Cinquante et un ans après sa mort, Padre Pio de Pietrelcina apparaît de plus en plus comme un signe de contradiction. Les foules, comme de son vivant, continuent de se presser vers le village perdu du Mont Gargan où l’humble capucin consuma une existence toute configurée au Christ, mais, en parallèle, l’agacement, l’incompréhension, le mépris, le rejet, les haines et les calomnies qu’il provoqua perdurent, comme si la modernité triomphante ne pouvait définitivement pas supporter ce témoin d’une réalité divine qu’elle a choisi d’occulter ou de nier.
Tel le Christ lui-même, Padre Pio dérange. Et, comme le Christ, il attire ceux qui, derrière le serviteur, devinent le Maître. Pourtant, qu’a-t-il pour plaire, ce pauvre moine ?
Rien, affirmaient déjà, catégoriques, quelques enquêteurs d’avance plus ou moins prévenus que Rome avait envoyés examiner de plus près le phénomène. Ils n’avaient vu, ou n’avaient voulu voir, qu’un paysan du Mezzogiorno auquel ils s’avisaient de trouver l’air rusé, tout en le jugeant ignare et sot, manipulé ou manipulant, entouré de fidèles étiquetés arriérés parce qu’ils demeuraient adeptes d’une piété populaire exubérante et naïve en train de passer de mode, et de dévotes, fatalement hystériques, dont on oserait prétendre qu’elles étaient ses maîtresses …
Il est vrai que Padre Pio, dans le monde Francesco Forgione, avec son air souffreteux, sa mauvaise santé, ses façons rustiques, son franc parler, ses manières directes et familières, sa brusquerie parfois pouvait décontenancer ceux qui venaient le voir comme l’on va au spectacle. Jésus avait pourtant, déjà, mis en garde contre ce genre d’erreurs lorsque, parlant du Baptiste, Il demandait ce que les foules allaient voir au désert, lieu où ne se rencontrent ni les beaux parleurs, « ces roseaux agités par le vent », ni les mondains « mollement habillés » qui sont plus à leur place « dans le palais des rois ». Manifestement, la leçon évangélique n’avait pas porté, jusqu’en certains milieux cléricaux et le stigmatisé du couvent Santa Maria delle Grazie ne correspondait pas aux clichés que certains se faisaient d’un mystique convenable ou de la durée supportable d’une messe.
L’Église a eu beau le canoniser et reconnaître sa sainteté, par ailleurs si éclatante, les contempteurs ne se sont pas tus. Et tous, tant s’en faut, ne sortent pas de milieux matérialistes définitivement imperméables au merveilleux chrétien.
Yves Chiron, qui publia voici trente ans l’une des biographies françaises de référence de Padre Pio, revient avec Padre Pio, vérités, mystères, controverses (Tallandier. 285 p. 20,90 €) sur ces querelles qui n’en finissent pas.
Ce n’est pas un travail d’apologétique, puisqu’il ne s’agit pas de défendre la mémoire et les charismes du Padre, l’Église s’en est déjà chargée, mais une série de mises au point historiques au ton volontairement distancié. Aux questions relevant de la phénoménologie mystique : Padre Pio pourrait-il, consciemment ou inconsciemment, avoir été un faussaire ? Souffrait-il de troubles mentaux ? Tous les miracles qui lui sont d’abondance attribués, sans toujours en apporter la preuve, ont-ils bien eu lieu ? Se succèdent des réponses argumentées à quelques polémiques reprises ici ou là à temps et à contretemps : Padre Pio a-t-il été un soutien affiché de Mussolini ? A-t-il ou non prédit l’élection de Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II au pontificat suprême ? A-t-il d’avance condamné les choix de Mgr Lefebvre ?
Avec sérénité, Chiron démêle le vrai du faux, explique comment et pourquoi Padre Pio, bien malgré lui, s’est retrouvé au cœur de tant de querelles, récupéré ou dénoncé par telle ou telle faction, utilisé pour telle ou telle cause. Biographe de ces papes, il tente aussi de justifier l’attitude de Pie XI ou Jean XXIII qui, selon lui, ne furent pas les « persécuteurs » du saint moine que l’on a dépeint.
Trois décennies après, cet essai se révèle un complément utile d’une biographie qui n’a rien perdu de son intérêt.
Sous un titre alléchant, Anges et démons chez Padre Pio, le monde intérieur du saint stigmatisé, du Père Gianluigi Pasquale ( Salvator. 275 p. 20€), est en réalité un essai pointu qui exige, pour l’apprécier, une bonne connaissance de la vie de Padre Pio, et quelques bases solides de théologie. En examinant une partie de la correspondance de jeunesse du saint, pour l’essentiel celle échangée avec ses directeurs spirituels de l’époque, les Pères Benedetto et Agostino, concernant les manifestations angéliques et démoniaques, puis les interventions de Notre-Dame et du Christ dans la vie du jeune Frère, le Père Pasquale confronte l’expérience du capucin à celles d’autres mystiques, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Gemma Galgani, que Padre Pio avait lus ou entendu lire en communauté, et en analyse les particularités.
La traduction laborieuse, parfois fautive (faire le plancton au lieu de faire le planton) n’aide pas à pénétrer dans ce texte dense, passionnant d’ailleurs par certains aspects, qui ne s’adresse pas au grand public. Les amateurs de sensationnel qui y chercheraient le récit des empoignades de Padre Pio avec Barbe Bleue et sa bande de « cosaques » seraient très déçus.
Il faut signaler, pour être complet, le numéro spécial que Parole et Prière a publié pour le carême dernier En avant Pâques 2019 avec Padre Pio. (5,90 €). Certes, ce Carême est passé mais le parcours proposé est tout à fait ajustable au prochain et la présentation de la vie de Padre Pio destinée aux enfants, les pistes de réflexion ouvertes, les moyens de s’inspirer de lui au quotidien sont remarquables et la plupart des adultes pourraient en faire leur profit.
Pour en apprendre plus sur Padre Pio, ne ratez pas notre Hors-Série double : Padre Pio, une vie pour le salut des âmes.