Benoît-Joseph Labre, signe de contradiction

Publié le 18 Avr 2019
Benoît-Joseph Labre, signe de contradiction L'Homme Nouveau

Il existe à Rome, dans l’ancien quartier de Suburre, qui fut autrefois le plus mal famé de la Ville, à quelques centaines de mètres du Colisée, une Via dei Serpenti, une rue des Serpents, qui rappelle un temps où les reptiles pullulaient, en effet, parmi les ruines antiques du voisinage. L’endroit est joli, avec ses maisons aux façades ocres, ses tavernes aux tonnelles couvertes de bougainvillées, sa fontaine, ses ruelles tortueuses et mal pavée aux treilles de jasmin, ses ateliers d’artisans. Relativement ignoré des touristes, Suburre a conservé une atmosphère un peu intemporelle et il ne faut pas un grand effort d’imagination, du moins si aucun klaxon, aucune sonnerie de telefonino ne vient altérer le moment, pour se croire replongé dans le passé.

Là s’élève une modeste église, comme Rome en compte des centaines, Santa Maria dei Monti, sans rien extérieurement de bien remarquable. 

Une nuit de 1782, un pauvre diable de clochard français qui dormait à la belle étoile dans le quartier, rêva qu’il était mort et que son corps reposait dans l’église, « du côté de l’épître » et attirait une « foule de monde qui faisait grand bruit ». Puis le Christ était apparu et avait dit au traîne-misère : « Je te cède ma place. » C’était surtout cette parole qui avait troublé jusqu’à l’âme l’humble garçon, au point qu’il avait cru nécessaire de s’en confesser comme d’une épouvantable pensée d’orgueil.

Un an plus tard, le 16 avril 1783, l’homme sans feu ni lieu qui, tel le Fils de l’Homme, n’avait pas eu « une pierre où reposer sa tête », avait été retrouvé inconscient sur les marches de l’église et, porté chez un commerçant charitable, il y avait expiré. Aussitôt, une immense rumeur avait enflé dans Rome : « È morto, il Santo ! » – Le Saint est mort !- et des cohortes de dévots, jusqu’à des cardinaux et des princes, s’étaient précipitées pour vénérer la dépouille du guenilleux qui alla, en effet, reposer « du côté de l’épître » à Notre-Dame des Monts. 

Elle y repose encore et, si beaucoup de gens l’ignorent, il n’en est pas moins vrai que la réputation de Benoît-Joseph Labre, canonisé en 1881, a fait depuis le tour du monde.

Étrange destinée pourtant que celle-là …

Albéric de Palmaert l’évoque brièvement, un peu de biais, mais c’est la collection qui le veut, dans un petit volume, Vivre l’évangile avec Benoît-Joseph Labre (Téqui. 110 p. 9 €). Il s’agit de montrer comment telle ou telle figure de sainteté a su transposer l’enseignement du Christ dans sa propre vie. Ce n’est pas si aisé s’agissant d’un homme qui a peu parlé, encore moins écrit, et dont l’exemple, au demeurant difficile à suivre, fut l’unique enseignement.

Né dans une famille de laboureurs d’Amettes, près de Béthune, en 1748, aîné d’une vaste fratrie, Benoît-Joseph paraît destiné au sacerdoce et va se former près d’un oncle prêtre. Très tôt, il est attiré par le dépouillement, le jeûne. À la mort de son oncle, il renonce aux études et décide d’entrer chez les Chartreux, qui le refusent car il n’a que dix-neuf ans et leur paraît trop jeune. Finalement, les fils de saint Bruno l’orientent vers la trappe de Soligny, celle de l’abbé de Rancé, où il n’est pas admis, toujours parce qu’estimé trop jeune. L’année suivante, quittant définitivement sa famille, il trace sa route vers le Bourbonnais et l’autre monastère cistercien de la stricte observance, Sept-Fons, qui se réforma avant même que M. de Rancé eût renoncé au monde.

Sept-Fons garde jalousement le souvenir de Benoît-Joseph, qui a donné son nom au noviciat. Il n’empêche que, là non plus, on ne voulut pas de lui … Le Père-Maître lui croyait la vocation, mais pas celle de trappiste … et le pauvre garçon, au bout d’un an, dut s’en aller encore. Il partit vers l’Italie, fut reçu, en route, près de Lyon, à Dardilly, chez des fermiers pieux et charitables qui lui firent bon accueil et dont un petit-fils illustrerait le nom : Vianney. Dès lors, toute sa vie ne serait plus qu’interminable errance : l’Italie, l’Allemagne, la Pologne, la Suisse, où il séjourna à Fribourg, près de la belle église baroque des Augustins, dans le ravin de la Savine qui entaille profondément la ville, à quelques toises de la maison où vivrait un jour le Père Jérôme, futur moine et lumière de Sept-Fons. Enfin, il se fixa, si l’on ose dire parlant d’un homme qui refusait de dormir sous un toit et dans un lit, ne gardait rien par devers lui du jour pour le lendemain, dans un total abandon à la Providence, à Rome, dans le quartier de Suburre, qu’il abandonnait pour s’en aller, chaque année, en pèlerinage à Lorette.

Aujourd’hui plus encore qu’hier, rien de moins compréhensible que l’étrange voie de Benoît-Joseph, qui se fit pauvre quand il était à l’aise, sans attache quand il avait une vaste famille, sans patrie, lui si profondément enraciné dans sa terre du Nord, et vécut comme les oiseaux du ciel et les lis des champs, dans une glorieuse insouciance des contingences humaines et sociales.

Alors que nulle époque ne fut plus que la nôtre attachée à sa sécurité, ses prévisions, ses plans d’avenir, ses assurances, il est bon, même si Dieu ne nous demande pas de le suivre sur cette route atypique, de contempler Benoît-Joseph Labre, tout abandonné à la volonté divine, qui ne mendiait que pour les autres, et se moquait des prévoyances étroites de notre monde puisque, comme il aimait à le dire, il « faut se souvenir que nul n’est maître de l’heure suivante. »

S’en souvenir nous aiderait certainement à relativiser bien des choses, et à nous défaire de nos prudences par trop risibles.

« qui donc d’entre vous, en s’inquiétant, a pu rajouter une coudée à sa taille ? »

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