Une reine a rendu son âme à Dieu et le monde est en émoi. Le monde, et pas seulement son pays, sa famille, ses proches, ses amis, ses collaborateurs ou ses sujets. Il est vrai qu’Élisabeth II a traversé plus d’un demi-siècle à la tête d’un royaume qui fut autrefois un empire. Les raisons de cette émotion mondiale sont évidemment nombreuses et, en partie, discutables. Elles tiennent aussi au fait, paradoxal, que le monde a trouvé spontanément en la reine Élisabeth la figure de ce qui lui manque : la stabilité, la permanence, la fidélité à certains principes intangibles, le sens de la famille, une certaine vision des êtres et des choses, héritée du christianisme. Et ce malgré des concessions certaines à la modernité qui ont, elles aussi, accompagné son existence.
Paradoxalement encore, la femme la plus célébrée au monde peut difficilement être revendiquée par les cohortes féministes et leurs alliés du wokisme. Preuve indirecte, lointaine même, mais réelle malgré tout, que le féminisme reste une idéologie sans grand rapport avec la vie réelle des femmes, un reclassement de la guerre des classes en guerre des sexes. Soyons certains, pourtant, qu’il ne restera pas longtemps dans sa niche.
Adieu au vieux monde
Il n’est évidemment pas question ici de gommer les difficultés doctrinales soulevées par la monarchie anglaise, née d’une rébellion contre la papauté et bras séculier d’un schisme porteur d’hérésies. Elles perdurent au-delà d’Élisabeth et iront même en augmentant si l’on en croit le projet du nouveau souverain visant à étendre son titre de « défenseur de la foi » à toutes les croyances, dans un indifférentisme religieux et un relativisme en accord avec l’air du temps et la diversité de populations présentes sur le sol britannique. Ce titre, pourtant, a une histoire, et même une histoire catholique. Il fut attribué par le pape Léon X à Henry VIII après que celui-ci eut réfuté la théologie de Luther. C’était avant la rupture avec la papauté. Le monarque anglais se sépara de Rome mais garda le titre, transmis ensuite à ses descendants. La défense de la foi catholique devint celle de la foi anglicane. Elle risque donc désormais de s’élargir à toutes les croyances sans distinction et, surtout, sans rapport aucun avec le souci de la vérité religieuse, fondement pourtant des sociétés qui durent.
Avec la mort d’Élisabeth II, le monde moderne s’est donc arrêté un instant, un court instant, pour saluer comme pour un ultime adieu la dernière représentante d’un monde ancien qui ne tenait visiblement que par le scintillement de cette petite flammèche. En cultiver la nostalgie n’aurait évidemment aucun sens, ni aucune portée. Il faut, au contraire, continuer à porter les principes de vie des sociétés face au déchaînement de la culture de mort.
L’impératif le mieux partagé au monde
La grande bataille qui s’ouvre pour nous en France est désormais celle de la fin de vie. Il ne fait mystère pour personne que la fameuse convention citoyenne sur le sujet est entièrement « pipée » et qu’une loi devrait suivre, probablement en 2023, en faveur de l’euthanasie. Le président de la République l’aurait assuré à Line Renaud, signataire d’une tribune dans Le Journal du dimanche (21 août 2022) appelant à légaliser « l’aide active à mourir », ainsi qu’à Jean-Luc Romero, le très actif ancien président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).
Passons vite sur le constat que la vie et la mort dans nos sociétés contemporaines se jouent au thermomètre de l’opinion que constituent les consultations démocratiques sans rapport aucun, ni de près ni de loin, avec l’existence d’une vérité objective, le respect de la nature humaine et de la réalité de la dignité humaine.
À vrai dire, le point décisif se trouve exactement dans la considération de cette dernière, au nom de laquelle on entend ouvrir la possibilité de l’euthanasie. Revendiquée par les chrétiens comme par les athées, elle est devenue le sésame de toute discussion d’ordre politique, l’impératif catégorique le mieux partagé au monde. Pourtant, comme le signalait déjà le philosophe québécois Charles De?Koninck dans les années quarante : « On peut à la fois affirmer la dignité de la personne et être en fort mauvaise compagnie » (La Primauté du bien commun, PUL, p. 118). Ne nous laissons plus piéger par la référence à un mot commun qui recouvre des visions contraires et opposées?(1). Comme le soulignait le même Charles De Koninck, « la dignité de la personne créée n’est pas sans liens, et notre liberté a pour fin, non pas de rompre ces liens, mais de nous libérer en les raffermissant. » Souvenons-nous en dans cette bataille pour la fin de vie.
1. À lire à ce sujet, La dignité humaine, heurs et malheurs d’un concept maltraité, sous la direction de Bernard Dumont, Miguel Ayuso et Danilo Castellano, éditions de PGDR, 206 p., 24 €.