Dix ans après les attentats du 13 novembre 2015, la paroisse Saint-Ambroise, au cœur du XIᵉ arrondissement, ouvre grand ses portes pour une « Nuit de l’Espérance ». Messe et prière se succéderont dans ce lieu devenu mémoire des victimes, pour offrir à tous une parole de consolation et d’espérance. Entretien avec Louis-Henry Despaigne, coordinateur du projet.
| Dans quelle mesure les attentats du 13 novembre 2015 ont-ils marqué le XIᵉ arrondissement de Paris ?
Ces attentats ont été très marquants pour le quartier : le Bataclan et un certain nombre de terrasses touchées cette nuit-là se trouvent dans un périmètre très restreint. Beaucoup d’habitants ont entendu les coups de feu ou ouvert leurs portes pour accueillir ceux qui fuyaient et ceux qui sont venus porter secours aux victimes. L’émotion est d’autant plus forte qu’elle avait commencée dès janvier 2015 : le policier mort dans l’attentat de Charlie Hebdo a aussi été tué dans ce quartier.
Si tous les Français ont sûrement été touchés par cet attentat, le milieu musical a été très marqué et le XIᵉ arrondissement plus particulièrement, cela m’a beaucoup frappé lorsque je suis arrivé dans le quartier il y a six ans. Le maire est encore bouleversé par ces événements, les associations comme « 13 onze 15 » et « Life for Paris » en gardent les stigmates, et pas uniquement chaque 13 novembre.
| Quelle place tient la paroisse Saint-Ambroise dans ce contexte ?
Dès le 14 novembre 2015, de nombreuses personnes sont venues déposer des fleurs et des bougies devant l’église Saint-Ambroise, à quelques pas du Bataclan. Dans cette paroisse territoriale, la chapelle du Souvenir qui était auparavant un peu abandonnée, noircie et humide, est spontanément devenue la chapelle à la mémoire des victimes du 13 novembre.
L’un des premiers chantiers du curé, le père Pascal Nègre, lorsqu’il est arrivé, a été de redonner sa beauté à cette chapelle qui est aujourd’hui encore le premier lieu d’accueil de l’église. Après une demande de subventions à la mairie et une démarche de mécénat, la première phase de travaux a permis d’arrêter les fuites et de redonner ses couleurs à la chapelle. La deuxième phase est enclenchée. Nous avons créé la bière de Saint-Ambroise, vendue dans les commerces à proximité, afin de récolter des fonds.
Le projet de rénovation final est de graver dans la pierre les noms de toutes les victimes, afin de leur donner une mémoire plus stable qu’un simple cadre qui pourrait être volé.
| Depuis 2015, la paroisse Saint-Ambroise organise aussi tous les ans une messe de commémoration. Mais pour cette année qui marque les 10 ans des attentats, vous organisez une « Nuit de l’Espérance ». Quelle est l’origine de cette initiative ?
Depuis dix ans, nous avons en effet cette messe toute simple, à laquelle nous essayons de donner le plus de beauté possible. Ce n’est pas un événement médiatique, mais un certain nombre de proches de victimes ou de survivants, sans être croyants, y trouvent quelque chose qu’ils ne trouvent pas ailleurs, dans les cérémonies protocolaires. Nous essayons de les accueillir au mieux. Il existe un attachement à cette messe durant laquelle toutes les personnes décédées sont citées. C’est une manière de continuer à les faire vivre. Puis la messe se termine par une procession jusqu’à la chapelle du Souvenir.
Avec le curé, nous nous sommes dits qu’il fallait quelque chose de plus pour les 10 ans. C’est un anniversaire macabre, et la réminiscence est plus vivace. La mairie de Paris fera une cérémonie. En tant qu’église territoriale, il fallait que nous transmettions le message du Christ. Ce n’est pas de la récupération : la paroisse géographique vit dans le quartier et se souvient avec lui d’événements malheureux.

Stèle en mémoire des victimes de l’attentat du Bataclan dans le jardin May-Picqueray. © Jpbazard, CC BY-SA 3.0,
L’Église a un message à apporter : celui de l’immortalité de l’âme et de la joie éternelle. Elle doit donc être au rendez-vous en restant très simplement à sa place et en ouvrant ses portes le plus largement possible. Chacun doit savoir que l’église reste ouverte, et c’est parfois dans ces moments que les gens franchissent le pas de la porte pour venir épancher leur douleur.
| Quel sera le programme de cette soirée du 13 novembre ?
Cette « Nuit de l’Espérance » commence par la messe qui est le moment le plus adapté pour confier toute notre souffrance. Elle sera célébrée par le curé de la paroisse qui est une figure du quartier, tandis que l’archevêque célèbrera une autre messe la veille à Notre-Dame de Paris.
Nous avons voulu étendre cette soirée par un temps musical, car c’est le monde musical qui a été très marqué par l’attentat. Le Chœur Ephata chantera dans l’église toute illuminée un oratorio portant sur l’Espérance et accessible à tous : le récit, mis en valeur par des pièces issues du répertoire sacré, de la vie de Dismas, auquel chacun peut s’identifier, qui passe de la profondeur des ténèbres à la joie de l’Espérance. Nous espérons que chacun sera touché par cette démarche spirituelle d’une heure et demie qui vise à élever l’âme par l’universalité du Beau.
Enfin aura lieu un temps méditatif plus intime pendant lequel le Saint Sacrement sera exposé. Des textes sur l’Espérance (Péguy, Bernanos,…) alterneront avec des temps de chants et des moments musicaux.
Des livrets de messes très explicatifs, avec une dimension catéchétique, seront distribués à ceux qui le désirent, ainsi que des bougies à déposer au pied de l’autel. Chacun peut venir à tout ou partie de cette soirée. Des équipes d’accueil seront là pour écouter et parler avec ceux qui le souhaitent, et accompagner leurs démarches de prière. Les intentions de prière déposées seront ensuite portées par la communauté paroissiale.
Nous n’avions au départ pas prévu d’ouvrir l’église si largement, mais lors de la présentation de notre projet au maire et aux associations proches des victimes, ce sont eux qui nous l’ont demandé : ils ont besoin que l’église soit ouverte pour traverser cette nuit-là. Ils iront forcément au Bataclan pendant la nuit, et ils veulent terminer leur pèlerinage – c’est leur mot – à l’église. Ils nous ont même demandé de mettre une grande affiche pour indiquer que l’église est ouverte au niveau du Bataclan.
La paroisse est donc dans cette attitude d’attente et d’accueil de tous ceux qui viendront prier, chacun à leur manière, pour les disparus et leurs proches. Ce qui se passe dans le cœur de chacun de nous appartient pas. Nous aurons été là pour accueillir.
| Vous avez nommé cette soirée « Nuit de l’Espérance ». En cette année du jubilé de l’Espérance, cette vertu théologale peut-elle toucher les non-croyants ?
Nous avons beaucoup réfléchi à ce titre : l’Espérance est le message de l’Église. Je crois que cette vertu chrétienne de l’Espérance est celle de la nouvelle génération. Le XIe arrondissement est très peu pratiquant, on doit être aux alentours de 3 %, mais les chrétiens peuvent apporter cette Espérance au monde : la foi dans la vie éternelle, le fait d’avancer car nous sommes mus par quelque chose qui nous dépasse. Derrière toutes les fuites du monde se cache ce besoin d’Espérance, la réalité du bonheur est là.
Il y a pour moi deux manières de la transmettre. D’abord, en vivant de la joie d’être chrétien dans notre quartier : c’est le meilleur moyen de redonner un souffle à ceux qui nous voient. Ensuite, comment parler de l’Espérance à quelqu’un qui a perdu son fils, sa sœur ou son ami ? C’est bien plus difficile d’en parler à quelqu’un qui n’a pas la foi. Nous avons voulu faire vivre l’Espérance par le beau, la musique, les sacrements. Vivre est la première étape qui permettra d’approfondir la seconde. Cette joie de l’Espérance est le message le plus adapté à notre quartier, c’est cela qui nous guide.
| Quelle expérience retirez-vous de la préparation de cette « Nuit de l’Espérance » ?
Nous avons travaillé un an sur le sujet, et j’ai constaté à quel point les paroisses avaient un charisme important dans leur annonce du Christ. Le curé est moteur, mais il s’agit d’un projet de laïcs qui vivent dans le quartier, ont leurs enfants scolarisés ici, etc. J’ai vu combien gigantesque et belle est notre mission de laïcs pour chacune de nos paroisses qui peut être convaincue qu’en vivant sa foi de manière joyeuse, elle devient un petit foyer accueillant pour le quartier, et les gens viennent dans les moments plus difficiles car ils savent l’église ouverte.
Les cœurs sont plus ouverts lorsque l’on parle de la mort et de la transcendance. Ce type de petite initiative donne aux laïcs toute leur place pour transmettre le message de l’Église de manière adaptée à la réalité territoriale. Avec du temps, du travail et de la prière, c’est une belle expérience d’Église, de projet spirituel qui nous soude autour de notre paroisse et de notre foi.
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