« Alléluia ! Seigneur, exauce ma prière, et que mon cri parvienne jusqu’à toi » (Psaume 101, 2)
Commentaire spirituel
Après une longue série d’alléluias consacrés entièrement à la prière de louange, voici enfin une prière de demande. Elle est tirée du premier verset du psaume 101 (102 selon la tradition hébraïque), premier d’une série de longs psaumes (101 à 109) de thèmes assez divers par ailleurs. Notre psaume 101 est constitué de deux parties : d’abord la plainte inspirée d’un malheureux que la détresse accable ; et ensuite une supplication collective pleine d’espérance et de perspectives universalistes concernant Sion, la ville sainte rebâtie et devenue le centre religieux du monde entier. On pense qu’il a été rédigé durant l’exil et la captivité du peuple juif à Babylone.
Notre alléluia, avec son texte extrêmement bref, s’insère très peu, il faut le reconnaître, dans ce double contexte. Sa portée est très générale : il s’agit d’une simple prière de demande, assez véhémente puisqu’elle parle de cri, mais qui peut s’appliquer à toutes sortes de situations, individuelles ou sociales. On peut dire qu’il s’agit d’une prière essentielle, celle qui établit le contact (c’est cela la prière) entre l’âme et son Dieu ; et d’une prière de qualité puisqu’elle se montre insistante et presque violente dans son expression.
Il est intéressant de remarquer que le motif de la prière n’est pas mentionné. L’alléluia ne nous dit pas ce qui a été demandé. Ce qui peut avoir plusieurs sens :
Soit en effet la prière a été formulée auparavant, et l’alléluia récapitule les différentes demandes, un peu à la manière d’une collecte. Dans le contexte liturgique, ces différentes prières sont exprimées dans les textes de la messe que l’on célèbre. Et puisque la liturgie rejoint la prière personnelle de chaque fidèle, cet alléluia veut assumer en quelque sorte toutes les demandes intimes des membres de l’assemblée, en leur donnant un surcroît d’expression qui lui vient du chant et aussi du choix du texte fait par l’Église et qui transforme ces demandes en cris ardents vers le Seigneur.
Soit la prière est désignée intentionnellement sans précision, de façon à lui donner le maximum d’universalité. Elle se rapporterait alors en général à la vie des âmes, à ce qu’on pourrait appeler la prière de vie. Elle se rapporterait également à la vie des groupes sociaux, du plus petit au plus grand, les rejoignant dans leur existence concrète. Elle engloberait, pourquoi pas, toutes les demandes qui sont montées vers Dieu depuis l’Incarnation et au-delà, toutes celles aussi qui continueront de monter vers lui après l’exécution de cet alléluia. En un mot, elle deviendrait alors purement et simplement la prière de l’Église du Christ. Et ce sens est très profond, car cela veut dire que notre alléluia, comme toute prière de l’Église d’ailleurs, dépasse les limites de son cadre liturgique temporel et spatial pour s’étendre à toutes les époques et épouser par là l’intention universelle du sacrifice du Christ. La liturgie est pour nous un moyen très efficace, quoique invisible, de rejoindre les générations qui nous ont précédés comme celles qui nous succéderont. Elle réalise de manière très profonde l’unité de l’Église-Épouse devant sont unique Époux. Elle se fait pour nous tous mendiante de vie divine, c’est cela sa prière. On comprend dès lors pourquoi on est là devant une prière essentielle, sans objet précis : c’est parce que l’objet de la prière de l’Église est trop grand, trop sublime, trop riche, pour être formulé en quelques mots. On peut remarquer aussi qu’une telle prière est autant un acte d’abandon qu’une prière de demande. Au fond on ne demande qu’une chose : c’est qu’à travers ce chant, les âmes se rapprochent de Dieu, parviennent jusqu’à lui et s’en remettent à lui pour tout le reste. Ce faisant, leur prière est sûre d’être exaucée. Comme on l’a dit plus haut, la prière est avant tout contact avec Dieu, relation d’amour avec le Seigneur. Et on va confier au chant le soin d’enrichir cette relation pour une plus grande qualité, et donc une plus grande efficacité de la prière de l’Église.
Commentaire musical
Le 7e mode choisi par le compositeur se prête naturellement moins bien à la prière instante de demande qu’à la louange. Il colore donc évidemment cette supplication d’une nuance qui, habillant un autre texte, pourrait être qualifiée d’enthousiaste, mais qu’ici on nommerait plutôt ardente ou intense. Car il s’agit bien d’une demande pressante, non d’un élan joyeux de remise entre les mains du Seigneur. Le jubilus de l’alléluia est assez bref et le verset se compose de deux phrases mélodiques bien équilibrées, correspondant exactement aux deux demandes formulées par les deux verbes : exaudiet veniat.
L’intonation n’a rien d’original : elle part du Sol, la tonique du mode, pour aboutir au Ré, sa dominante, en touchant deux fois le Do, note intermédiaire étroitement liée au Ré. L’intonation est assez vive et élancée, notamment grâce à l’intervalle de quarte initial, puis celui de tierce ; et en même temps, elle est très régulière dans sa montée et bien appuyée sur l’accent très ferme du mot alléluia. Ensuite, la mélodie connaît un bref envol jusqu’au Sol supérieur, avant de revenir en quelques notes à l’octave inférieur, au terme d’une formule qui demande un élargissement significatif, élargissement qui fera sentir son effet tout au long de l’incise suivante, assez appuyée et contenue dans des intervalles plus restreints, vers la cadence finale très ferme.
Le verset reprend pour commencer l’élan de l’intonation, sur Domine, avec les mêmes intervalles, donc le même élan et aussi la même régularité. Tout en respectant l’accentuation du mot (accent sur sa première syllabe), on doit faire sentir déjà un crescendo à mesure qu’on le prononce, crescendo qui va s’épanouir sur le verbe qui suit, exaudi. Ce verbe est particulièrement bien mis en valeur au plan mélodique. La montée par degrés conjoints, du Ré jusqu’au La aigu, très appuyée, très ardente, confère à ce verbe qui exprime l’intense supplication une belle expression de vigueur, presque de violence. Cette ardeur, après une déposition douce de la finale de exaudi, se poursuit jusqu’à la fin et aboutit sur une cadence en Ré qui laisserait assez spontanément penser que la suite s’appuiera sur cette cadence pour rebondir et partir à l’aigu. Or c’est un peu le contraire qui se produit. Non seulement l’envolée pressentie n’a pas lieu, mais on redescend d’un degré, sur le Do, et surtout on y reste sur les quatre premières notes de orationem. Effet surprenant de prime abord, mais qui exprime certainement et l’humilité et la persévérance de la prière. On a l’impression que l’âme s’est calmée après son premier cri véhément. En tout cas, on a ici, en cette première phrase, de nombreux ingrédients de la prière : son ardeur amoureuse sur Domine, son insistance véhémente sur exaudi, son humilité nécessaire et sa persévérance sur orationem meam. Il s’agit d’une prière complète, en quatre mots, singulièrement exprimée par le chant.
La deuxième phrase démarre comme la première et comme l’intonation du jubilus. Il y a donc un renchérissement manifeste qui doit se sentir dans l’interprétation. La prière n’est pas terminée, elle reprend son cours, elle se fait même de plus en plus pressante et ramassée sur meusqui reprend des formules mélodiques de exaudi. Enfin, sur ad te veniat, la mélodie du jubilus est reprise, ce qui nous vaut pour la quatrième fois le motif de l’intonation, répétition certainement voulue par le compositeur pour exprimer à la fois la nécessité, pour nous, de répéter maintes fois notre prière, et aussi le bel élan de l’âme qui monte à chaque fois et de façon toujours nouvelle et légère, au moyen de l’intervalle de quarte initial. Cet alléluia est traduit, par son texte et par sa mélodie, la beauté de la prière chrétienne qui ne se lasse pas d’aller vers Dieu.
Vous pouvez écouter l’Alleluia ici :