Conférence de Lambeth : business as usual…*

Publié le 22 Juil 2008

« Nous savons tous que nous nous trouvons au cœur d’un des défis les plus graves qu’ait dû affronter la famille anglicane au cours de son histoire ». Voilà ce que reconnaît le Dr Rowan Williams, archevêque de Cantorbéry, métropolitain de la province de Cantorbéry de l’Église d’Angleterre, et « primat de toute l’Angleterre » [1], dans son discours prononcé le dimanche 20 juillet lors de la séance plénière d’ouverture de la Conférence de Lambeth.
Une séance plénière loin d’avoir fait le… plein, car si la Conférence de Lambeth est supposée réunir une fois tous les dix ans et à l’invitation de l’archevêque de Cantorbéry tous les évêques anglicans du monde, tous n’ont pas estimé devoir y déférer cette année. Avec quelque optimisme, le site officiel de la Conférence de Lambeth croyait, avant que ne s’ouvre cette réunion, pouvoir annoncer [2] la présence de plus de 800 évêques : ils ne sont que 650 ; 230 évêques, donc 5 primats sur 38, l’ont boycottée : du jamais vu depuis la première Conférence de Lambeth en 1867 !
Le Dr R. Williams a beau ironiser, sans doute pour détendre l’atmosphère, sur les “unes” de journaux annonçant « la fin de la communion anglicane », il n’en reconnaît pas moins « qu’il est pourtant vrai que des choix devront être faits au cours des semaines que nous passons ensemble ». Des choix qui devront s’exprimer en résolutions. Toutefois, il s’empresse de rassurer ses auditeurs quant à l’aspect contraignant que pourraient revêtir ces résolutions pour chacun des évêques présents : « de résolutions qui ont été votées depuis 1867, vous en découvrirez beaucoup, et sur des sujets vraiment importants, qui n’ont jamais été suivies d’effets »… Il n’y a donc pas lieu pour les évêques anglicans de trop s’inquiéter – et pour nous de trop attendre des « résolutions » de la Conférence de Lambeth en cours. Et pour ceux de ses auditeurs épiscopaux qui seraient encore taraudés par le doute, le Dr R. Williams prend bien soin de préciser les choses : « Notre espoir c’est que nous puissions achever notre Conférence sur une “Réflexion”, et non pas sur un ensemble de résolutions et de décisions, susceptible de vraiment changer la situation et de nous conduire plus avant. C’est un équilibre difficile à réaliser. Nous sommes tous impliqués dans sa réussite ».

Dans ce long discours de plus de 4 000 mots, le Dr R. Williams, avec le talent et la dextérité intellectuelle qu’on lui connaît, se révèle de nouveau être ce qu’il a toujours été : un équilibriste doctrinal . Ce n’est pas pour surprendre chez ce prélat libéral et somme toute emblématique de cette via media de l’anglicanisme qu’on nomme ordinairement le latitudinarisme, une position condamnée, en même temps que son cousin germain l’indifférentisme, par Rome (Syllabus, § 3).
En voici un exemple tiré de ce même discours du Dr R. Williams. « Nous devons avoir l’honnêteté de reconnaître, dit-il, la profondeur de certaines blessures et difficultés que nous traversons. Et nous devons rafraîchir et ranimer notre compréhension de ce que notre Communion doit apporter à tout l’éventail œcuménique de notre vie chrétienne. Nous ne pouvons pas ignorer le fait que ce qui est considéré comme une doctrine et une politique nouvelles quant aux relations homosexuelles – chose qui n’est pas identique à celle de la grande majorité lors de la dernière Conférence de Lambeth –, provoque douleur et perplexité. Nous ne pouvons pas ignorer les pressions causées par de nouvelles structures qui se sont improvisées en réaction à cette douleur et à cette perplexité, pressions aisément constatables sous la forme de modèles irréguliers du ministère qui traversent les frontières historiques ».
Cette citation laisserait, à première lecture, entendre une double réprobation :
– critique de l’Église épiscopalienne des États-Unis qui, malgré la « résolution » de la précédente Conférence de Lambeth en 1998 de ne pas ordonner à l’épiscopat de pasteurs homosexuels, a passé outre en élevant Gene Robinson à l’épiscopat en 2004 ;
– et critique de la réaction d’une partie de la Communion anglicane, notamment en Afrique, outrée par cette extravagance et qui vient de créer une nouvelle structure : la Fellowship of Confessing Anglicans (FOCA).
Mais ce qui est réprouvé, au fond, ce n’est ni l’extravagance des Américains ni le “schisme” des Africains – qui n’en est en vérité que la conséquence et qu’on ne saurait, en bonne logique et en toute justice mettre sur le même pied : c’est l’entorse à la “communion”, à la via media, à ce modus vivendi qui n’est – et ne peut être – que compromis, encore et toujours.
En matière d’art du compromis, et sans vouloir être inutilement offensant, il faut bien admettre que le Dr R. Williams est passé maître en cet art. Une affaire semblable à celle de l’Américain Gene Robinson survint à pareille époque en Angleterre : l’“affaire Jeffrey John”.
Jeffrey John [3], un pasteur anglican, de tendance anglo-catholique, mais à l’homosexualité avouée, fut nommé, le 20 mai 2003, évêque de Reading, et donc évêque suffragant du diocèse d’Oxford. Des protestations s’élevèrent dans l’Église d’Angleterre et dans la Communion anglicane : des prélats menaçant de quitter l’une et l’autre si l’évêque nommé recevait l’ordination épiscopale. C’est cette crainte qui poussa le Dr R. Williams à suggérer à Jeffrey John de renoncer à son siège épiscopal : en échange, il serait nommé doyen de la cathédrale de St. Albans, situation beaucoup plus importante et prestigieuse, du point de vue ecclésiastique et social, que l’évêché de Reading, mais sans incidence sur la hiérarchie épiscopale de l’Église d’Angleterre et sur la « cohérence » de la Communion anglicane. Le Dr Jeffrey John accepta cet incroyable “troc” et, le 19 avril 2004, le Premier ministre Tony Blair signait le décret de nomination. Beaucoup ont considéré qu’il s’agissait là d’un « coup de maître » du Dr Rowan Williams. D’autres expressions peuvent venir à l’esprit pour cet autre exemple du latitudinarisme de l’archevêque de Cantorbéry.

Après avoir lu et relu, la tête dans les mains, le discours du Dr. R. Williams, que conclure sinon qu’il propose, une fois de plus, à ses confrères dans l’épiscopat anglican de “faire comme si”, mais en agrémentant cette attitude ancienne d’un “truc” nouveau qu’il nomme « Alliance anglicane » (Anglican Covenant), « une Alliance qui ne devra pas être entendue comme un moyen d’exclure le réticent ou le rebelle, mais comme l’intensification – pour ceux qui le voudront – des relations qui existent déjà […] car les options qui sont devant nous ne sont ni celle du schisme irréparable ni celle de l’assimilation forcée »

Les Anglo-Saxons ont un très joli dicton et de surcroît fort agréablement balancé dans sa métrique comme dans son euphonie : « You cannot run with the hares and hunt with the hounds », on ne peut à la fois courir avec les lièvres et chasser avec la meute. Autrement dit, on ne peut tenir à la fois deux positions contradictoires pour donner satisfaction aux tenants de l’une comme de l’autre. Sans esprit de polémique, m’est avis que ce dicton s’applique à la perfection à l’anglicanisme en général et au Dr R. Williams tout particulièrement.

* Le train-train habituel…
[1] L’archevêque de York, seconde province ecclésiastique de l’Église d’Angleterre, est qualifié de « primat d’Angleterre ».
[2] Ce nombre n’a pas été modifié sur le site officiel (www.lambethconference.org/lc2008/index.cfm) au jour où je rédige cet article (21 juillet).
[3] Le Dr John a fondé en 1990 le mouvement Affirming Catholicism pour promouvoir le “catholicisme” dans la tradition anglicane, mais a toujours soutenu l’ordination des femmes… N’étant pas à une contradiction près, il nie la doctrine de la peine d’expiation ce qui lui a valu de sévères critiques d’évêques anglicans de la tendance évangélique qui eux tiennent pour la doctrine du purgatoire. D’où l’on peut conclure qu’il faut être de la dernière prudence quant aux catégories où l’on range les anglicans. Le terme générique anglo-catholique peut s’appliquer à des chrétiens qui sont bien davantage protestants que “catholiques”, alors que celui “d’évangélique” peut s’appliquer à des chrétiens très proches de certains dogmes catholiques.
 

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