Depuis 1985 le jour des Rameaux est devenu la journée mondiale de la jeunesse. L’année d’avant, en 1984, en ce même jour, le pape célébrait le jubilé des jeunes lors de l’année sainte de la Rédemption. Le jour avait été choisi en raison de l’évangile lu avant la procession des rameaux et qui parlait de la jubilation des jeunes juifs, lorsque Jésus entra à Jérusalem. C’est cet Évangile que le Pape commente aux jeunes cette année.
Jésus entre donc à Jérusalem. L’Évangile selon saint Luc insiste particulièrement sur cette montée vers la ville sainte. Avant de connaître l’humiliation et la souffrance, Notre Seigneur connaît un triomphe éphémère, qui ne durera pas parce que son royaume n’est pas de ce monde. La liturgie qui nous fait participer à la joie de tout un peuple accueillant son Messie, le Fils de David tant annoncé dans l’Ancien Testament, mêle ainsi la joie et la souffrance. Le drame de la Passion réside dans le fait qu’Israël n’a pas compris que le Messie davidique était aussi le Serviteur souffrant qui donne sa vie non seulement pour lui, peuple choisi, mais encore pour l’humanité entière. Le serviteur n’étant pas au-dessus du maître, le chrétien sera toujours comme Jésus un signe de contradiction : il ne pourra jamais suivre Jésus sans porter sa croix. La croix est la preuve décisive de l’amour. Plus on aime, plus on souffre. Mais pour que notre souffrance soit efficace et rédemptrice, il faut qu’elle soit acceptée en lien avec la Croix du Christ. Sinon, si généreux et courageux que nous soyons, nous abandonnerons le Christ, comme les Apôtres. Pire peut-être, comme Judas nous le trahirons.
L’Évangile commenté par le Pape fait allusion à trois cris qui servent de trame à son homélie Il y a d’abord le cri de joie et d’allégresse de la jeunesse en admiration devant le Rédempteur d’Israël et de tout homme. Aux jeunes s’associent tous ces petits et ces pauvres qu’ils soient purs ou pardonnés. C’est le cri de tous ceux qui ne peuvent offrir à Dieu que leur misère, mais qui exultent de la Miséricorde incarnée. C’est justement leur misère ou leur marginalisation qui peut leur faire crier : « Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ». Ils crient de joie, car dans leur confiance sans borne en la miséricorde, ils retrouvent la joie de l’espérance d’une vie meilleure avec Jésus. En un mot, c’est le cri du publicain que ne peut supporter le pharisien qui lui aussi crie, mais tout autrement. Scandalisé qu’il est et se croyant juste, il crie d’horreur devant le fait que Jésus partage la table des pécheurs. Il crie parce qu’il a perdu la mémoire. Il oublie que lui aussi est pécheur et qu’il a besoin du pardon de Dieu. Il cherche à s’autojustifier par son cri qui ne comprend pas la joie du pécheur pardonné. Et ce cri ira loin. Il ira jusqu’au « Crucifie-le ! » Et la haine a toujours raison d’une foule versatile. Aussi Celui qui est rentré triomphant à Jérusalem mourra cinq jours plus tard sur la Croix, qui en fait sera devenue son vrai char de triomphe. Mais ce cri d’une foule retournée n’est pas un cri spontané, comme l’était le premier. C’est le cri d’une foule manipulée par le prince de ce monde, car au-delà du combat entre Jésus et les pharisiens, se cache un autre combat qui remonte aux origines, lorsque Adam et Ève succombèrent à la « métatentation » des origines : « Vous serez comme des dieux ». La Croix est l’antidote unique à ce cri venimeux, comme le fut autrefois, le serpent d’airain hissé par Moïse dans le désert. Les pierres de ce désert crient aussi en ce jour car les hommes ont tout oublié des bienfaits divins. Une seule n’a pas oublié : Marie.
CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX
ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR
HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS
Place Saint-Pierre
XXXIIIe Journée mondiale de la Jeunesse
Dimanche 25 mars 2018
Jésus entre à Jérusalem. La liturgie nous a invités à intervenir et à participer à la joie ainsi qu’à la fête du peuple qui est capable de crier et de louer son Seigneur ; une joie qui se ternit et laisse un goût amer et douloureux lorsqu’on a fini d’écouter le récit de la Passion. Dans cette célébration semblent s’entrecroiser des histoires de joie et de souffrance, d’erreurs et de succès qui font partie de notre vie quotidienne de disciples, car elles parviennent à mettre à nu des sentiments et des contradictions que nous aussi nous éprouvons souvent aujourd’hui, hommes et femmes de ce temps : capables de beaucoup aimer… mais aussi de haïr – et beaucoup – ; capables de courageux sacrifices, mais aussi capables de savoir ‘‘se laver les mains’’ au moment opportun ; capables de fidélité mais aussi de grands abandons et de grandes trahisons.
Et on voit clairement dans tout le récit évangélique que la joie suscitée par Jésus est, pour certains, un motif de gêne et d’agacement.
Entouré de ses gens, Jésus entre dans la ville, parmi les chants et les cris bruyants. Nous pouvons imaginer que c’est la voix du fils pardonné, celle du lépreux guéri ou le bêlement de la brebis égarée qui, tous ensemble, résonnent fortement lors de cette entrée. C’est le chant du publicain et de l’homme impur ; c’est le cri de celui qui vivait en marge de la ville. C’est le cri des hommes et des femmes qui l’ont suivi parce qu’ils ont fait l’expérience de sa compassion face à leur douleur et à leur misère… C’est le chant et la joie spontanés de tant de personnes marginalisées qui, touchées par Jésus, peuvent crier : “Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !”. Comment ne pas acclamer celui qui leur avait redonné la dignité et l’espérance ? C’est la joie de tant de pécheurs pardonnés qui ont retrouvé confiance et espérance. Et ils crient. Ils se réjouissent. C’est la joie !
Cette joie de l’hosanna se révèle gênante et devient absurde et scandaleuse pour ceux qui se considèrent justes et ‘‘fidèles’’ à la loi et aux préceptes rituels.[1] Joie insupportable pour ceux qui sont restés insensibles à la douleur, à la souffrance et à la misère. Et beaucoup d’entre ceux-ci pensent : ‘‘Regarde, quel peuple mal éduqué !’’. Joie intolérable pour ceux qui ont perdu la mémoire et oublié les nombreuses faveurs reçues. Pour celui qui cherche à se justifier lui-même et à s’installer, comme il est difficile de comprendre la joie et la fête de la miséricorde de Dieu ! Pour ceux qui ne mettent leur confiance qu’en leurs propres forces et qui se sentent supérieurs aux autres[2], comme il est difficile de pouvoir partager cette joie !
Et c’est ainsi que naît le cri de celui dont la voix ne tremble pas pour hurler : ‘‘Crucifie-le !’’ Il ne s’agit pas d’un cri spontané, mais c’est le cri artificiel, construit, fait du mépris, de la calomnie, de faux témoignages suscités. C’est le cri qui naît dans le passage du fait au compte-rendu, qui naît dans le compte-rendu. C’est la voix de celui qui manipule la réalité, crée une version à son avantage et ne se pose aucun problème pour ‘‘coincer” les autres afin de s’en sortir. C’est un [faux] compte-rendu ! C’est le cri de celui qui n’a pas de scrupules à chercher les moyens de se renforcer et à faire taire les voix dissonantes. C’est le cri qui naît de la réalité ‘‘truquée’’ et présentée de telle sorte qu’elle finit par défigurer le visage de Jésus et le transformer en ‘‘malfaiteur’’. C’est la voix de celui qui veut défendre sa propre position en discréditant spécialement celui qui ne peut pas se défendre. C’est le cri, fabriqué par les ‘‘intrigues’’ de l’autosuffisance, de l’orgueil et de l’arrogance, qui proclame sans problèmes : ‘‘Crucifie-le, crucifie-le !’’.
Et on finit ainsi par faire taire la fête du peuple, on détruit l’espérance, on tue les rêves, on supprime la joie ; on finit ainsi par blinder le cœur, on refroidit la charité. C’est le cri du ‘‘sauve-toi toi-même’’ qui veut endormir la solidarité, éteindre les idéaux, rendre le regard insensible… le cri qui veut effacer la compassion, ce ‘‘pâtir avec’’, la compassion, qui est la faiblesse de Dieu.
Face à toutes ces voix qui hurlent, le meilleur antidote, c’est de regarder la croix du Christ et de nous laisser interpeller par son dernier cri. Le Christ est mort en criant son amour pour chacun d’entre nous : pour les jeunes et pour les personnes âgées, pour les saints et les pécheurs, son amour pour ceux de son temps et pour ceux de notre temps. Nous avons été sauvés sur sa croix pour que personne n’éteigne la joie de l’Evangile ; pour que personne, dans la situation où il se trouve, ne reste éloigné du regard miséricordieux du Père. Regarder la croix signifie se laisser interpeller dans nos priorités, nos choix et nos actions. Cela signifie laisser notre sensibilité être interpelée par celui qui passe ou vit un moment difficile. Chers frères et sœurs, que voit notre cœur ? Jésus continue-t-il d’être un motif de joie et de louange dans notre cœur ou bien avons-nous honte de ses priorités pour les pécheurs, les derniers, ceux qui sont oubliés ?
Et vous, chers jeunes, la joie que Jésus suscite en vous est un motif de gêne et également d’agacement pour certains, parce qu’il est difficile de manipuler un jeune joyeux. Il est difficile de manipuler un jeune joyeux !
Mais il y a aujourd’hui la possibilité d’un troisième cri : « Quelques pharisiens qui se trouvaient dans la foule dirent à Jésus : “Maître, réprimande tes disciples”. Mais il prit la parole en disant : “Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront” » (Lc 19, 39-40).
Faire taire les jeunes est une tentation qui a toujours existé. Les mêmes pharisiens s’en prennent à Jésus et lui demandent de les calmer et de les faire taire.
Il y a de nombreuses manières de rendre les jeunes silencieux et invisibles. De nombreuses manières de les anesthésier et de les endormir pour qu’ils ne fassent pas de bruit, pour qu’ils ne s’interrogent pas et ne se remettent pas en question. ‘‘Vous, taisez-vous !’’ Il y a de nombreuses manières de les faire tenir tranquilles pour qu’ils ne s’impliquent pas et que leurs rêves perdent de la hauteur et deviennent des rêvasseries au ras du sol, mesquines, tristes.
En ce Dimanche des Rameaux, célébrant la Journée Mondiale de la Jeunesse, il nous est bon d’entendre la réponse de Jésus aux pharisiens d’hier et de tous les temps, également à ceux d’aujourd’hui : « Si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40).
Chers jeunes, c’est à vous de prendre la décision de crier, c’est à vous de vous décider pour l’Hosanna du dimanche, pour ne pas tomber dans le “crucifie-le !” du vendredi… et cela dépend de vous de ne pas rester silencieux. Si les autres se taisent, si nous, les aînés et les responsables – bien des fois corrompus – restons silencieux, si le monde se tait et perd la joie, je vous le demande : vous, est-ce que vous crierez ?
S’il vous plaît, décidez-vous avant que les pierres ne crient !
[1] Cf. R. Guardini, Il Signore, Brescia-Milano 2005, 344-345.
[2] Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 94.