Un prêtre sous la Terreur, l’abbé Souffrant

Publié le 07 Déc 2022
prêtre

Il y aurait une histoire du sacerdoce pendant la Révolution à écrire, qui s’attacherait davantage aux hommes et à leurs engagements qu’aux statistiques. À défaut de cette somme, existent des monographies de prêtres, souvent bicentenaires, qui, même si le style a vieilli, ont le mérite de raconter les parcours tumultueux de confesseurs de la foi et de martyrs dignes d’intérêt et de respect.

Après avoir réédité une vie de l’abbé Martial de Savignac, curé de Vaiges en Mayenne, prêtre insermenté, aumônier de la division chouanne du colonel de Tercier, fusillé à Laval en 1796, les éditions Résiac tirent de l’oubli l’essai biographique que l’abbé Cerisier consacra en 1872 au curé de Maumusson, en Loire-Atlantique, l’abbé Mathurin Souffrant. (Résiac, 95 p., 8 €)

Vie abbé Souffrant prêtre

Le nom de l’abbé Souffrant reste familier dans certains milieux en raison des prophéties qui lui sont attribuées ; nous y reviendrons mais, disons-le tout de suite, c’est bien l’homme et le prêtre, non le prophète supposé qui mérite d’être connu.

S’il est vrai que le sacerdoce subit en France, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une incontestable baisse de qualité, il n’empêche qu’un très grand nombre de prêtres, la majorité en bien des régions, demeura héroïquement fidèle dans l’épreuve, bravant persécution et supplices. L’abbé Souffrant, dont le caractère affirmé, voire violent, laisse parfois penser à Don Camillo, fut de cette espèce.

Il était né dans un milieu paysan très modeste le 27 mars 1755 à Notre-Dame de Roche Blanche au diocèse de Nantes. Le vicaire de la paroisse de Saint-Herblon s’avisa de sa piété et son intelligence, décida de le pousser vers le sacerdoce, et y parvint, malgré les réticences des parents, et même celles du gamin, qui fugua un jour de chez son curé pour retourner à la vigne paternelle. Ramené dans le droit chemin, comprenant que Dieu ne le voulait pas à travailler la terre, l’abbé Souffrant fut ordonné en 1780 et nommé vicaire à Maumusson, paroisse qu’il ne voulut jamais quitter jusqu’à sa mort en 1828.

Dans l’intervalle, la Révolution, qu’il détesta d’emblée, l’arracha à son existence pieuse, édifiante et paisible pour le jeter dans la résistance. Opposant au serment constitutionnel, dont il détourna nombre de ses confrères, et son curé mort martyr en 1794, victime des colonnes infernales, l’abbé Souffrant ne quitta jamais Maumusson et s’y cacha tant que dura la persécution, échappant en maintes occasions à la mort, protégé autant par le Ciel que par ses paroissiens.

Même ceux qui pensent bien connaître les souffrances de l’Ouest catholique seront touchés par le courage et le dévouement de ces populations chrétiennes, prêtes à mourir pour conserver leurs prêtres, la messe et les sacrements. L’abbé Souffrant mesurait les sacrifices acceptés, au péril de leur vie, par ces gens, mais considérait, dans une perspective que nous avons perdue, que le salut des âmes primait sur la conservation de cette existence passagère et que l’éternité bienheureuse se payait au prix fort.

L’homme a des côtés abrupts, la tolérance ne fut, à l’évidence, jamais son affaire mais il ne manquait ni de charité, ni de bonté, ni d’un sens de l’humour un peu taquin quand il s’agissait d’asticoter un Bleu aventuré sous son toit.

Royaliste à chaux et à sable, il ne dévia jamais de sa route, que ce fût sous la Terreur, le Consulat, l’Empire ou la Restauration qu’il croyait destinée à ne point durer.
Faut-il voir dans ses annonces d’une chute inévitable de la monarchie restaurée véritable prescience de l’avenir, comme ses proches le crurent, ou clairvoyance d’un homme capable d’analyser les événements et d’en tirer des conclusions ?

S’il lui arriva d’avoir le pressentiment d’un décès ou d’une guérison, annonces que les faits vérifièrent, les « prophéties » qui lui sont attribuées, sans que l’on sache d’ailleurs ce qui relève d’interpolations tardives empruntées aux écrits d’un religieux allemand qu’il avait lus et traduits, laissent dubitatif.

L’abbé Souffrant interprétait, il ne fut pas le seul et l’on ne saurait lui donner tort, les événements révolutionnaires comme le prélude de l’Apocalypse. Mais il voulut, ou on voulut lui faire mettre des dates trop précises sur les événements qu’il annonçait. Ainsi l’arrivée de l’Antéchrist dans les années 1890 et sa mort en 1911 ont-elles été, évidemment, controuvées. D’un strict point de vue catholique, une certaine inclination pour le millénarisme et l’hypothèse d’un règne terrestre du Christ, largement reprises par d’autres ensuite, incite à la prudence.

Il n’empêche que l’annonce de la venue d’un Grand Monarque, issu d’un « rameau coupé » de la Maison de Bourbon, descendant de Louis XVII, au terme de guerres et d’invasions qui épargneront l’Ouest fidèle restent, aujourd’hui encore, profondément ancrées dans l’imaginaire de beaucoup. Faut-il le leur reprocher, s’ils trouvent là un moyen d’espérer ?

 

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Anne Bernet

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