Cet été, un article sur l’arrivée programmée du « transhumain » m’avait fait un peu spéculer sur ce que l’on nous promet, jambes de carbone à la Pistorius, cœurs et autres organes artificiels en échange standard et, pour sentir, connaître et penser, appareillages informatiques branchés sur notre système cérébral central pour le relier en permanence au Grand Cloud universel central, en remplaçant les sens et leur traitement par la pensée, devenus désormais inutiles. Là-dessus, mon ordinateur tomba en panne. Le diagnostic fut sans appel : « crash » irrécupérable du disque dur ; puis la sauvegarde fut déclarée elle aussi morte. Un quart de siècle de mémoire informatisée volatilisée. Or c’est illusion que de croire qu’elle n’est qu’un auxiliaire : elle se substitue toujours plus à la mémoire humaine.
Je me suis soudain senti plus nu que nu. J’hésitai entre détresse et joie parfaite franciscaine (à vrai dire les choses se sont depuis un peu arrangées). C’est alors que me revint en mémoire, comme incongrue, une phrase de Hamelin vieille de plus d’un siècle : « L’expérience est le substitut indispensable du savoir a priori encore inaccessible ». Pour ce philosophe la vie concrètement vécue, l’expérience et le travail de la pensée qui en part, n’est que du provisoire en attendant de posséder un jour un savoir absolu a priori qui nous libérera de ses limitations et incessantes possibilités d’erreurs. N’est-ce pas la promesse même du « transhumain » où nous conduit le tout-informatique : des cerveaux remodelés par la Machine connectés justement par branchement de leur système central (ou de ce qui en restera) au grand Cloud/Savoir universel ? Une fois de plus les rêves fous d’un penseur pourraient devenir la réalité de la technologie, au prix il est vrai de notre présente humanité.
Mais les malheurs de mon ordinateur m’avaient mis la puce à l’oreille : ces systèmes que l’on nous promet et leurs mémoires seront eux aussi susceptibles de « crashs », et toute la « transhumanité » avec eux. De plus celui ou ce qui sera le maître du « Cloud » le sera des esprits du monde entier comme aucun dictateur n’a jamais osé rêver de l’être.
Pour l’heure, il nous appartient encore d’avancer ou non sur cette voie, à commencer par soi-même. Or, l’homme présent, malgré ses évidentes limites, est non seulement promis par Dieu à une éternité autrement plus bienheureuse que sa caricature du « Cloud » universel, mais même sur terre nos vies sont autrement plus passionnantes que celle de transhumains baignant dans leur bouillon de savoir numérique absolu. À nous de choisir, en comptant sur la miséricorde de Dieu.