> L’Éditorial du Père Danziec
« Un Noël à Alger, je peux pas t’expliquer ! » Ces mots ont valeur de gémissement dans la bouche de Jean-Pax Méfret. Avec sa voix chaude et rocailleuse, le chanteur d’Occident laissait en effet passer, dans ces paroles, toute sa mélancolie de pied-noir. Ces 25 décembre dans la ville de son enfance, le pays de ses racines, ces Noëls fêtés dans la Casbah d’« Alger la Blanche », comment les décrire depuis son exil contraint en métropole ?
Mais, qu’il se déroule à Alger, s’arrose à Paris, se célèbre à Rome ou s’illumine en Alsace, peut-on véritablement expliquer Noël ? La messe de minuit reste un mystère. Celui de l’Incarnation. Réalité inouïe de la divinité se faisant chair. D’un Fils de Dieu nous montrant son visage. Le voilà l’inexplicable cadeau de Noël : Dieu vient habiter parmi nous.
Comment cela se fait-il ? Des livres entiers ne suffiraient pas (Jean 21, 25) pour expliquer cet intime secret. Il y a, du reste, toujours quelque chose de vain et de piètre à tenter de percer un mystère. Il serait plus raisonnable de se laisser adouber par lui. Se mettre à genoux et joindre ses mains. Se recueillir auprès de la mangeoire de Bethléem. S’étourdir devant un miracle, à la fois si simple et si vertigineux. « Quand le mystère se fait trop impressionnant, il n’y a qu’une chose à faire, c’est de lui obéir », confie Antoine de Saint-Exupéry au chapitre II du Petit Prince.
Noël s’impose à nous
Oui, Noël ne s’explique pas, il s’impose à nous. Non à la façon d’un énième remaniement ministériel ou d’une hausse d’impôt. Non comme le passage obligé d’un calendrier qui perd ses feuilles comme d’autres perdent leurs cheveux, les mois avançant. Non, Noël a d’autres manières.
Sa magie se répand dans nos esprits sans que nous ayons besoin, forcément, de partir en retraite dans un monastère ou de flâner place de Broglie à l’heure du Christkindelsmärik. Noël s’impose à chacun comme la croissance à l’heure de l’adolescence. Un changement d’atmosphère, irrésistible. La crèche infuse les âmes qui savent conserver les étincelles de l’enfance.
Que l’on soit premier en catéchisme ou badaud des grands boulevards, Noël s’invite chez tous, diffusant dans son sillage lumineux son cortège de bienfaisances. Telle une liturgie du cœur, la Nativité déploie ses couleurs, ses fastes, ses scintillements. Elle possède ses mélodies et ses rites, s’accompagne de ses coutumes, fait valoir son climat et ses odeurs. Elle se décline, malgré nous, avec ses feux de cheminée, ses brioches blondes ou ses chocolats bouillants parfumés à la cannelle.
Surtout, elle fait jaillir, plus que des souvenirs enfantins, la paix d’un enfant. La naissance de Jésus, dans le silence d’une nuit obscure tachetée d’une étoile, ravit, saisit, transporte. Une seule condition se pose à qui désire être du voyage : redécouvrir son âme d’enfant et avoir chevillé à ses tripes le sens de la famille.
Car c’est là aussi que se joue le drame de Noël. La tradition veut que le 25 décembre s’articule autour de retrouvailles familiales… plus ou moins heureuses, et donc, c’est selon, plus ou moins souhaitées. Les grandes tablées ne peuvent empêcher l’immixtion des fractures qui traversent notre société postmoderne.
Différences et divergences, incohérences et insolences se fraient parfois des chemins au milieu des verres à pied et nappes décorées. Actualité politique, sensibilité liturgique, relations entre belle-mère et pièces rapportées, éducation des enfants : que de sujets de tension lors de ce qui ne devrait être que réjouissances et amabilités.
La paix des retrouvailles
Sortir par le haut des moments partagés à Noël réclame de faire l’examen de conscience de nos éventuelles contrariétés familiales. Sont-elles toutes légitimes ? Doit-on faire le dos rond ou ne pas transiger ? Garantir à Noël la paix des retrouvailles se monnaie souvent selon des devises peu appétissantes : pragmatisme, silence, prise sur soi, avalement de couleuvres…
Mais puisqu’à Bethléem correspond l’union d’une Sainte Famille dénuée de tout mais centrée sur l’essentiel – la manifestation de Dieu en chair et en os ici-bas –, la charité à vivre au sein de nos familles à Noël ne saurait souffrir d’aucun substitut ni d’ersatz.
La nature a horreur du vide, dit-on. Plus juste encore de constater combien on ne saurait combler le vide par du vague, du vent ou du vacarme. Les liens de famille, étroitement attachés à la célébration de Noël, doivent ainsi s’appuyer sur des repères solides, des sentiments nobles, des attitudes vraies où toujours l’emporte, dans les paroles et les actes, l’incarnation vivante d’un amour intact pour son prochain le plus proche.
L’avenir des familles passe par la spiritualité de Bethléem. Se souvenir que le bien social le plus précieux est l’unité des siens. Autour du plus petit. Jésus.
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