apparences qui sont si humbles, si troublantes. C’est de cette foi que sont remplis les deux vieillards Siméon et Anne qui ont bien deviné le Dieu caché entrant dans son sanctuaire. Voilà le contexte biblique et liturgique de notre chant d’entrée. L’Église contemple cet événement avec la hauteur que lui a donnée l’Esprit-Saint. Elle lit l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau et elle voit dans le Nouveau l’accomplissement des prophéties de l’Ancien. Son chant de triomphe accompagne le cortège familial qui se dirige vers le sanctuaire, vers le Dieu très haut. Elle a lu, dans les récits de l’ancienne alliance, de quelle manière le Seigneur venait prendre possession de son sanctuaire : « Voici que la gloire du Dieu d’Israël arrivait du côté de l’orient. Un bruit l’accompagnait, semblable au bruit des eaux abondantes, et la terre resplendissait de sa gloire…Alors je tombai la face contre terre. La gloire de Yahvé arriva au Temple par le porche qui fait face à l’orient. » (Ézéchiel, 43, 1-4) Et l’Église reconnaît en ce Jésus tout petit ce Seigneur de gloire. Elle peut chanter alors en toute vérité : « Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton temple. Comme ton nom, ô Dieu, ainsi ta louange couvre l’étendue de la terre, ta droite est remplie de justice. Le Seigneur est grand et digne de toute louange, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte ».

D’une certaine manière, ces paroles conviennent mieux encore à la nouvelle alliance qu’à l’ancienne, à cause notamment de la mention de la miséricorde. Bien sûr, cette notion est déjà très présente dans de nombreux textes de l’Ancien Testament, à commencer justement par ce verset de psaume. Mais avec la venue du Messie, la miséricorde s’est incarnée, elle s’est rendue beaucoup plus manifeste, beaucoup plus concrète. Le texte de l’introït, plus encore qu’à la venue du Seigneur dans le temple, s’applique au mystère de l’incarnation dans son ensemble et au mystère de Noël en particulier. Le fait que Dieu se soit fait petit enfant pour commencer l’œuvre du salut est à lui seul une manifestation merveilleuse de la miséricorde divine. D’une certaine manière, c’est l’Église qui reçoit son Sauveur dans le sein de Marie qui est le vrai et le premier temple de la nouvelle alliance. Notre chant d’entrée qui, selon cette dernière interprétation, prend l’allure d’un chant nuptial, est donc aussi un chant marial. Dieu vient épouser la nature humaine, celle-ci comme une épouse recevant la tendresse de son époux, l’accueille dans les entrailles de Marie qui sont à juste titre comparées à une chambre de noces. La miséricorde est le nom de l’amour de Dieu dans un contexte de salut et de péché pardonné. Elle est d’ailleurs un attribut divin qui convient si bien à la Sainte Vierge. Si Jésus s’est montré miséricordieux tout au long de sa vie terrestre, il le doit bien sûr à son Père, qui est riche en miséricorde, comme dit saint Paul, mais aussi à sa Mère qui a fait passer dans son humanité, les traits de son propre caractère.

Commentaire musical

introit suscepimus

Dom Gajard définit d’un mot le caractère musical de ce chant d’entrée en le qualifiant ainsi : « C’est d’abord un merci à Dieu de tout ce qu’il a fait pour l’humanité… mais un merci joyeux, affectueux, filial : tout y est naturel, simple, allant, gracieux, au début du moins. Ce n’est pas l’action de grâces solennelle ; on est joyeux, on se sent aimé, et on chante, voilà tout. ». C’est l’interprétation de toute la première phrase. Il s’agit d’un 1er mode, le mode de la paix, et cela se sent d’emblée, dès l’intonation qui est typique et qui fait penser à l’introït Gaudeamus ou à l’offertoire Jubilate. Le mot misericordiam est doucement enveloppé, avec un accent bien mis en valeur par le double Do aigu. Tout est léger, sans qu’on ait besoin de forcer aucunement les voix. Le tempo est soutenu par l’élan d’un paisible enthousiasme. Aucun excès, mais de la légèreté, partout.

Avec la deuxième phrase, l’atmosphère change. On est d’ailleurs passé d’un verbe au passé simple (suscepimus : nous avons reçu) à une phrase au présent. De plus on est passé de l’action de grâces à la louange. Enfin, on est passé d’un verbe à la première personne du pluriel (nous) à un verbe à la troisième personne du singulier. Il ne s’agit plus de nous qui avons reçu la grâce et l’amour de Dieu, mais de Dieu lui-même. Pour toutes ces raisons, amplement suffisantes, un changement très net se fait sentir. Au plan strictement mélodique, c’est déjà bien visible : la mélodie de la première phrase se campait autour du La, surtout et du Fa. Elle touchait quelquefois le Do, plus par manière d’annonce d’ailleurs. Avec la deuxième phrase, le Do aigu devient clairement la note dominante, attractive, le La n’étant plus qu’une note d’appui ou de retombée. En outre, les neumes très légers de la première phrase ont laissé la place à des neumes plus larges, et dom Gajard remarque que c’est vrai dans toutes les familles de manuscrits. L’humble merci a fait place à la grande louange. Et le chant s’envole et s’étoffe. Le sommet de la pièce est atteint sur le mot nomen, au tout début de la deuxième phrase. Jusqu’au bout on va rester dans la contemplation de ce nom bien aimé. L’âme, l’Église, est fixée sur les hauteurs, elle regarde et elle aime, dans une sorte d’extase de louange. Oublieuse d’elle-même, du bienfait qu’elle a reçu, elle se donne. Et dom Gajard remarque très profondément que ce passage de la simple contemplation à la grande louange admirative est caractéristique de ce qu’il appelle la méthode d’oraison de l’Église. C’est très juste, cela. Dans la liturgie, l’Église se manifeste vraiment comme une maîtresse d’oraison. Mais on peut dire qu’elle n’enseigne pas l’oraison, elle la vit. Très souvent, dans les pièces grégoriennes, on la voit se mettre en oraison en commençant par méditer simplement, par exemple un attribut divin qui la concerne (ici la miséricorde). Et puis, de façon plus ou moins soudaine, on pourrait dire selon la violence de l’Esprit qui la ravit comme de force, elle est emportée dans sa contemplation et elle éclate en une louange qu’elle ne semble plus maîtriser. Elle est toute entière alors sous l’influence de l’Esprit qui joue en elle comme sur une lyre et lui fait rendre les sons c’est-à-dire les sentiments les plus divins. C’est peut-être là que réside surtout le génie spirituel de l’art grégorien, ce qui fait son incomparable supériorité par rapport aux autres répertoires de musique sacrée. On peut penser que ses compositeurs n’étaient pas seulement des artistes mais aussi et surtout des saints et même des mystiques, des âmes d’oraison qui vivaient profondément les mystères du Christ, et qui se laissaient inspirer par eux au sens le plus fort, vraiment.

On peut revenir à notre chant d’entrée pour conclure. La pièce se termine en revenant au grave, non pas dans l’atmosphère joyeuse du début, mais dans une paix solide. Ça aussi c’est une des grâces du chant grégorien. Il finit toujours dans un mouvement intérieur, il recueille en plénitude le fruit de sa contemplation, il fait éprouver le sentiment ultime du salut qui est la paix, la paix après le combat, la paix qui ne finit pas, la paix qui est vie profonde et immense comme l’éternité. Cette mélodie qui s’apaise et qui revient sagement au Ré, finale du 1er mode, évoque la plongée de l’âme dans l’océan de paix qui est Dieu. Ici, le dernier mot, c’est la main de Dieu, cette main pleine de justice et de miséricorde, cette main paternelle et vivifiante dans laquelle il fait si bon se réfugier.

Pour écouter cet introit :

Suscepimus

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