Le traitement de l’actualité au jour le jour par les médias ne peut que convaincre de leur parti pris. Dans un essai décapant, Ingrid Riocreux démonte et dénonce toutes ces erreurs, fautes, ces mensonges qui parsèment le monde de l’information.
Information doit-elle rimer avec neutralité ? Dans La Langue des médias Ingrid Riocreux, agrégée de Lettres modernes et docteur de l’Université Paris-Sorbonne, met en garde contre la confusion fréquente entre évènement et information. Car qu’est-ce que cette dernière ? Avant tout un discours sur l’évènement. Or, un discours implique un tri dans les faits, un choix des mots, du ton et des images. Bref, l’information, loin d’être une donnée brute, est une construction. Mieux, elle est une vitre placée entre les faits et nous. Une vitre « pleine de salissures », qui sont autant d’imperfections de surface (les fautes de français) ou d’anomalies fonctionnelles. Le résultat est accablant : si les journalistes se complaisent en « metteurs en scène du réel », leurs mots sont parfois fort éloignés de la réalité factuelle.
Une observation minutieuse
Ingrid Riocreux, dans son ouvrage, n’invente rien et ne théorise guère. Elle se contente d’observer. Elle décortique le discours du Journaliste, avec un J majuscule. Il est l’archétype du soldat médiatique habituel, dont le portrait-robot est dressé avec brio par l’auteur, grâce à « un certain nombre de traits permanents ». Le Journaliste prospère dans la plupart des médias. Vous le connaissez : toujours le même ton, le même timbre de voix. Il puise aux mêmes dépêches, développe les mêmes réflexes pavloviens.
Si le discours du Journaliste est si puissant, c’est qu’il est stéréotypé et participera d’une véritable « fabrique du consentement ». Mille et un exemples peuvent être recensés ; et il faut bien avouer que l’ouvrage d’Ingrid Riocreux est une moisson de sources et de citations journalistiques égaillées d’erreurs, de fautes de langue, de dictions hasardeuses, de ponctuations anarchiques, d’imprécisions factuelles, de tirades manichéennes… Voire de mensonges proférés en direct. On y apprend à se méfier du choix des mots. Dans la bouche du Journaliste, il y a des termes « doux » et d’autres « couperets », s’achevant par les suffixes « phobes » ou « sceptiques », systématiquement employés afin de dénigrer les opinions évoquées. Ainsi, en 2013, lors des débats relatifs à la loi Taubira, les partisans de la proposition de loi se battaient naturellement pour l’égalité et les droits des homosexuels, tandis que les opposants étaient systématiquement suspectés d’homophobie. Si ce procédé n’étonnera guère, le lecteur sera davantage surpris en découvrant des formules hybrides tout à fait déconcertantes : « l’islamisme modéré », par exemple. La formule a fait florès dans les rédactions françaises, après les révolutions arabes de 2011. Il y a là une double manipulation, d’abord dans la distinction islam-islamisme, malaisée à définir, mais surtout dans l’usage de l’adjectif « modéré ». Car si l’islamiste est un extrémiste de l’islam, alors l’islamiste modéré serait… Un extrémiste modéré ! Étrange oxymore, qui n’a cependant pas le charme des clairs-obscurs du Caravage. Autre absurdité récurrente sur les plateaux : l’apparition de « l’islamisme radical ». Qu’est-ce alors qu’un islamiste radical ? Un extrémiste radicalisé ? Autant de questions nées d’expressions hasardeuses.
Complot ou inconscience ?
Mais s’il y a bien là, et dans d’autres exemples livrés par l’auteur, une véritable manipulation du langage, faut-il croire à un complot ? Non, insiste Ingrid Riocreux, qui appelle d’ailleurs à ne pas se jeter à corps perdu dans les cercles dits de « réinformation », dont les velléités de propagande sont parfois équivalentes, voire supérieures à ce qui existe dans la grande presse.
Surtout, les fabricants de l’information ne sont pas toujours conscients de la myopie dont ils souffrent, ni des aberrations sortant de leur bouche. Face aux couacs de la langue des médias, Ingrid Riocreux plaide en faveur de la distance, du recul et de la réflexion. Et livre un conseil de bon aloi : « Ne jamais accepter comme une évidence ou une nécessité ce qui relève d’un choix – donc d’une sélection, consciente ou non ».
Qui a dit que la recherche de la vérité s’accommodait de la paresse ?
Ingrid Riocreux, La Langue des médias, éd. L’Artilleur, 336 p., 20 €.