Brillant chef d’orchestre, pianiste virtuose, poète et dramaturge, Carl Maria von Weber (1786-1826) était aussi un catholique convaincu. Son sentiment profond de la nature trouve un écho dans l’âme de nos contemporains.
Celui qui a perçu le frémissement des feuilles, qui a humé les parfums des arbres et qui a admiré le reflet des rayons du soleil dans la rosée du matin, caressant çà et là les frondaisons le long des chemins sylvestres, a déjà dégusté ce qu’il y a de plus caractéristique dans la musique de Carl Maria von Weber. Cet artiste, issu d’une petite noblesse d’Allemagne du Nord et d’une mère Viennoise, incarnera pendant sa courte vie le véritable idéal romantique, précurseur génial du drame musical et de l’opéra en allemand.
Élevé par un père original qui avait fondé une troupe de théâtre familiale, le jeune Weber connut une vie itinérante et peu disciplinée avant de devenir pianiste de grand renom, puis, à dix-huit ans, chef d’orchestre à Breslau, puis à Prague et enfin à Dresde. Il mourut prématurément à l’âge de 40 ans, de tuberculose, à Londres, où il était allé présenter ses œuvres. Malgré ce départ précoce, on lui doit une profusion de pièces originales pour son époque, dont l’Invitation à la valse pour piano, des messes, des cantates, des chœurs et de la musique de chambre. Le concertino pour cor, les deux concertos pour clarinette et son quintette avec instruments à cordes révèlent des harmonies nouvelles empreintes d’une poésie intense.
Artiste lyrique
Mais c’est dans le domaine de l’art lyrique surtout que Weber se montre comme innovateur. Son chef-d’œuvre, Le Freischütz, est une sorte de manifeste en son temps du romantisme et de l’opéra allemand. On y retrouve le mystère de la grande forêt grâce à une instrumentation enrichie de timbres expressifs – les cuivres, les bois et les cordes s’emploient dans leur diversité pour caractériser les personnages et leurs sentiments propres. L’ensemble évoque une intime communion avec la nature; le lyrisme des chœurs emprunte des mélodies proches du folklore national. Weber innove aussi dans l’enchaînement des airs en créant un mouvement dramatique ininterrompu qui deviendra plus tard le principe du leitmotiv cher à Wagner. Il voulait composer «des mélodies traversant l’œuvre comme des fils légers, lui donnant une consistance spirituelle ».
Cette poésie romanesque nous fait pénétrer dans une contemplation muette devant la création divine. Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste pour apprécier les volutes mystiques de cette musique dans laquelle la forêt sert de métaphore pour la vie intérieure, et où le son du cor ressemble à l’appel de Dieu. Selon le musicologue Vuillermoz, Weber « concevait son art comme un apostolat et cherchait à éduquer le goût de la foule ». Comme le fit plus tard Wagner, Weber voulait s’éloigner des conventions scéniques frivoles répandues à cette époque-là en France et en Italie. Cependant, l’élément littéraire chez Weber reste confiné dans sa musique.
À part son Freischütz, les livrets d’Euryanthe et d’Obéron manquent souvent de cohérence et de logique. Mais le genre provenait alors du Singspiel allemand où alternaient chant, dialogues parlés et chœurs. Son mérite de composer dans ces conditions n’en est donc que plus grand. Le Beau chez Weber est étroitement lié au Bien. Il décrit un monde idéal où l’amour et la nature sont les vrais vainqueurs du Mal.
La magie wébérienne
Certaines aspirations de notre vie actuelle trouvent leur écho dans des résonances de la magie wébérienne: la conscience écologique, par exemple, est un signe des temps par lequel l’homme cherche à préserver ce que Dieu nous a donné avec tant de libéralité. Écouter les accents romantiques du Freischütz nous plonge dans cette admiration devant tout ce qui nous dépasse, et que trop de gens ont oublié. Avec Weber, promenons-nous donc dans les bois pour cueillir au son du cor, le bouquet de cette contemplation bienfaisante.
Pour aller plus loin :
Judith Cabaud
En route vers l’infini, musique et foi (portraits de musicieux)
Éditions de L’Homme Nouveau, 268 pages, 19 €