La pause liturgique : Communion « Unus militum » (Sacré-Cœur)

Publié le 01 Juin 2024
communion alleluia sanctus agnus introït

 

Unus militum lancea latus eius aperuit
et continuo exivit sanguis et aqua.
Un des soldats, avec sa lance, lui ouvrit le côté ; et aussitôt il en jaillit du sang et de l’eau.

(Jean, 19, 34)

 

Commentaire spirituel

Nous sommes sur le Golgotha. Jésus vient d’émettre l’esprit, après un grand cri (Luc, 23, 45) qui ne cessera de résonner à travers tous les siècles. Tout est accompli. Tout semble fini, aux yeux des fidèles qui ont suivi le Maître jusqu’au bout : les femmes, Madeleine, Jeanne, Marie de Cléophas, Suzanne, quelques autres dont le nom n’est pas mentionné (Luc, 23, 48) ; ses amis cachés : Nicodème, Joseph d’Arimathie ; et puis au premier plan, Jean, le disciple bien-aimé, le seul des douze apôtres qui soit resté jusqu’au bout ; et enfin, et surtout Marie, la Mère de Jésus, qui se tenait debout, qui offrait son Fils en même temps que celui-ci faisait de nous tous ses enfants d’adoption.

Le ciel était couvert, terriblement sombre. Un grand silence régnait, ce silence que le canon de la messe reproduit sacramentellement. Qu’allait-il se passer alors que tout semblait fini ? Qu’attendre de plus, et en même temps à quoi bon vivre et pourquoi partir ? C’était l’impasse de l’histoire, ce moment où Dieu lui-même venait d’expirer sur la croix. Un soldat consciencieux qui en a vu d’autres, joue son rôle sans émotion : d’un coup de lance, il casse les jambes des condamnés pour qu’ils meurent plus vite, avant surtout que le grand sabbat ne commence.

Et le voici qui se tient devant Jésus, et qu’il constate qu’il est déjà mort. Le coup de lance est inutile, mais pourquoi donc a-t-il l’idée subite d’enfoncer le fer implacable dans le Cœur du Roi des Juifs ? Par haine du peuple juif ? Par simple cruauté ? De fait, son geste accomplit au même moment, dans le Cœur de Marie, la prophétie de Syméon, trente trois ans auparavant : 

« Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs. » (Luc, 2, 34-35)

Or voici qu’aussitôt, jaillit de ce Cœur ouvert des flots de sang et d’eau. Et l’Évangéliste note le fait de façon solennelle. Il a vu dans ce jaillissement un sens mystique profond, celui que les Pères de l’Église souligneront comme désignant la naissance de l’Église à travers les sacrements du baptême et de l’Eucharistie, celui que révélera le Seigneur lui-même à sainte Faustine, des siècles plus tard, le rattachant au mystère primordial de la Miséricorde divine :

« Ces deux rayons indiquent le Sang et l’Eau : le rayon pâle signifie l’Eau, qui purifie les âmes ; le rayon rouge signifie le Sang, qui est la vie des âmes. Ces deux rayons jaillirent des entrailles de ma Miséricorde, alors que Mon Cœur, agonisant sur la croix, fut ouvert par la lance. Ces rayons protègent les âmes de la colère de Mon Père. Heureux est celui qui vivra dans leur lumière, car la Main du Dieu Juste ne l’atteindra pas. » (Sainte Faustine, Petit Journal, n° 299)

La fête du Sacré-Cœur se devait de mentionner et mettre en musique ce texte si fondamental. Et le choix s’est porté de façon très heureuse sur le chant de communion. Il s’agit en effet d’entrer à ce moment précis dans le Cœur du Christ, pour y vivre de son intimité divine, recevoir son pardon, ouvrir son propre cœur aux grâces qui se déversent du Cœur de Jésus. Le chant de communion nous ouvre le Cœur du Christ, il nous fait entrer dans son secret amour. Ne perdons pas de vue la croix, en allant communier, car l’Eucharistie n’en est pas séparable.

Ne perdons pas de vue non plus la Mère qui se tenait au pied de la croix. C’est là qu’elle est devenue notre Mère, c’est là toujours qu’elle nous conduit à Jésus, et nous apprend à l’aimer, à nous laisser aimer par lui, à redire avec une âme d’enfant : Jésus, j’ai confiance en toi.

 

Pour écouter :

 

Commentaire musical

 

Unus militum Partition Unus militum

Cette toute petite communion de deux lignes à peine est une de celles qu’il est aisé d’apprendre par cœur, en un seul jour de fête, en marchant vers le Seigneur pour aller communier à son Corps. Une seule phrase musicale compose ce chant très simple emprunté au 7e mode, mode enthousiaste mais ici modéré par le côté mystérieux du geste commémoré. Et dom Baron, le maître de chœur de Kergonan, ne manque pas de remarquer et même de souligner l’apparente inadéquation d’une telle mélodie avec si texte profond :

« L’original se trouve au 5 juin pour la fête de Saint Boniface, sur le texte que voici : Celui qui vaincra, je lui donnerai de s’asseoir avec moi sur mon trône. Ce sont des paroles riches de gloire, d’où la forme légère et joyeuse de la mélodie. Encore que l’Église ait lieu d’être toute à la joie à cause des grâces qui se cachent sous la cruelle réalité du Christ immolé, on aimerait que sa joie fut moins extérieure. Peut-être y a-t-il ici quelque chose de trop léger pour un texte si chargé de mystère. » [1]

Le jugement est un peu sévère, et la pratique de cette petite communion révèle, dans sa douceur, une profondeur qui n’apparaît pas à première vue. Ce 7e mode est finalement très rentré, il n’éclate pas du tout. À part les 5 Mi de toute la pièce, il ne sort pas de la quinte Sol-Ré et évolue de façon très calme d’un bout à l’autre.

L’intonation est bien lancée avec l’accent au levé de unus directement sur la dominante Ré. Mais dès la syllabe suivante la mélodie s’incurve doucement, pour remonter, certes, sur l’accent de mílitum, bien soulevé par le podatus Ré-Mi, mais pour s’incliner à nouveau et se poser sur le Si de la cadence. Et ensuite, on a le même schéma sur láncea : un accent au levé et une descente sur la syllabe suivante, sauf que cette fois c’est du Do que l’on est parti et non du Ré. La remontée se fait sur la syllabe finale de láncea, par degrés conjoints, paisiblement.

Puis un petit passage syllabique sur le mot latus redonne du mouvement, et la mélodie monte vers un sommet relatif, cueilli à deux reprises et de la même façon sur l’accent de ejus et sur la première syllabe de apéruit. Mais une fois encore, la mélodie s’incurve pour se poser sur une cadence en Si, sur la finale de apéruit. À aucun moment, donc, ce premier membre s’est envolé, au contraire, on est toujours revenu humblement, doucement, vers le grave.

Le second membre ne changera rien à la facture générale de la pièce : il reproduit même en son début la mélodie du premier membre : un départ sur Ré, un accent Ré-Mi (contínuo). Simplement, la mélodie se maintient davantage à l’aigu par la suite, pour aller culminer sur l’accent du mot sanguis, vie de l’âme. Au moment de l’offertoire, le vin et l’eau signifient la divinité et l’humanité. Ici, le sang est mis en valeur au sommet de la pièce. L’eau est traitée conformément à sa nature, de façon plus humble, mais la belle vocalise qui enveloppe le mot aqua conclue la pièce de façon très noble, avec une certaine ampleur chaleureuse.

 


[1] Dom Baron, L’expression du chant grégorien, Kergonan, 1948, tome 2, page 168-169.

 

>> à lire également : De nouvelles normes pour juger des apparitions

 

Un moine de Triors

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