Césars contre oscars, que valent les récompenses du cinéma ?

Publié le 13 Mar 2025
cinéma oscars césars Emilia Pérez

Jacques Audiard a reçu trois césars pour son dernier film cochant toutes les cases du politiquement correct. © Georges Biard, CC BY-SA 3.0

Après la dernière cérémonie de remise des césars, Laurent Dandrieu, critique de cinéma et auteur, nous explique comment sont primés les films en France et de l’autre côté de l’Atlantique et l’écart entre le succès populaire et la reconnaissance officielle que consacrent ces cérémonies.

 

| Quels sont les critères qui déterminent l’attribution des récompenses aux Césars et aux Oscars? Quelles sont leurs principales différences?

Il y a peu de différences, les Césars, inaugurés en 1976, n’ayant d’autre objectif que d’être un équivalent français des Oscars, qui existent depuis 1929. Officiellement, il n’y a, pour l’une comme pour l’autre cérémonie, d’autre critère que de récompenser les meilleures réalisations dans chaque catégorie, ce qui laisse une latitude à peu près totale à l’interprétation, chaque votant ayant naturellement sa propre définition de l’excellence.

Les critères de choix sont donc subjectifs, et ils le sont d’autant plus qu’il n’y a pas de transparence sur l’identité des votants. Pour les Oscars, il s’agit des membres de l’Academy of Motion Pictures, Arts and Sciences, qui compte environ 10 000 membres, en grande majorité américains mais appartenant à 36 pays différents, choisis par cooptation. Ils votent, au premier tour, chacun pour leur catégorie (les acteurs pour les acteurs, les compositeurs pour les compositeurs, etc.), puis, au second tour, pour départager les finalistes dans toutes les catégories.

Scrutin à deux tours également pour les Césars, à la différence que les quelque 5 000 votants, qui font acte de candidature puis sont acceptés sur parrainage, votent dans toutes les catégories aux deux tours. Dans les deux cas, les noms des votants ne sont pas rendus publics, pour éviter toute tentative de pression.

Les principales différences résident dans le format des campagnes menées par les producteurs et distributeurs en faveur de leurs films, qui aux États-Unis prennent une dimension industrielle (Netflix a investi près de 40 millions de dollars dans sa campagne perdante pour Emilia Pérez !) et mobilisent les équipes des films pendant des mois, alors qu’en France c’est plus artisanal et discret.

Et dans le fait qu’il y a en France une sacralisation du « cinéma d’auteur », qui favorise un cinéma élitiste au détriment de films plus grand public, tandis que les professionnels américains ont plus de respect pour le verdict du public.

| Comment expliquer le décalage entre les succès populaires en salle, comme Un p’tit truc en plus et Le Comte de Monte-Cristo, et les films primés aux Césars ?

Tout simplement parce que le critère retenu n’est pas le succès, mais la qualité. Le phénomène n’épargne d’ailleurs pas les États-Unis, où les premières places du podium sont « trustées » par des blockbusters, ces superproductions calibrées pour le succès, souvent des films de super-héros, qui ne brillent pas par leurs qualités artistiques. En France, il y a ce snobisme du « cinéma d’auteur » dont je vous parlais, qui disqualifie le cinéma populaire et les comédies en particulier.

Mais c’est vrai qu’en règle générale (des exceptions étant toujours possibles), les films ayant les plus grandes qualités artistiques sont plus difficiles d’accès et ne sont donc pas ceux qui rencontrent la plus large audience. Mais cela ne me choque pas que les champions du box office ne soient pas récompensés : ils ont eu des millions de spectateurs, ils peuvent se passer d’une statuette qui est plus utile en distinguant un film moins remarqué.

En revanche, il serait souhaitable que le césar du meilleur acteur ou de la meilleure actrice récompense de temps à autre un rôle comique, sachant qu’il est bien plus difficile de faire rire que pleurer. Mais la sous-estimation artistique du comique, c’est vieux comme le cinéma – et sans doute même comme le théâtre.

| La récompense de L’Histoire de Souleymane, dans un contexte politique tendu autour de l’immigration, traduit-elle un message engagé ou repose-t-elle uniquement sur ses qualités cinématographiques ?

N’ayant pas encore vu ce film, je ne peux vous répondre sur ce cas précis, mais il est certain qu’il y a aujourd’hui dans le cinéma français un climat favorable à la « diversité » qui est très porteur pour ce genre de films, comme d’ailleurs pour la carrière d’acteurs médiocrement doués, comme Omar Sy ou Jean-Pascal Zadi, qui bénéficient de cette obsession diversitaire, contrairement à un Roschdy Zem qui ne doit son succès qu’à son talent.

On se souvient qu’en 2016, Guillaume Gallienne avait déclenché une vive polémique en se demandant si le césar du meilleur film obtenu par Fatima n’était pas dû à cette obsession pour la « diversité culturelle ».

Il faut d’ailleurs noter que la France a, comme toujours, un temps de retard là-dessus sur les États-Unis, où les studios n’ont pas attendu le retour de Trump au pouvoir pour faire marche arrière sur cette promotion de la « diversité » qui commençait à irriter fortement le public : là-bas, c’est dès 2022 que s’est produit le début du retournement. Il est vrai que le cinéma français, ultra-subventionné, n’a pas toujours besoin du public pour vivre…

Comment interpréter le triomphe d’Emilia Pérez aux Césars malgré les critiques au Mexique, et sa réception plus mitigée aux Oscars, possiblement en lien avec les polémiques entourant son acteur principal ?

D’abord, à l’évidence, parce que le Mexique est plus proche des États-Unis, où le poids de la population latino est de plus en plus important. Et puis le milieu du cinéma français, à cause de son mode de financement, vit plus que l’américain dans une bulle à l’abri des réactions de l’opinion.

Mais je pense qu’Emilia Pérez a surtout été victime du retournement dont je vous parlais à l’instant : c’est un navet qui ne doit sa bonne réputation qu’au fait d’avoir coché méthodiquement les cases du politiquement correct. Or les Oscars 2025 ont été caractérisés par un recul en rase campagne du wokisme, au profit de considérations plus cinématographiques. Comme si l’élection de Donald Trump avait envoyé aux votants le signal qu’il était temps de passer à autre chose…

| Le cinéma français est-il réellement en bonne santé, comme l’affirme la productrice Muriel Meynard ?

Si l’on s’en tient aux chiffres, oui : sans avoir retrouvé la fréquentation d’avant-Covid (200 millions d’entrées), les salles attirent toujours : 181 millions en 2024, parmi lesquelles plus de 44 % pour les films français, ce qui est le meilleur score depuis 2008. En nombre de films produits, la France se distingue aussi. Pour la qualité, c’est autre chose ; il n’y a plus aujourd’hui de grands cinéastes, capables de faire un cinéma brillant et grand public à la fois comme le pouvaient Renoir, Duvivier ou Truffaut.

Les points positifs, c’est le retour d’un cinéma populaire de qualité, comme Le Comte de Monte-Cristo, et qu’alors que, très longtemps, il n’y a presque rien eu entre un cinéma élitiste et la grosse comédie « qui tache » façon Tuche, il y a aujourd’hui pléthore de films de « milieu de gamme » qui, sans prétendre au titre de chef-d’œuvre, procurent un divertissement de qualité.

Et que le cinéma français a enfin consenti à sortir du VIe arrondissement de Paris, à franchir le périphérique et à s’intéresser à la vie des gens ordinaires, comme on a pu le voir avec En fanfare.

 


Laurent Dandrieu est l’auteur de Dictionnaire passionné du cinéma aux Éditions de L’Homme Nouveau.

Dictionnaire passionne du cinema césars

 

>> à lire également : « Transmissio » : Des vacances avec le bon Dieu

 

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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