Notre quinzaine : Comme des grains dans les rouages

Publié le 22 Avr 2021
Notre quinzaine : Comme des grains dans les rouages L'Homme Nouveau

L’extension de la « cancel culture »

Après la « cancel culture » (culture de l’annulation), allons-nous vers une « cancel population » (au sens d’annuler la population) ? La question se pose tant le thème de l’euthanasie a réapparu dans les discussions à l’occasion du débat parlementaire sur le sujet. La « cancel culture » est une expression devenue à la mode. Elle désigne une pratique importée des États-Unis visant à ostraciser certains individus ou groupes considérés comme problématiques, au regard des derniers avatars du politiquement correct et à les annuler socialement et politiquement. La destruction des statues de personnages historiques, déclarés idéologiquement non conformes, en constitue une illustration visible.

Avec ce que nous pourrions appeler la « cancel population », nous sommes confrontés à un mouvement similaire qui consiste cette fois à détruire non des êtres de pierre mais des personnes de chair sous prétexte qu’elles sont plus faibles, dépendantes, ou improductives. Dans notre numéro précédent, Adélaïde Pouchol a remarquable­ment décrypté cette offensive générale en faveur de l’euthanasie et ses non-dits. Je n’y reviendrai donc pas. Je voudrais seulement souligner ici que les prises de position contre l’euthanasie de deux personnalités aussi différentes que Michel Houellebecq et Luc Ferry (Le Figaro des 6 et 8 avril) montrent que ce problème relève d’abord du respect de la nature profonde de l’homme.

Un préalable indispensable

La vaccination est au cœur de notre actualité. Disons-le tout net : nous n’avons pas ici la compétence pour donner un avis médicalement sûr. En revanche, nous avons celle de poser clairement une question. Celle-ci concerne les vaccins fabriqués en utilisant des embryons humains avortés. De ce fait, il est légitime de nous demander, dans le cas où nous acceptons de recourir à ces vaccins, si nous collaborons de près ou de loin à l’avortement. La Congrégation pour la doctrine de la Foi a donné des réponses à ce sujet. Nous avons également demandé à un théologien moraliste de nous éclairer sur cette problématique tout en rapportant également des positions différentes. Ce faisant, nous posons clairement un pari : celui de la réflexion à l’aide des principes de la théologie morale plutôt que la réaction passionnelle.

Ce difficile sujet nous oblige également à mettre en avant deux éléments importants. Premier élément : l’Église vit aujourd’hui une crise profonde qui affecte directement l’acceptation des enseignements du magistère. Cette difficulté ne date pas du pontificat actuel, même si celui-ci a pu l’augmenter. Mettre le doigt sur ce problème ne revient pas à s’en réjouir, ce qui serait une manière particulièrement malsaine de réagir. Toujours est-il qu’il faut bien constater la permanence de cette crise. D’une certaine manière, l’avenir de l’Église dépendra de notre capacité à en sortir et à renouer les fils entre vérité, autorité et obéissance.

Deuxième élément : l’avortement reste un crime contre une vie innocente. L’acte lui-même est toujours condamnable et nous devons tout faire pour l’éradiquer. Ce qui n’interdit pas, et même oblige, à une véritable compassion active envers les victimes collatérales que sont souvent les femmes qui y ont recours. À ce titre, s’il semble possible, sans collaborer au mal, de recevoir certains types de vaccins, il n’en reste pas moins nécessaire de continuer à condamner l’avortement et d’agir politiquement pour obtenir un jour la disparition de sa légalisation. Ce préalable intellectuel et moral est primordial.

La machine et les rouages

Euthanasie et avortement. Ces combats sont gigantesques et l’un et l’autre marquent une rupture de civilisation. Ils impliquent de rompre avec un certain conformisme intellectuel qui entraîne souvent un conformisme moral et social. Dans La Machine et les Rouages (1), Michel Heller montrait que la révolution soviétique visait la refonte du matériau humain et sa transformation en rouages permettant le fonctionnement de l’immense machine soviétique. Pas un domaine de la vie n’était épargné. L’infantilisation aussi bien que la captation permanente du temps, la peur ou la corruption étaient constamment utilisées. D’une certaine manière, nous en sommes là. « Soumis à une constante rééducation, écrit l’auteur, l’individu perd tout contact avec la réalité. » En retrouvant le contact avec la nature humaine et ses implications, nous ouvrons inversement la porte à notre propre éducation à la vérité qui libère. Ce faisant, nous nous inscrivons aussi comme des grains de sable dans les rouages d’un totalitarisme qui ne dit pas son nom.

1. Michel Heller, La Machine et les Rouages, Gallimard, coll. « Tel », 322?p., 11,60 €.

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneÉditorial

Au-delà du martyre, construire un ordre social chrétien

Éditorial de Maitena Urbistondoy | Le martyre des carmélites nous interpelle : sommes-nous prêts à construire une société où de tels sacrifices ne seraient plus nécessaires ? Le règne social du Christ est un devoir. Les martyres de Compiègne, par leur oblation, témoignent de la puissance de la foi. À nous de répondre par l’action, pour que justice, charité et vérité règnent en harmonie.  

+

société chrétienne martyr
ÉditorialLettre ReconstruireAnnée du Christ-RoiDoctrine sociale

Reconstruire : Pour une année du Christ-Roi !

Lettre Reconstruire | Éditorial | L’année qui commence sera placée particulièrement sous le signe du Christ-Roi. En décembre prochain, en effet, l’Église célébrera le centenaire de la parution de l’encyclique Quas Primas du pape Pie XI. Dans cette encyclique, le Pape dénonçait la « peste » du laïcisme, de manière vigoureuse. Le « laïcisme », c’est-à-dire l’oubli et la négation, théorique et/ou pratique de la souveraineté de Dieu.

+

Christ roi de l'univers christ-roi
Éditorial

Notre quinzaine : Arius toujours vivant !

Éditorial de Philippe Maxence | Par un effet de la Providence, nous célébrerons cette année à la fois une année jubilaire, l’anniversaire du concile de Nicée et le centenaire de l’encyclique Quas Primas sur la royauté du Christ. Autant d’événements qui ne peuvent laisser indifférent un chrétien conséquent. Autant d’événements, surtout, qui soulignent l’importance décisive de la foi.

+

Arius
ÉditorialJubilé 2025

Bonne année 2025 : Une invitation à l’espérance ! 

Éditorial de Maitena Urbistondoy | Bonne année ! Ce souhait universel pourrait revêtir, pour les chrétiens, une signification bien plus profonde qu’une simple formule de politesse et devenir une invitation à tourner nos cœurs vers Dieu et à transformer cette nouvelle année en un temps de grâce et de renouveau. L’année 2025 sera marquée par un Jubilé universel placé sous le thème des « Pèlerins d’Espérance ».

+

espérance
ÉditorialLettre ReconstruireDoctrine socialeLettre Reconstruire

Reconstruire | Le bien commun : une finalité et une boussole

Lettre Reconstruire | Éditorial | Sur le plan politique, économique et social, le bien commun n’est donc pas uniquement un concept important et la finalité visée. C’est aussi sur le plan de l’action pratique et du jugement prudentiel le véritable critère de discernement. Pas seulement une belle idée dans les nuées mais la boussole de l’action, hic et nunc.

+

bien commun
Éditorial

Noël, l’inexplicable au risque de nos familles

L'Éditorial du Père Danziec | Les liens de famille, étroitement attachés à la célébration de Noël, doivent s’appuyer sur des repères solides, des sentiments nobles, des attitudes vraies où toujours l’emporte, dans les paroles et les actes, l’incarnation vivante d’un amour intact pour son prochain le plus proche. L’avenir des familles passe par la spiritualité de Bethléem.

+

famille Noël