> Dossier : « Liberté d’expression : un principe absolu ? »
La liberté d’expression absolue n’existe pas plus aujourd’hui qu’hier : il a toujours existé un intolérable opposable à la diffusion d’une pensée. Cependant, les raisons de sa limitation ont profondément changé. Devenue le droit de répandre des opinions subjectives, elle est aujourd’hui encadrée pour assurer la pérennité des valeurs de la modernité. Pour se maintenir, celle-ci profite d’ailleurs à plein de l’abaissement général de la qualité de l’expression.
Dans une société mue par des principes philosophiques classiques, s’exprimer librement est une faculté qui n’est pas reconnue à tous de manière indifférenciée (eu égard aux disparités d’intelligence et de connaissances sur un sujet particulier), mais dont l’exercice est nécessaire au bon fonctionnement de l’ordre social : la prudence oblige à prendre en considération les différents points de vue pour dialectiquement dégager la solution idoine. La liberté d’expression peut même s’élever au niveau de la charité dans la mesure où elle permet d’édifier le prochain. En revanche, présenter l’hypothétique comme certain ou utiliser des arguments fallacieux – autrement dit ne pas être prudent ni se soucier de la vérité – la rend nuisible au corps social.
La transformation d’une faculté en un droit
Dès lors, la société classique assume la possibilité de l’index (déconseiller la lecture d’ouvrages pour lesquels de solides connaissances sont nécessaires pour ne pas être manipulé) et de la censure (interdire la diffusion d’œuvres faisant la promotion de la débauche ou portant atteinte au sacré). Pour résumer, la possibilité de faire connaître aux autres le produit de sa pensée a pour cause motrice la liberté mineure qu’est le libre-arbitre ; elle a pour cause finale la liberté majeure, c’est-à-dire celle qui cherche à identifier et atteindre le vrai, le bien et le juste. Mais la liberté d’expression a connu, à l’époque moderne, une double transformation. D’une part, l’humanisme a exalté l’expression des convictions personnelles comme moyen d’émancipation et d’accomplissement de l’individu. D’autre part, le philosophisme a fait glisser la tolérance d’une permission temporaire d’un mal (parce que sa répression serait plus dommageable au bien commun que son acceptation) en une mise sur un pied d’égalité de toutes les subjectivités en raison de l’identité de nature des hommes. Ainsi, de droit attribué (ou refusé) à une personne en fonction de la question traitée, la liberté d’expression est-elle devenue un droit attribut de…