Avoir 20 ans à L’Homme Nouveau
Certains de nos lecteurs nous écrivent parfois pour nous faire amicalement le reproche d’être (trop) négatifs et de manquer d’espérance. La remarque est grave et d’importance ; elle mérite d’être affrontée avec sérieux et vérité. Alors que j’en faisais part à la jeune équipe de L’Homme Nouveau, je voyais luire dans les yeux de mes collaborateurs comme une solide détermination, presque une colère contenue. Oui, semblaient-ils me dire, les faits que nous traitons et que nous analysons ne sont pas tous très beaux. Ils vont le plus souvent contre le respect de la nature humaine (avortements, manipulations génétiques, transhumanisme, coups bas politiques, etc.) et dans l’Église elle-même l’heure semble plus à la défiance qu’à une véritable mobilisation des forces pour l’évangélisation. Il ne faudrait pas d’ailleurs trop les pousser pour qu’ils reprochent aux générations précédentes d’être responsables de la situation présente.
Reste que ces jeunes gens sont déterminés à ne pas se laisser abattre. Avoir 20 ans à L’Homme Nouveau et commencer ainsi un travail de journaliste au service de l’Église et de la France, c’est assurément tourner le dos à une carrière confortable et reconnue socialement. C’est avoir, en acte, et non à travers de beaux discours, l’espérance chevillée au corps, être bien décidé à poser sa pierre pour reconstruire l’édifice détruit.
Soyons aussi honnêtes avec eux. Les pages « Décryptage » que dirige par exemple Odon de Cacqueray s’évertuent chaque semaine à donner la parole à des acteurs porteurs de projets et d’espérance (nos pages « Initiatives chrétiennes »). Ces mêmes pages s’achèvent par celle qui est consacrée à un court article et aux « Pépites » de l’actualité, toujours orientés vers des informations dont on dira, par euphémisme, qu’elles ne vont pas dans le sens de la catastrophe. Je le crois fortement, et je tiens à le dire : réalisme et espérance constituent bien les maîtres mots de ces jeunes bien décidés à travailler pour l’extension du royaume de Dieu.
Le désir de Dieu
Mais la remarque de nos lecteurs nous invite malgré tout à nous interroger sur ce qu’est réellement l’espérance. N’en avons-nous pas une vision et une compréhension trop mondaines ? L’espérance est une vertu surnaturelle, un don de Dieu qu’il convient, s’il nous manque, de réclamer dans la prière. Dans sa concision, le Catéchisme de saint Pie X en donne la définition suivante : « L’Espérance est une vertu surnaturelle, infuse par Dieu dans notre âme, par laquelle nous désirons et nous attendons la vie éternelle que Dieu a promise à ses serviteurs, et les secours nécessaires pour l’obtenir. » C’est peu dire que cette « petite vertu », pour reprendre la formule chère à Péguy, nous tend vers notre véritable fin. Elle ne nous offre pas l’assurance psychologique que tout ira bien demain, la certitude d’une sereine tranquillité quotidienne en ce bas monde. Elle nous rappelle notre véritable but et nous offre les munitions (surnaturelles) nécessaires pour mener le combat de la vie spirituelle. À force de la réduire à une vague confiance, à un espoir très horizontal, nous finissons par oublier que ce n’est pas le confort terrestre que l’espérance nous offre, mais le désir de Dieu dans son Éternité.
Une détermination héroïque de l’âme
Dans une conférence prononcée en 1945, Georges Bernanos avait traité magnifiquement de l’espérance, à un degré qui renvoie bien des homélies et des incantations sur le sujet dans l’oubli d’où elles n’auraient jamais dû sortir. Que disait le grand écrivain chrétien ? Il faudrait tout citer. Je me contenterai d’un bref passage que j’offre aux lecteurs de L’Homme Nouveau comme un viatique pour notre temps :
« Qui n’a pas vu la route, à l’aube entre deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance. L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme… On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. Le démon de notre cœur s’appelle “À quoi bon !” L’enfer, c’est de ne plus aimer. »