Au prix d’une monstruosité juridique et tout en évitant de faire de l’avortement un droit absolu, nos législateurs ont placé cette « liberté » au plus haut dans la hiérarchie des normes. Le risque sera maintenant de voir la « clause de conscience » abrogée et la dénonciation publique de l’avortement interdite. Entretien avec Nicolas Bauer, juriste au Centre européen pour le Droit et la Justice (ECLJ).
Le 8 mars dernier, le sceau de la République a été apposé sur la loi constitutionnelle relative à la liberté de recourir à l’avortement, après plusieurs propositions de loi déposées depuis juin 2022. En quoi consiste l’article finalement adopté ?
Les deux premières propositions de loi prétendaient insérer dans la Constitution un « droit à l’IVG », formulé comme un droit « absolu ». Le Sénat les a rejetées. L’article finalement proposé par le gouvernement et adopté le 4 mars est rédigé ainsi : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG ». Cette « liberté garantie », désormais inscrite dans la Constitution, laisse une grande flexibilité au Conseil constitutionnel. Le gouvernement et les députés de la majorité ont affirmé que leur intention n’était pas de restreindre les libertés de conscience et d’expression, mais ils n’ont pas la charge de l’interprétation de la Constitution. C’est le Conseil constitutionnel qui dans les prochaines années interprétera et appliquera cette « liberté garantie » de l’IVG.
Comment expliquez-vous que cette première version de « droit absolu » n’ait pas été adoptée ?
L’idée d’un droit absolu était aussi extrême qu’absurde. La formulation des propositions de loi plaçait l’IVG au-dessus des autres droits fondamentaux, en en faisant un droit auquel « nul ne peut porter atteinte » et dont « nul ne peut être privé ». Lorsqu’un droit fondamental est absolu, cela signifie qu’il ne peut pas être limité, ni par les droits ou besoins d’autrui ni par l’intérêt général. Les droits absolus sont très peu nombreux et sont en lien direct avec la dignité humaine. Ainsi, il existe un droit absolu de ne pas être soumis à la torture. Si un « droit à l’IVG » absolu avait été intégré à la Constitution, il aurait supprimé toute limite à l’IVG. Par exemple, le maintien d’un délai légal ainsi que la clause de conscience seraient devenus inconstitutionnels. La plupart des droits se limitent entre eux et prennent en compte des…