Les mystères de la Sainte Famille

Publié le 20 Jan 2018
Les mystères de la Sainte Famille L'Homme Nouveau

« Par l’Esprit Saint, Il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme. » 

Selon les Pères de l’Église, ce mystère de la conception virginale devait demeurer incompréhensible à Satan, de sorte que, voyant Marie épouse et mère, le démon ne soupçonnerait pas l’Enfant qu’elle avait mis au monde d’être cet Homme Dieu qu’il avait, dans l’éternité, refusé d’adorer afin de ne pas abaisser sa nature angélique devant le Verbe incarné. Saint Ambroise ajoute qu’en donnant un époux à Marie, Dieu choisit de préserver l’honneur et la réputation de la Comblée de grâces et accepta de passer pour le simple fils du charpentier de Nazareth.

Ainsi se constitua cette Sainte Famille, modèle de toutes les familles chrétiennes de la terre alors même qu’elle s’en distinguait si nettement.

En ce temps de Noël, devant les crèches de nos foyers ou de nos églises, mesurons-nous vraiment ce que signifie cette petite trinité du Fils, de la Mère, et du père nourricier devenu en toutes choses lieutenant de Dieu dont il tient la place auprès de Jésus et de Marie ?

Un spiritain, le Père Lucien Deiss, dans un petit livre intitulé Joseph, Marie, Jésus (Éditions Saint-Paul, 207 p.) invite à y réfléchir et, très vite, malgré la simplicité voulue de son propos, l’on se sent pris de vertige devant l’abyssal mystère de l’Incarnation. Que signifient donc ces mots qui font plier le genou : « et homo factus est. » ?

Scruter l’humanité du Christ, bien que cela soit évidemment plus appréhendable à nos intelligences limitées que Sa divinité, ne va pas cependant sans danger car comment séparer, dans le Sauveur, ce qui est de la nature humaine et ce qui est de la nature divine réunies par l’union hypostatique ? Bien des théologiens ont risqué l’hérésie en se confrontant à ce mystère… 

La touchante originalité du Père Deiss est de tenter de percer la psychologie de Jésus en se demandant quelle éducation Il reçut de Celle à laquelle, génétiquement, Il ne pouvait que ressembler, et quel exemple lui vint de celui qui lui tint lieu de père en ce monde. À travers ce que les évangiles nous livrent des personnalités de Marie et de Joseph, à travers les façons d’être et de penser du milieu juif dans lequel ils vécurent, voici une merveilleuse méditation sur la manière dont put se former la sensibilité et la tendresse du Christ. L’on y découvre comment tout l’évangile du Fils fait écho au Magnificat de la Mère, comment les gestes et la piété du charpentier de Nazareth et de son épouse ont nourri celle du Fils, comment avec eux Il apprit l’attention aux beautés de la nature, l’amour de la Création, le souci des animaux et des plantes.

Bien sûr, il y a nécessairement là dedans une part d’imaginaire et toutes les limites imposées par nos façons trop humaines d’appréhender une indicible réalité, parfois aussi une tendance à oublier un peu la nature divine mais l’on ne peut qu’être touché par la beauté de ces méditations qui illustrent cette prodigieuse nouvelle : « et le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous. »

Ces considérations ont été longtemps réservées à quelques clercs savants et, pour les dispenser aux simples, il fallait user d’autres moyens que l’écrit. Le vitrail et la peinture, s’ils parlaient à tous, s’adressaient d’abord à eux puisque l’art sacré se voulait catéchèse et leçon, permettant aux illettrés de pénétrer les grandes vérités du Salut. Les savants pétris de théologie et de culture n’étaient pas pour autant exclus de ces œuvres, dont ils étaient invités à décrypter le message à un autre niveau, à travers des codes obligés et des symboles, alors familiers d’ailleurs au plus grand nombre. 

Ainsi, le même thème évangélique se retrouvait au fil du temps et d’œuvre en œuvre, enrichi de génération en génération de nouvelles réflexions et des sensibilités de chaque époque.

Pourtant, ce qui, jadis, apparaissait lumineux, transparent à nos aïeux, a peu à peu perdu pour nous sa signification. Saturés d’images, nous ne savons plus, en réalité, regarder. Toujours plus détachés des enseignements du christianisme, nos contemporains ne possèdent plus les références, fussent les plus basiques, leur permettant de décrypter la peinture religieuse.

Partant de ce constat affligeant, les éditions DDB proposent à travers huit toiles peintes entre 1440 et 1617, signées Fra Angelico, Van der Weyden, Lotto, Zurbaran et Jordaens, d’apprendre ou réapprendre à voir la Nativité (Sophie de Gourcy : Apprendre à voir la Nativité. Desclée de Brouwer, 125 p., 24 €.)

Conférencière, spécialiste de l’histoire de l’Art, Sophie de Gourcy commente chacune de ces œuvres, insistant sur les détails éclairants, soulignant l’évolution de la sensibilité catholique, de la devotio moderna à la Contre Réforme, et met en évidence les mises en valeur successives du rôle de Marie et de Joseph, de l’Eucharistie ou de la Passion. Ce bel album joint donc à l’agrément des yeux une authentique nourriture pour le cœur et l’âme.

 Du même esprit procède un autre album, L’enfance de Jésus selon Fra Angelico de Michel Feuillet. (Desclée de Brouwer. 145 p. 24,90 €.)

Dans l’église florentine des Servites de Marie se trouve une fresque de l’Annonciation selon la Tradition directement peinte par les anges. Cette Annunziata très vénérée, réputée miraculeuse, attire les foules, en particulier le 25 mars et, en remerciement des grâces obtenues, les pèlerins ont l’habitude d’offrir à la communauté des ex-voto d’argent, parfois d’une valeur considérable. Ces objets précieux s’amoncelant, Pierre de Médicis, désireux de les protéger des voleurs, fit, en 1448, fabriquer un coffre-fort, l’armadio degli argenti, l’armoire des argenteries, d’un genre assez particulier. En effet, si l’objet a d’abord valeur utilitaire, le commanditaire veut aussi qu’il soit beau et c’est pourquoi il s’adresse au dominicain Giovanni da Fiesole, artiste d’une grâce si parfaite que la postérité lui donnera le nom de « frère Angélique », afin que celui en orne la porte et les côtés d’une série de quarante et un tableautins représentant des scènes de l’évangile.

Démembré en 1782, parce que devenu inutile et parce que le style de Fra Angelico ne correspond pas au goût des Lumières, l’armadio perd une partie de ses panneaux. Les trente-cinq sauvés de ce désastre sont aujourd’hui exposés au couvent San Marco de Florence. Neuf d’entre eux illustrent les évangiles de l’enfance.

Ce sont eux que Michel Feuillet invite à contempler, en alternance avec huit représentations de la Vierge à l’Enfant parmi la soixantaine peinte par Fra Angelico.

De l’Annonciation au recouvrement de Jésus au Temple, le peintre dominicain a mis toute son âme et tout son talent. Certains de ces tableautins, telle la fuite en Égypte, très souvent reproduite, nous sont familiers. D’autres moins et il est en général difficile de les admirer dans le détail. Là encore, c’est un bonheur, en suivant un auteur érudit mais soucieux de rester accessible, d’entrer dans le mystère de ces scènes et d’en comprendre la symbolique. Le massacre des Saints Innocents tranche, dans cette suite, sur le style habituel de Fra Giovanni, chez qui la douceur, la suavité, la délicatesse et l’amour se mariaient avec tant d’harmonie. Il faut s’y arrêter tout spécialement, moins peut-être pour l’expression de la douleur et du désespoir de ces mères serrant dans leurs bras leurs enfants égorgés que pour les terrifiants visages des bourreaux. Sous leurs casques noirs, dans une sorte de vision prémonitoire, ou une compréhension terrible de la nature humaine dans ce qu’elle peut avoir de pire, l’Angélique a peint toute l’horreur, la violence, la cruauté du monde. Beaux parfois comme des anges déchus, ces hommes ont un regard glacé, mort, sans expression, ou, au contraire, empli d’une joie infernale face à la souffrance qu’ils infligent.

Regardez cette image, non moins rayonnante de lumière et de couleur, d’ailleurs, que tout le reste de l’œuvre de Fra Angelico et qui suffirait à réfuter toutes les accusations de mièvrerie qui lui sont parfois adressées. N’est-il pas surprenant qu’elle ait soudain cessé de parler aux cœurs en cette fin du XVIIIe siècle qui, en ses ultimes années, allait donner naissance, avec la Révolution française, à tous les cauchemars totalitaires des époques à venir, dont elle est pourtant la foudroyante et terrible allégorie ?

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