Publié dans la lettre Res Novae, à l’issue du Synode sur les jeunes, cet article n’a rien perdu de son actualité dans sa présentation de l’institution synodale et de son utilisation dans le cadre d’une société largement idéologisée à laquelle l’Eglise ne semble pas échapper totalement.
Paul VI créa le Synode des Évêques en 1965, comme un organisme permanent se concrétisant par des assemblées successives convoquées par le pape. Il est le fruit le plus significatif de la collégialité, l’un des thèmes majeurs de Vatican II, fort difficile à strictement définir. Les détracteurs de la collégialité y virent, à l’époque, l’introduction dans la constitution de l’Église d’une sorte de parlementarisme épiscopal venant affaiblir le charisme pétrinien. C’était raisonner selon des schémas doctrinaux trop traditionnels. Paul?VI, instituant le Synode, avait d’ailleurs pris la précaution de le faire de son propre mouvement de Pontife, motu proprio, et de le cantonner à un rôle consultatif.
Une institution nouvelle
En réalité, le Synode venait plus se superposer à la constitution de l’Église qu’il ne la modifiait directement. Il avait cette particularité de ne ressembler en rien aux conciles, synodes et assemblées d’évêques classiques, qui réunissaient tous les évêques de l’univers, ou tous ceux d’un pays, d’une partie du monde, d’une province. Lui, regroupait dans ses assemblées des représentants élus des Conférences nationales, de religieux élus par l’Union des supérieurs généraux, auxquels s’ajoutaient des membres nommés par le pape et les chefs des dicastères de la Curie. Il était donc censé représenter l’épiscopat de l’univers de manière inédite. Ayant donné lieu, à ce jour, à 28 assemblées ordinaires, extraordinaires ou spéciales en 53 ans, soit à plus d’une assemblée chaque deux ans, il a pris toutes les apparences d’un concile permanent, ou plus exactement du Concile tendant à devenir permanent.
Car le Synode n’a rien d’un concile classique, tranchant des points doctrinaux ou réglant des questions disciplinaires – ce qu’il n’aurait au reste pas compétence de faire dans la mesure où il n’est ni un concile général, ni un concile particulier, et qu’en outre il a seulement vocation consultative – mais il se calque sur le caractère atypique qu’a voulu se donner Vatican II en se plaçant volontairement, comme l’on sait, en matière doctrinale, en deçà du registre définitif et, en matière disciplinaire, sur un mode d’aggiornamento. Ce qui n’a pas empêché les conséquences, tant doctrinales que disciplinaires, d’être au moins aussi considérables que celles du concile de Trente. En un sens et pour des fruits tout différents. Le Synode, avec ses assemblées s’achevant par un texte de synthèse, repris ensuite par une exhortation apostolique censée en interpréter les travaux – a perpétué ce mode de gestion conciliaire de l’Église.
Un but : le consensus
À l’image de ce qui se passe dans les sociétés modernes, ses assemblées régulières entrent dans le jeu d’élaboration d’un consensus, lequel, pour l’Église, se superpose à la traditionnelle obéissance de la foi, ciment de la communion au Christ. Selon que la ligne romaine est conservatrice, le consensus est en faveur du célibat sacerdotal (assemblée de 1971), ou selon qu’elle est libérale, il ouvre les sacrements aux époux adultères (assemblées de 2014 et 2015). Le tout obtenu au prix d’interminables travaux faits de déclarations, discussions en groupes linguistiques, votes, modi, pour aboutir à une sorte de motion de synthèse finale présentée au pape pour qu’elle donne lieu de sa part à un texte, dont le titre même souligne qu’il n’est qu’exhortatif, vœu pontifical couronnant des vœux épiscopaux. On reste donc – quand bien même la ligne générale se veut traditionnelle, comme lors de l’assemblée de 1980 sur la famille chrétienne suivie de l’exhortation apostolique Familiaris consortio – dans un registre doctrinal et disciplinaire qui pour le meilleur ou le moins bon jouit d’une autorité simplement incitative. Le tout donnant l’impression d’une Église non plus amarrée sur le roc, mais évoluant tant bien que mal dans les sables mouvants de courants théologiques contraires ou contradictoires.
Ainsi l’institution synodale représente-t-elle à l’état chimiquement pur le processus du post-Concile : si Vatican II, comme événement global, a été une tentative d’adaptation du message de l’Épouse du Christ pour qu’il soit audible aux hommes de ce temps, les assemblées du Synode poursuivent sur cette lancée. Dans ce cadre, les forces conservatrices ont dépensé d’immenses efforts pour contenir cette adaptation (assemblées sur la catéchèse, la vie consacrée, la formation des prêtres, etc.) Elles l’ont fait avec la très grande faiblesse tenant au registre simplement « pastoral » sur lequel le Synode opère : ni l’assemblée, ni l’exhortation du pape qui suit n’engagent la foi. Les forces de mouvement ont au contraire bien plus de facilité à prôner l’« ouverture » qu’elles désirent (les assemblées depuis 2013), mais en délivrant un message déjà largement dépassé, tant pour les chrétiens de progrès que pour la société laïque. De toutes parts et de toutes les manières, on assiste à la dilapidation progressive de la vigueur du dépôt.
Dans ce contexte, la dernière assemblée, non seulement a souvent semblé d’un ennui mortel, mais elle a manifesté, à la manière d’un passage à la limite, l’inadéquation du système synodal à une véritable transmission. À l’intention d’une jeunesse qui a massivement cessé de recevoir une catéchèse et même de croire, de pratiquer, de se conformer à la morale chrétienne, les pasteurs de l’Église se sont contenté de disserter sur le « dialogue intergénérationnel » et de protester de leur « écoute fraternelle ». Il se peut qu’approche le moment pour des pasteurs décidés de renverser la table.