Pour la première fois, coronavirus oblige, il n’y a pas eu de célébrations internationales et médiatisées sur les plages du Débarquement de Normandie ce 6 juin. L’on s’en est tenu, avec ou sans masque, au strict minimum imposé par la décence, en attendant des jours meilleurs …
Cela faisait, il est vrai, un quart de siècle que l’on nous vendait chaque commémoration du D Day comme la dernière et l’on ne peut nier que les vétérans de la Seconde Guerre mondiale, exhibés comme des animaux de cirque en ces occasions, commençaient à se faire vieux et rares. Auront-ils survécu à la pandémie chinoise ?
Nous l’avons tous cependant compris : même quand il ne restera pas âme qui vive susceptible d’évoquer les événements, et si le monde « d’avant » finit par reprendre son cours, l’on continuera à commémorer le 6 juin : parce qu’il s’agit d’une efficace machine commerciale et touristique, parce qu’il ne faut pas perdre une occasion de rappeler la croisade des démocraties contre le Mal, lequel, populisme ou souverainisme, menace à tout instant de ressurgir ici ou là sous les traits d’un prétendu émule d’Hitler. Si l’on rappelle d’abondance le sacrifice des jeunes soldats américains, anglais, canadiens, français, belges, polonais qui laissèrent la vie sur les plages du Débarquement, et même, à l’occasion, celui des jeunes Allemands qui les combattirent, l’on évoque plus rarement les dizaines de milliers de civils français pris sous les bombes et dans les combats et souvent voués à une mort atroce.
Depuis soixante-seize ans, l’on nous peint nos grands-parents, nos parents accueillant, radieux, les libérateurs. Pourtant, les gens de l’Ouest, et même ceux du Bassin parisien, savent bien, à moins que leurs familles ne soient totalement amnésiques, que la réalité fut moins rose, même si, victimes de la réécriture officielle de l’histoire, maints malheureux dont les proches avaient péri sous les ruines de leur maison ou d’un abri, quand ils n’avaient pas été tirés à vue par des GI’S incapables de faire la différence entre un SS et un fermier normand, ont répété en boucle, dans les journaux, à la radio, à la télévision, que le Débarquement avait été le plus beau jour de leur vie …
Récits de guerre
Le mérite du livre de Jean-François Erksen, (L’Ouest en guerre, été 1944. Ouest-France. 250 p ; 19,90 €) quoiqu’il ne remette pas en cause un iota de la doxa officielle, est d’avoir recueilli certains de ces témoignages. Même fondus dans la masse des éloges obligés, ils rappellent l’horreur vécue par les civils durant l’été 44. S’y mêlent les voix de soldats de tous les camps, disant la terreur éprouvée sous les tirs de barrage, ou dans des corps à corps de plus en plus sauvages, celles d’enfants et d’adolescents, survivants à leurs familles, évoquant l’indicible, tel cet homme devenu fou qui transportait dans une soupière emplie de saumure la tête arrachée de sa benjamine …
Au milieu de cette horreur, c’est pourtant la terreur et la souffrance des bêtes, vaches éventrées agonisant dans leurs pâtures bombardées, chevaux et ânes aux jambes arrachées, chiens mitraillés qui heurte le plus, comme si, dans leur innocence, les animaux étaient les vraies victimes de la folie humaine déchaînée. Tout cela reste, rassurez-vous, relativement propre et édulcorée, car l’iconographie de l’album a banni ces clichés trop choquants qui commencent à sortir des archives déclassifiées et vous font douter longtemps du salut de l’humanité.
L’on regrettera que l’essentiel de l’album soit consacré à la bataille de Normandie et ses conséquences, de sorte que Bretons, Mainiaux, Angevins, durement frappés, eux aussi, par les combats de la Libération, disparaissent, ou peu s’en faut, d’un panorama par moments presque insoutenable.
La victoire alliée demeure la grande justification de dégâts collatéraux qu’Anglais et Américains avaient accepté avec un parfait cynisme. Qu’en serait-il si le Débarquement avait échoué ? Benoît Rondeau, dans Alarm ! Les Allemands face au Débarquement des Alliés (Ouest-France. 145 p. 15,90 €), se demande si un échec de l’opération Overlord était possible ou si tout était joué dès les premières heures du Jour le plus long.
Il manque à cet exposé détaillé, appuyé sur des chiffres, des statistiques, des cartes, un peu d’âme et de dimension humaine. Souligner l’incapacité de l’occupant à déployer ses troupes mal équipées sur le front de l’Ouest, pointer l’absence de réaction rapide du Haut Commandement, le peu d’efficacité du Mur de l’Atlantique ne rend pas compte de l’angoisse ou de la rage qui habitait ces hommes, parfois désespérément jeunes, comme l’attestent des photographies désolantes montrant des visages d’enfants transformés en tueurs, ou déjà épuisés et soulagés d’échapper au cauchemar. Et je ne puis m’empêcher, en regardant les portraits des gamins de la Hitlerjügend, redoutables petits Waffen SS fanatisés, de songer à ceux qui firent, le 8 juin 44, irruption dans la cuisine d’une de mes cousines cotentinaises, parce qu’ils avaient quinze ans et crevaient de faim, avec l’idée de lui voler ses crêpes. Avant de quitter la ferme plus vite qu’ils n’y étaient entrés, chassés à coup de poêle à frire par une dame qui ressemblaient à leurs mères et leur inspira une si sainte terreur qu’aucun d’entre eux ne songea à user de ses armes. Pauvres gosses…