Depuis plusieurs mois, l’Église traverse une crise importante dont le rapport de la Ciase, en France, ne représente qu’une partie. À vrai dire, cette situation s’enracine dans des événements antérieurs comme le concile Vatican II ou la crise moderniste. Ou, dit d’une autre manière et dans une perspective certainement plus large, dans la difficulté pour l’Église à ajuster sa réponse aux grands défis de la modernité. Il faudra bien un jour tirer le bilan de cette question, en y associant un véritable esprit de foi et un sain, voire un saint, réalisme.
Mais pour l’heure, il me semble que nous devons aussi nous interroger sur le regard que nous portons sur l’Église. Sur l’Église à laquelle nous appartenons par notre baptême et qui est aussi cette Église si souvent décriée, vilipendée, salie, trahie, abandonnée. Comment rester insensible à ces attaques constantes et comment rester hermétique au poison qu’elles distillent jour après jour ?
Trois regards sur l’Église
Dans son livre Théologie de l’Église (Desclée), abrégé de sa somme ecclésiologique, L’Église du Verbe incarné, le cardinal Charles Journet pose dès les premières lignes la question : « Comment regarder l’Église ? » Il constate d’emblée que l’on peut poser trois sortes de regards sur celle-ci, mais avant de les énoncer, il évoque ceux qui concernent Jésus. Habileté de pédagogue ? Pas seulement ! De notre regard sur le Christ découlera en effet tout logiquement notre appréhension de ce qu’est l’Église qu’il a fondée.
En son temps, explique ainsi le cardinal Journet, le Christ a été vu par le plus grand nombre comme un homme parmi d’autres : « N’est-il pas le fils de Joseph dont nous connaissons le père et la mère ? » (Jn 6, 42). À côté d’eux, certains ont pourtant perçu ses qualités exceptionnelles et sa puissance hors du commun. Cependant, remarque le cardinal Journet, « ils ont vu le miracle de Jésus. Mais ils n’ont pas songé au mystère de Jésus. Ils ont ignoré la source de son rayonnement extraordinaire. » Enfin, les derniers « ont cru au mystère du Verbe fait chair », tel saint Thomas s’exclamant : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28).
Et l’Église ? Le premier regard posé sur celle-ci est celui de l’historien, du sociologue, du statisticien, du spécialiste des religions. Elle apparaît alors comme une société religieuse parmi d’autres et qu’il s’agit seulement de décrire. Un deuxième regard perçoit pour sa part une certaine grandeur dans l’institution ecclésiale en raison de sa durée dans le temps et d’une partie de ses œuvres. Le troisième regard découle, lui, de la foi. Citons encore l’éminent théologien : « L’Église apparaît alors dans son mystère, dans sa réalité profonde, comme le corps du Christ, habité par l’Esprit Saint, qui la dirige et demeure en elle comme son Hôte. » Comment ne pas penser ici, comme dans un résumé, à la belle sentence de Bossuet : « L’Église, c’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ répandu et communiqué » ?
« Et pour vous qui suis-je ? »
On me pardonnera, j’espère, d’abuser de citations. Mais traitant ici de l’Église en ces temps de crise, je pense au beau titre d’un livre de Gustave Thibon : Notre regard qui manque à la lumière. Dans sa profonde introduction, celui-ci écrivait cette vérité qu’il convient de méditer : « Ce n’est pas la lumière qui manque à notre regard, c’est notre regard qui manque à la lumière. » Et, en premier et avant tout, à la lumière de la foi.
Si nous nous interrogeons sur l’épreuve que traverse l’Église, et dont il ne s’agit pas ici de nier ce qui est réel, impossible de ne pas répondre à la question du Christ à saint Pierre : « Et pour vous qui suis-je ? » (Mc 8, 27-30).
Dans notre regard sur l’Église, notre foi envers le Christ est engagée.
Sans nier l’appareil humain et les fautes des hommes, les manœuvres et l’imprégnation de l’idéologie, si nous répondons à l’instar de saint Pierre : « Vous êtes le Christ », alors notre regard sur l’Église ne peut se limiter à une vision purement extérieure.
Le disciple n’est pas au-dessus du maître et l’œuvre de rédemption du Christ justement est passée par le tamis des insultes, de la persécution, de la Passion et de la Croix. « Être heureux d’avoir à souffrir pour rendre un beau témoignage à l’Église trahie de toute part, écrivait ainsi le Père Calmel, c’est veiller avec elle dans son agonie ou veiller avec Jésus qui continue dans son Épouse affligée et trahie son agonie du Jardin des Oliviers. »
Et si cette souffrance est suscitée par les hommes d’Église eux-mêmes, nous continuerons jusqu’au bout à lui faire cette demande par laquelle débute le rite traditionnel du baptême :
« Que demandez-vous à l’Église de Dieu ?
– La foi.
– Que procure la foi ?
– La vie éternelle ». u