Ne dites surtout pas à Michel De Jaeghere, le directeur du Figaro Histoire, qu’il vient d’écrire un livre magnifique. Il vous répondra invariablement que vous êtes « gentil ». N’essayez pas non plus de discuter avec lui. Journaliste dans l’âme, curieux de tout, aussi à l’aise dans le monde des idées qu’intéressé par les parcours humains, il vous assaillira de questions. Ne travaillez surtout pas avec lui ! Exigeant avec lui-même, il demandera de vous le meilleur. Et même davantage ! Chaque mot, chaque virgule, chaque phrase sera soupesé, ausculté, étudié afin de parvenir à l’expression la plus juste. Mais qu’il ait seulement un doute et il vous bombardera de questions pour affiner votre prose.
Non, décidément, ne félicitez pas Michel De Jaeghere ! Ne discutez pas, ne travaillez pas avec lui. Contentez-vous de le lire ! Là, dans la solitude de votre cabinet de lecture, vous pourrez enfin vivre un grand instant de bonheur et d’intelligence.
Un Stendhal chrétien
Un Automne romain, le nouveau livre qu’il vient de faire paraître, est certainement l’un des plus personnels de ce scrupuleux qui est au fond un pudique. Il a beau y revendiquer le patronage de Stendhal et jouer avec les mots en proposant un « Journal sans moi », il est certain qu’il y a mis beaucoup de lui-même, même si, à la manière des classiques, il a su se cacher.
Le prétexte de ce livre nous renvoie en 1996 quand la presse s’affole devant l’annonce probable de la mort du pape Jean-Paul II. Comme ses confrères de l’information religieuse, Michel De Jaeghere est envoyé sur place dans l’attente du décès du Souverain Pontife et de l’élection de son successeur. On imagine combien de bruits, d’intrigues et de ragots bruissent alors dans la Ville éternelle. Les journalistes en seront pour leur frais. Le temps de Dieu n’est pas le leur ! Qu’importe ! Notre auteur se déplace dans la Rome antique et chrétienne, allant de rendez-vous en visites, remplissant son Journal de choses vues, de réflexions et de confidences. Mais ce qui frappe d’emblée, c’est la vaste culture qui est la sienne, non comme un vernis ou comme le fruit d’une note de synthèse, mais comme la profonde assimilation de notre héritage dans toute sa richesse. Et si Michel De Jaeghere se révèle comme un Stendhal chrétien, c’est qu’il a su se reconnaître comme un héritier et qu’il est devenu un passeur, c’est-à-dire au sens exact du mot, un homme de tradition.
On le comprendra ici : on ne résume pas un Journal. On le lit, on le dévore, surtout quand il réhabilite si parfaitement ce genre littéraire. Mais on peut au moins en retenir une leçon essentielle. À travers les mots et les phrases, à travers les scènes décrites et les propos rapportés ou les réflexions proposées (sans oublier les clins d’yeux, n’est-ce pas « Sylvie » ?), Michel De Jaeghere nous invite à retrouver le sens de la piété, cette petite vertu annexe de la grande vertu de justice, mais sans laquelle les civilisations meurent. C’est dire que notre temps, caractérisé justement par l’impiété généralisée, avait besoin d’un tel ouvrage.
L’espérance du printemps
Pour nous catholiques, il y a bien d’autres raisons de suivre ce guide. S’il dévoile à nos yeux les richesses des églises et le sens de l’art sacré qui s’y déploie, il nous pousse à prendre ce recul qui nourrit l’intelligence. J’aime ainsi ce passage sur la vanité à laquelle aucun de nous n’échappe, sauf les grands saints : « Il y a un grand nombre de Benoît et de Léon qui semblent avoir été, en leur temps, des personnages considérables. J’avoue que leur souvenir ne me dit rien. Leurs tombeaux devaient assurer leur gloire ; ils nous permettent de mesurer la vanité de leur ambition. Ils témoignent aussi de l’affection que chacun d’entre eux a portée à son prédécesseur, puisque chacun de ces monuments, chacune de ces statues ont été conçus, approuvés, mis en place par le successeur du défunt. Pie VII est noble et grave, le visage marqué par l’épreuve de la captivité. Saint Pie X est boursouflé de colère : merci à Benoît XV ! ». Preuve, une fois de plus, que le vrai temps de l’Église n’est pas celui de l’instantané, de l’affectivité débordante des masses et des santo subito.
Étrange impression, enfin, que de découvrir les jugements des analystes de l’époque, celui de Roberto de Mattei, par exemple, dont les schémas prédictifs semblent écrits pour aujourd’hui ou encore les avis du Père Joseph Vandrisse sur la vocation de la France, Sant’Egidio et Assise, sans omettre bien sûr ceux du cardinal Oddi. Nous sommes aujourd’hui dans l’automne romain. Mais, nous espérons vraiment en son printemps !
Michel De Jaeghere, Un Automne romain, Les Belles Lettres, 400 p., 19€.