Le ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn a annoncé le 21 octobre dernier – et ce n’était une surprise pour personne – que la procréation médicalement assistée (PMA) « pour toutes » figurerait dans le projet de loi de bioéthique. « Tous les feux sont au vert », a-t-elle assuré, voulant dire en réalité que les feux de nombreux parlementaires, le sien, celui du Président et de son gouvernement, celui aussi du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), étaient au vert. Cela fait beaucoup de feux, c’est vrai, mais ce ne sont pas tous les feux non plus, n’exagérons rien.
Ces mois de discussions, et ceux qui viendront encore, sur l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux femmes homosexuelles ont braqué les projecteurs sur la question des parents dits d’intention, réduisant finalement le débat à la question de savoir si un enfant peut se passer de père. Oubliées, donc, les questions éthiques liées à la pratique de la PMA en tant que telle, oubliées aussi les enjeux médicaux de cette révolution de la procréation.
Que fait-on face à la stérilité ?
La PMA a été pensée d’abord comme un palliatif des pathologies de la stérilité ou de l’infertilité féminine et/ou masculine. Une intention louable ? Alors qu’aujourd’hui près d’un quart des couples rencontre une impossibilité définitive ou des difficultés à concevoir un enfant, c’est peu de dire que la PMA représente un marché prometteur. Les causes sont claires, et l’on sait désormais que cette baisse dramatique de la fertilité depuis les années 1970 coïncide avec la mise sur le marché de la pilule contraceptive et la diffusion massive de perturbateurs endocriniens dans les aliments et les produits cosmétiques. Nous sommes face à un problème de santé publique qui devrait être une priorité pour un gouvernement si prompt à satisfaire les désirs d’enfants. A-t-on jamais entendu l’actuel ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ou ses prédécesseurs, s’alarmer de cette incapacité croissante à concevoir naturellement ? Les a-t-on entendu s’interroger sur les rouages d’un système qui fait que des couples en attente d’enfant aient recours à la PMA sans qu’aucun diagnostic médical ne soit posé et sans qu’aucun traitement soit envisagé pour guérir l’infertilité plutôt que la contourner ? Jamais, bien sûr.
Il est vrai qu’il faudrait pour cela que la puissance publique accepte de remettre en cause les bienfaits de la pilule et, plus largement, ceux de l’industrie agro-alimentaire et de nos modes de production. En somme, c’est toute une façon de vivre qu’il faudrait revoir pour que cesse ce qui s’apparente à un empoisonnement généralisé. Si Bossuet avait été notre contemporain, est-ce confronté à une telle situation qu’il aurait déclaré que Dieu se rit de ceux qui maudissent les conséquences des causes qu’ils chérissent ? En réalité, il aurait très certainement vu que les commerçants de la procréation chérissent autant les causes que les effets de notre malédiction.
Notre espèce perdue
Notre malédiction, c’est bien sûr cette incapacité croissante à concevoir qui fait peu à peu de nous des dégénérés, au sens strict du terme. Voilà, c’est dit, nous serons bientôt tous dégénérés… Le mot est dur, terrible à nos oreilles mais le dictionnaire – qui s’embarrasse peu de nos émotions – nous explique que dégénérer, c’est précisément perdre les qualités essentielles de son espèce. Car avant même notre capacité à réciter la table de neuf à l’envers, à construire des cathédrales ou à inventer le feu, c’est notre capacité à procréer qui fait à la fois exister et durer l’espèce humaine. Mais plus encore, la génération est la caractéristique première du vivant, dont nous sommes progressivement extraits. Pour le dire autrement, des humains qui ne seraient plus capables de donner la vie sans l’entremise de médecins seraient un peu comme ces semences rendues stériles par les géants de l’industrie agro-semencière pour que les paysans ne puissent pas replanter d’année en année et soient obligés de quémander à Monsanto et consorts leurs semences génétiquement modifiées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le laboratoire pharmaceutique Bayer, vendeur de pilules abortives et contraceptives et grand spécialiste de la dégénérescence humaine, a racheté en juin 2018 le géant Monsanto, vendeur d’OGM et spécialiste de la dégénérescence des végétaux.
Le transhumanisme prétend faire de nous des dieux. Mais à quoi donc ressemblerait un dieu qui ne peut engendrer ? En réalité, les seuls dieux d’un monde sans Dieu seront les ingénieurs de la procréation, à qui nous devrons prodiguer sacrifices et offrandes (entre 50 000 et 150 000 euros – quand même ! – pour une gestation pour autrui [GPA]) pour être encore des hommes.
À moins que… Oui, à moins que, et c’est justement là que se situe notre espérance. Cet « à moins que » qui sait qui, au bout du compte, aura la victoire. Mais, disait Péguy, « demander la victoire sans avoir l’intention de se battre, je trouve cela mal élevé ».