Benoît XVI : Son secrétaire rompt le silence du « Monastère »

Publié le 01 Avr 2023
Benoît XVI

Rien d’autre que la vérité, l’ouvrage de Mgr Gänswein, déjà paru en italien, et que nous avons lu dans cette version, sera publié en France en avril. Le secrétaire de Benoît XVI y raconte au jour le jour son pontificat, puis sa retraite à partir de 2013. Au-delà des remous et des polémiques qu’il a suscités, l’ouvrage a le mérite de présenter la face interne du règne et de la renonciation du pape allemand.

 

Lorsque Mgr Georg Gänswein devient en février 2003 le secrétaire particulier du préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, le cardinal lui explique qu’il attend de Jean-Paul II la lettre d’acceptation de sa demande de démission, ayant atteint l’âge de 75 ans. Il espère à l’époque se retirer afin de pouvoir se consacrer à ses travaux théologiques. Mais à ce moment-là, sans le savoir, le jeune prêtre accepte une mission qui, comme il l’écrit, « a radicalement changé le cours de [sa] vie à l’époque, mais encore plus par la suite ».

Mgr Gänswein suivra jusqu’à son dernier souffle le cardinal devenu pape, même après sa renonciation. Dans un ouvrage publié le 12 janvier dernier en Italie, et à paraître en France le 5 avril prochain, le compagnon de route du Saint-Père défunt propose sa version d’un parcours pontifical rythmé par les polémiques, les rumeurs et les incompréhensions. Intitulé Rien d’autre que la vérité, il souhaite rétablir les faits. Les quelques trois cents pages sont rédigées avec l’aide de Saverio Gaeta, rédacteur en chef du magazine Famiglia Christiana, déjà habitué à ce type d’exercice. En 2003, une autobiographie de Jean-Paul II avait déjà été publiée sous la direction du journaliste.

Les pages les plus attendues sont évidemment celles de la renonciation et de ces années de retrait dans le monastère Mater Dei. La principale motivation aurait été l’épuisement physique du Pape qui craignait de ne pouvoir assurer les Journées mondiales de la Jeunesse à venir. Dans les faits relatés, on constate que la décision a bien été prise dans la plus grande confidentialité, très peu de personnes ayant été consultées avant février 2013. La surprise aura donc été immense, et source d’une grande incompréhension de la part de son entourage, malgré les avertissements du médecin sur son état de santé. Mgr Gänswein retrace les différentes étapes sur un ton qui nous laisse imaginer la perplexité dans laquelle il se trouvait à ce moment-là, tout en décrivant un Pape relativement serein. Le secrétaire particulier, devenu depuis décembre 2012 préfet de la maison pontificale, se voit alors comme le trait d’union avec le futur pontife. Lorsqu’il se présentera au pape François juste après son élection, il sera chargé de permettre au nouvel élu de s’entretenir au téléphone avec son prédécesseur : « Je veux parler à Benedetto. » Benoît XVI lui répondra alors quelques minutes plus tard : « Je vous promets mon obéissance tout de suite. »

Une obéissance qui semblera être remise en question lors de la publication d’un ouvrage commun avec le cardinal Sarah sur le célibat sacerdotal, en plein synode sur l’Amazonie. Mgr Gänswein revient sur le déroulement de cette publication qui alimentera la thèse d’un pontificat parallèle, les agissements du prélat guinéen étant dépeints sous des traits assez peu flatteurs et le pape émérite étant décrit comme trompé sur la présentation du livre. À l’issue de cette polémique, l’exercice de la charge de Mgr Gänswein au sein de la maison pontificale se verra « réduire de moitié » par le pape François.

L’apaisement est donc interrompu et, dans un court chapitre, il revient sur la publication du motu proprio Traditionis Custodes. Le Pape émérite aurait pris connaissance de cette publication dans L’Osservatore Romano, et non par le pape François comme ce dernier l’a déclaré publiquement. Ce texte abolissait la paix liturgique que Benoît XVI était parvenu à instaurer. Mais aucun fait concret n’est rapporté, si ce n’est un simple haussement de sourcils. Dans un entretien filmé pour le journal allemand Die Tagespost, la veille des obsèques de Benoît XVI, Mgr Gänswein revient d’ailleurs sur cet épisode en détaillant davantage la peine que la publication du motu proprio avait causée au pape émérite.

Ce livre ne se limite donc pas à un simple compte rendu d’un quotidien partagé avec le Pape, mais s’approche davantage d’un plaidoyer face à ceux qui ces dernières décennies ont « trop souvent dénigré par le récit des médias et des détracteurs » le Saint-Père défunt. Premier témoin des principaux événements commentés ces deux dernières décennies, Mgr Gänswein a l’avantage de pouvoir fournir un récit de première main, décrivant « le “monde du Vatican” de l’intérieur ».

L’auteur retrace chronologiquement les différentes étapes depuis vingt ans, tout en revenant longuement sur les années qui précédèrent son arrivée comme secrétaire, particulièrement pour les passages qui décrivent la relation entre Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger. Ce sont les pages qui ont été les moins commentées à la sortie du livre en janvier dernier, alors que l’auteur revient longuement sur la grande confiance entre « le philosophe et le théologien ». Il relate leurs rencontres hebdomadaires, chaque vendredi à 18 heures, pour traiter des travaux en cours, de l’Église en général, tout en conversant parfois sur des sujets plus légers comme par exemple la littérature allemande. Leur union intellectuelle sur la base philosophico-théologique du personnalisme, comme le reconnaît Mgr Gänswein, se distendra sur la question des rencontres œcuméniques d’Assise. Mais les divergences n’ébranleront pas la confiance absolue du pontife, qui indique que tous les documents délicats concernant la doctrine devront toujours être consultés par la Congrégation présidée par le cardinal Ratzinger.

Mgr Gänswein parle ensuite sur de l’élection imminente du cardinal. Ce dernier pressentait déjà l’issue probable du conclave car la rumeur s’amplifiait. Selon le secrétaire, le préfet de la Congrégation aurait alors initié une campagne électorale « à l’envers » où il aurait exposé plus précisément sa pensée dans des interventions publiques, en espérant dissuader ses partisans. Le conclave débute avec les espoirs cachés d’une retraite bien méritée, mais Joseph Ratzinger sera finalement élu le 19 avril 2005.

Puis Mgr Gänswein revient sur les différentes difficultés rencontrées tout au long du pontificat, en commençant par la question de la franc-maçonnerie, dont l’ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi avait rappelé l’incompatibilité avec la foi catholique, face aux imprécisions du droit canonique révisé de 1983. Il en profite pour mentionner que le grand maître du Grand Orient d’Italie semblera soulagé de l’élection du pape François en 2013… Le secrétaire, devenu prélat de Sa Sainteté en avril 2005, détaille aussi le déroulé du « Vatileaks », et se justifie sur une affaire qui avait entaché l’intégrité du personnel romain. Il revient également sur les principaux dossiers doctrinaux, comme le discours de Ratisbonne ou bien les échanges avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, mettant en avant la tristesse d’un Pape qui n’aura pas été compris dans ses démarches.

L’ouvrage a reçu un accueil assez sévère, notamment pour avoir voulu « régler ses comptes » seulement une semaine après l’enterrement de Benoît XVI, à l’heure où le monde entier publiait ses hommages au Saint-Père défunt, imposant une certaine discrétion à ceux qui l’avaient vivement combattu durant son pontificat. Le Die Tagespost rapporte d’ailleurs que Mgr Gänswein aurait tenté en vain de reculer la date de publication. À côté d’une longue liste de protagonistes pris à partie tout au long du livre, on retiendra que le secrétaire particulier du Pape émérite tente de démontrer l’absence totale d’un double pontificat souvent évoqué.

 

Monseigneur Georg Gänswein, Rien d’autre que la vérité, à paraître chez Artège, 352 p., 19,90 e.

 

>> Dossier Benoît XVI

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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