Nous venons de fêter l’événement le plus considérable de l’histoire du monde. Un événement qui s’est produit une fois, mais qui retentit depuis sans cesse et qui ne peut, qui ne doit pas nous laisser indifférents.
Pour nous qui sommes chrétiens, Pâques risque pourtant et paradoxalement d’être devenu un rendez-vous trop habituel, une étape (presque) parmi d’autres, dans le calendrier de notre année et dans le cours de notre existence. Pire : Pâques risque d’être réduit (seulement) à la réunion de famille, aux bons plats partagés, aux chocolats offerts. Nous risquons tout simplement de passer cette fête, la plus décisive de l’histoire du monde, au tamis de notre médiocrité. Dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes, Bernanos constatait déjà que « le grand malheur de ce monde, la grande pitié de ce monde, ce n’est pas qu’il y ait des impies, mais que nous soyons des chrétiens si médiocres ».
On me rétorquera que c’est justement faire un triste sort à Pâques et à la joie qui en découle que de revenir une fois de plus sur cette médiocrité du chrétien alors que l’événement que nous venons de célébrer doit conduire à la joie et aux incarnations les plus concrètes de celle-ci. On me rétorquera, non sans raison, que Bernanos pouvait bien se plaindre de la médiocrité des chrétiens mais qu’il vivait encore au sein des restes d’une chrétienté et, qu’en France comme au Brésil d’où il écrivait son livre fameux, ils étaient encore majoritaires. Or, pour notre part, nous sommes devenus une minorité et à défaut d’être soutenus dans notre vie chrétienne par des structures sociales, nous tentons de vivre en chrétiens dans un monde qui ne l’est résolument plus.
L’angoisse pour la patrie
Comment n’être pas conscient de cet état de fait ? Et, pourtant, comment ne pas s’interroger également devant l’espèce de fièvre qui s’est emparée de certains d’entre nous à l’heure de l’élection présidentielle, comme si Pâques passait au second plan.
Comment ne pas constater, en effet, qu’une fois encore, les candidats ont été investis d’une espérance quasi religieuse, qu’ils en sont presque devenus, y compris pour nous chrétiens, des messies d’urgence, des sauveurs de remplacement, des thaumaturges dont les dons exceptionnels découleraient de l’onction démocratique.
Que l’on ne se trompe pas sur mon propos. Il ne s’agit pas ici de nier l’importance de la politique dans la vie des hommes, ni celle de cet amour de prédilection que nous devons avoir pour notre patrie terrestre. Je crois sincèrement que nous ne pouvons pas être soupçonnés à L’Homme Nouveau de nous désintéresser de l’avenir de notre pays et de ne pas croire à l’importance du politique.
Ce journal a été fondé pour rappeler, à temps et à contre-temps (et ce fut dès le début toujours à contre-temps, contre le temps du monde), que même les sociétés humaines ne peuvent être sauvées sans le Christ. À travers les différentes époques de son histoire, L’Homme Nouveau a toujours porté ce message, avec des accentuations différentes selon les équipes qui se sont succédé, mais en allant toujours dans la même direction.
Nous continuons aujourd’hui, non seulement à analyser notre vie sociale et politique à l’aune de la doctrine sociale de l’Église, mais aussi à publier ouvrages et lettre d’information sur le sujet. La politique n’est pas chez nous un « marronnier » qui revient seulement au moment des élections, mais une question essentielle qui ne découle pas de l’actualité électorale mais de la nature même de l’homme. Saint Thomas derrière Aristote, et derrière en fait toute la conception classique, vérifiée à travers le temps et l’expérience, rappelle que l’homme est naturaliter un animal politique. C’est ce qui fonde notre attention première à la question politique.
Retour à Bernanos
Pour autant, nous ne voulons pas que Pâques passe au second plan. L’avenir de notre pays est important, décisif même. C’est entendu. Mais cet avenir même perd son véritable sens si nous, chrétiens, nous nous laissons emporter par la fièvre électorale. J’en reviens donc à Bernanos. Dans une de ses conférences, prononcée en 1946 devant une auguste assemblée et portant sur l’esprit européen (1), le célèbre écrivain mettait en garde contre la singularité du monde des machines, thème qu’il développera dans La France contre les robots. En terminant, il en appelait aux « hommes libres », répétant plusieurs fois : « Le monde ne sera sauvé que par des hommes libres. »
La source de cette liberté, qui passe aujourd’hui plus que jamais par le refus du consensus et du conformisme idéologique, se trouve au cœur du mystère de la Croix et de Pâques. Pour l’avenir même de notre pays, le plus urgent consiste dans l’émergence d’une génération d’hommes vraiment libres. Libres du conformisme social, médiatique, politique, culturel et religieux. Saint temps pascal à tous.
1. Cette conférence vient d’être rééditée : L’Esprit européen contre le nouveau monde totalitaire, Georges Bernanos, Arcadès Ambo, 64 p., 11 €.