Notre quinzaine : Que faut-il dire aux hommes ?

Publié le 10 Juin 2016
Notre quinzaine : Que faut-il dire aux hommes ? L'Homme Nouveau

L’angoisse de Saint-Ex

Cette question, Antoine de Saint-Exupéry la posait déjà en 1944 dans sa fameuse « Lettre au général X » (1). Elle s’impose encore à nous au regard du spectacle de notre époque. Oui, que faut-il dire aux hommes pour qu’ils retrouvent un peu de bon sens, reprennent le chemin de leur vocation et soient capables de faire face aux exigences de l’Histoire ?

Toutes les époques ont eu leur crise, leurs défaillances et leurs moments de doute. Rome envahie par les Barbares ; la chrétienté en proie au schisme et à l’hérésie ; les Lumières phagocytant la raison pour l’opposer à la foi ; la Révolution dite française collectionnant les têtes tombées et mettant le feu à l’Europe ; la guerre civile européenne de 1914 et la folie destructrice des totalitarismes déclarés du XXe siècle. Se plaindre et gémir sur la morosité du temps n’est jamais une solution. Se laisser emporter dans une fuite en avant, pas davantage. La question reste donc entière : que faut-il dire aux hommes ?

À cette question, l’Église apporte la réponse et elle ne cesse de la dispenser depuis ses origines. Dans sa partie humaine, elle a pu, elle aussi défaillir. Tous les papes de l’Histoire ne furent pas des saints ; toutes leurs décisions ne furent pas des choix heureux. Les hérésies n’ont pas manqué et la foi s’est souvent refroidie. Et, pourtant, les foyers de sainteté n’ont jamais manqué. Combien de saints de la Réforme catholique sont apparus à l’heure même où l’hérésie protestante menaçait, non seulement l’unité de la chrétienté, mais plus encore l’unité de la foi, elle-même ? Ces sources cachées de sainteté permirent l’éclosion d’un concile et le redressement de la papauté. Au sein même de la déréliction, il ne nous est pas permis de geindre et de nous plaindre. Plus que jamais, nous devons travailler pour demain afin de reconstruire une société dans laquelle les institutions humaines ne soient ni un frein ni un obstacle à la réalisation de notre destinée éternelle.

Notre étrange défaite

Dans L’Étrange défaite, écrit en 1940, l’historien Marc Bloch notait avec justesse : « Vraiment, pour que s’accomplisse, selon le mot de Renan, après une autre défaite, la réforme intellectuelle et morale de ce peuple, la première chose qu’il lui faudra rapprendre sera le vieil axiome de la logique classique : A est A, B est B ; A n’est point B. » (2)

La France de 2016 n’a plus grand-chose à voir avec celle de 1940. Mais nous subissons nous aussi une étrange défaite. Celle de l’intelligence, de la liberté, des familles et des droits de l’âme. À l’heure où j’écris ces lignes (9 juin), Madame Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, a annoncé que le gouvernement allait substituer le régime actuel de déclaration d’ouverture des écoles hors contrat à un nouveau régime d’autorisation administrative préalable. À terme – un terme qui risque d’arriver très vite – il s’agit ni plus ni moins de raréfier ce type d’écoles, en pleine expansion depuis quelques années devant l’échec de l’enseignement dans notre pays. Au contrôle strict de l’ouverture de ces établissements s’ajoute également l’obligation pour eux de se soumettre aux programmes scolaires officiels, à l’heure où ces derniers sont largement remis en cause et où leur échec apparaît de plus en plus patent. C’est la liberté pédagogique qui est ainsi directement menacée et cette liberté pédagogique constitue justement le cœur de la liberté d’enseignement.

La menace du Moloch totalitaire

On dira que cette décision ministérielle ne concerne qu’une minorité de la population. Cet argument était justement avancé en 1981 quand le gouvernement socialiste avait voulu supprimer la liberté d’enseignement, ce qui avait entraîné des millions de personnes dans les rues. Le projet du ministre de l’Éducation nationale vise à un contrôle renforcé et totalitaire des familles et spécialement des enfants dont l’âme, l’intelligence et la sensibilité constituent les proies désignées pour ce gouvernement révolutionnaire.

Ce dernier prétend lutter ainsi contre la radicalisation, histoire de rassurer les bien-pensants. Mais aucune école indépendante catholique n’est un foyer de radicalisation ; aucune n’offre un terreau sur lequel naît le terrorisme. Bien au contraire, elles développent des habitus de comportement qui assoient l’amour du pays, le respect des autorités, le dévouement au bien commun, la connaissance de la langue et de l’Histoire de notre pays tout en permettant à des élèves en difficulté de sortir de l’enfermement de l’échec scolaire.

Une importante liberté est donc aujourd’hui menacée, comme l’a très bien vu le cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux. Comme à l’époque des Inventaires et de l’imposition violente des lois laïques, nous devons nous préparer si besoin à défendre nos écoles et nos enfants, et par là, défendre le bien commun de la nation tout entière.

Que faut-il aux hommes ? Pour Saint-Ex, Simone Weil ou Bernanos, il fallait rendre aux Français une inquiétude spirituelle ; pour Marc Bloch et d’autres, retrouver le chemin du réel. Derrière la défense de la liberté d’enseignement, c’est bien ce qui est en jeu. Une fois de plus, nous sommes confrontés au combat de la vérité contre le Moloch totalitaire.

1. Antoine de Saint-Exupéry, Écrits de guerre, Folio Gallimard, 1982, 528 p., 8,20 €.
2. Marc Bloch, L’Étrange Défaite dans L’Histoire, la Guerre, la Résistance, p. 635, Quarto Gallimard, 2006, 1 176 p., 33 €.

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