Vendredi 31 août vers 17 h 30, à Lourdes. Des milliers de pèlerins assistent à la procession eucharistique devant la grotte quand Déborah de Robertis, 34 ans, prend la pose, mains jointes, nue et seulement coiffée d’un voile bleu, devant la statue de Notre-Dame de Lourdes. Dans le jargon de l’art contemporain, on appelle cela une « performance » : une mise en scène éphémère, une œuvre qui n’est œuvre qu’au moment où elle est en train de se faire. (En pratique, on reconnaît la performance au fait qu’au nom de leur art, des gens font des choses pour lesquelles le commun des mortels serait immédiatement envoyé à l’asile.)
Déborah de Robertis aime particulièrement « performer » nue pour « interroger sur la place de la femme dans l’art » et a donné par le passé plusieurs spectacles du même genre, notamment devant L’Origine du monde de Courbet ou L’Olympia de Manet, qui lui avaient valu un rappel à la loi. Elle avait réitéré devant La Joconde, ce qui l’avait conduite devant le tribunal pour exhibitionnisme… Pour finir relaxée. Le Sanctuaire de Lourdes recevra-t-il aussi une fin de non-recevoir à sa plainte ?
Mais ce qui, plus que la tournure que pendra l’affaire devant la justice, chatouille l’esprit, c’est la mouche qui a pu piquer Déborah. Car interroger la place de la femme dans l’art à Lourdes, c’est une bien curieuse idée.
Cela suppose en premier lieu que l’artiste considère le Sanctuaire comme un musée ou une galerie d’art, bref un lieu où sont exposées les œuvres, et la grotte comme une œuvre. Or l’un des (nombreux) combats de l’art contemporain est précisément de sortir l’art des musées, de proposer des créations dans des lieux insolites ou à ciel ouvert. Et la grotte de Lourdes, sise au bord du Gave et plantée dans une campagne des Pyrénées désormais recouverte de marchands de chapelets fluorescents est, on en conviendra, un lieu très insolite pour une œuvre, qui donc aurait dû plaire à l’artiste qui nous occupe. Autre revendication de l’art contemporain : se défaire de toute approche académique de l’art, user de nouvelles règles et de nouveaux matériaux. Un courant, en particulier, s’est illustré dans ce combat, celui dit de « l’art pauvre » qui consiste à faire une œuvre avec des matériaux du quotidien, si possible les plus misérables possible. Des clous, des canettes usagées, de la boue… Une grotte avec un peu d’eau qui coule du rocher et une statue, voilà qui est pauvre et minimaliste, non ?
Plus encore, Déborah de Robertis n’a pas compris que sa performance n’était pas la première, et loin de là, que l’on ait vue à Lourdes. La sienne était même extrêmement médiocre (en plus d’être bêtement provocante) en comparaison de ce qui se passe de jour en jour au Sanctuaire. Car en matière de « performance », entendue comme l’œuvre qui est œuvre au moment où elle se fait, celle de la Vierge est quand même plus impressionnante. Notre Dame de Lourdes déverse ses grâces sept jours sur sept et 24 heures sur 24 et, pour elle, des milliers de pèlerins venus des quatre coins du monde se pressent, cantiques aux lèvres et bougie à la main, malades ou bien portants.
Enfin, si Déborah de Robertis avaient pris la peine de s’intéresser un peu au Sanctuaire avant d’y commettre sa « performance », elle aurait découvert que l’on y connaît déjà la nudité et, mieux encore, le dénuement. Quel mérite y a-t-il à se planter nue devant tout le monde là où des milliers de malades acceptent chaque jour avec une bouleversante humilité de se laisser changer et déshabiller par les hospitaliers, donner la becquée et emmener aux toilettes ? Quel mérite y a-t-il à se planter en tenue d’Ève devant la source miraculeuse de Lourdes dans laquelle se baignent, nus, des milliers de fidèles entourés des bénévoles des piscines ? À Lourdes, on voit des corps et des cœurs mis à nu toute la sainte journée alors la pauvre Déborah fait pâle figure, un peu comme quelqu’un qui serait venu hurler qu’il a une écharde dans le doigt pour donner à méditer sur la souffrance devant le parterre de fauteuils roulants et de lits médicalisés qui entourent l’autel de la grotte à l’heure de la messe.
Ce qui est souverainement contemporain, ce n’est ni Déborah ni son art, c’est la Vierge. Elle qui est contemporaine des hommes de tout temps et en tous lieux, elle dont l’œuvre sans cesse renouvelée est d’accueillir nos chants de louange comme nos supplications pour les porter à son Fils.
Note pour les artistes : les sanctuaires marials comme les lieux où l’on prend soin des plus pauvres – et plus encore ceux qui sont les deux à la fois – sont le théâtre de performances extraordinaires. Venez et voyez !
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