La découverte du Caporal épinglé de Jacques Perret fut un pur moment de bonheur. La langue de l’écrivain, son talent d’écriture, la narration d’une résistance que l’on n’apprenait pas en classe (et que l’on n’apprend toujours pas dans les livres d’histoire, ni à la télévision) laissaient clairement entrevoir que l’on entrait dans un univers bien particulier. La suite le confirma largement.
Mutin, marin, mérovingien, Jacques Perret avait le goût des mots et des situations cocasses. Il aimait aussi sortir le drapeau de sa poche et, si celui-ci était blanc, ce n’était pas du tout parce qu’il entendait se rendre aux dernières trahisons du moment. Explorateur avant-guerre, journaliste à ses heures, écrivain par talent, Jacques Perret fut aussi un chroniqueur d’exception que la guerre d’Algérie transforma en père souffrant et en combattant de la plume.
On s’en rend compte à nouveau avec la publication de ce recueil de chroniques parues dans Aspects de la France (A.F.), entre 1960 et 1962. Âmes sensibles ou trop gaullistes s’abstenir ! Perret tire dans tous les sens.
Le Vilain Temps, selon le titre de ce volume, ne tient nullement à ce petit jeu de tir aux pigeons, mais à la situation créée par le chef de l’État d’alors qui, après être revenu au pouvoir en promettant le maintien de l’Algérie dans la France, patronna une politique d’abandon qui se traduisit par l’assassinat des harkis, l’exode des Pieds-Noirs et la démission de l’élite de l’armée française.
À cette époque, donc, Jacques Perret tient chronique dans Aspects de la France et il commente à sa manière ce que l’on appelle pudiquement « les évènements » dans le nouveau cours qu’ils ont pris.
À sa manière, rien de froid, de surfait, d’imité. Rien de servile, dans tous les sens du mot. Perret attaque, avec intelligence, finesse, l’œil toujours pétillant de malice, même si désormais les larmes s’en mêlent. Il n’en retira pas que des compliments. Parmi ses lecteurs, il y avait aussi les fonctionnaires de la dénonciation, les comptables de la capitulation.
En 1963, cet ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, ce résistant à l’Occupant est tout simplement radié des effectifs de la Médaille militaire. Dégagé, il n’y a rien à voir ! Toujours en verve, l’écrivain commente : « N’étant pas lecteur du J.O., ma radiation des contrôles de la Médaille militaire m’a été signifiée par la rumeur publique. Le motif ne figure pas dans l’arrêt mais on devine bien qu’il s’agit d’une affaire de mœurs. J’ai dû me faire remarquer un jour que je me livrais en public à des exhibitions de vérités premières. C’est un exercice offensant à la pudeur de l’État. »
Au total, plus de 120 chroniques qui relatent la guerre d’Algérie de Jacques Perret, entre 1960 et 1962. Il y a bien sûr les zones d’ombre. Car l’écrivain-chroniqueur ne dit pas tout. Que faisait-il par exemple à Alger le jour du putsch des généraux ? Pour répondre à cette question, et à beaucoup d’autres, la postface d’Olivier Sers est un monument d’érudition. On fera d’ailleurs nôtre cette profession de foi de Perret qu’il cite au terme de ses explications :
« Je resterai de notre sainte Mère le fils indocile, impertinent, demeuré méfiant et scandalisé mais fidèle, tant que j’y trouverai un clerc pour bénir mes insolences, encourager mes refus et cautionner mon obscurantisme. Ils sont, Dieu merci ! plus d’un, et solides comme des rocs. De même, en dépit de ses lâchetés, de ses vilenies et de sa figure sale, je resterai l’enfant fidèle de ma mère patrie tant que j’y trouverai une poignée de Français pour rêver avec moi d’une France qui ressemblerait à la France. Autrement dit, sauf le respect que ces choses-là m’inspirent et en priant le lecteur de bien vouloir transcender mon expression familière, si je reste aujourd’hui catholique et français, heureux de l’être et ne voulant en démordre, c’est un peu à cause des copains. »
Il n’y a pas à dire, même s’il y a à lire : Perret, on l’aime suprêmement !
Le Vilain Temps, Jacques Perret
Chronique d’Aspects de la France, Tome III, 1960-1962
Via Romana, 272 pages, 24 €.
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