La critique du système économique moderne peut être juste sans pour autant être suffisant. Si la solution chrétienne (de gauche ?) consiste à revenir à Kant, comme Marianne (18 juin 2021) le fait dire au père Gaël Giraud, nous ne sommes certainement pas au bout de nos peines. Quant au « Grand Djihad »…
L’un est directeur de recherche au CNRS et prêtre jésuite. L’autre est économiste, écrivain et musicien sénégalais. Ensemble, ils publient “l’Économie à venir”. (…)
Pour l’essentiel, Gaël Giraud et Felwine Sarr partagent un même constat. Celui d’une époque contaminée par l’économie, devenue une fin en soi alors qu’elle devrait n’être qu’un instrument au service de l’humain. Qu’il s’agisse du rapport au temps, des relations au vivant, de nos propres représentations anthropologiques (à travers la figure de l’ homo œconomicus ), l’économie occupe désormais une position de « toute-puissance ». Et ce, alors que l’économie néoclassique, qui conduit à des politiques aux conséquences dramatiques pour les populations, repose sur des fondements scientifiques discutables. Ainsi du mythe de la « monnaie neutre », présupposé brandi par l’économie néoclassique « en dépit de tout bon sens » pour Gaël Giraud. D’où la nécessité, pour les auteurs, de repenser les fondements et les présupposés de la science économique, de décloisonner les disciplines, de réécrire les manuels d’économie et de s’ouvrir aux idées humanistes issues d’autres cultures. Par-dessus tout, il s’agit pour les auteurs de remettre l’économie à sa place. L’Économie à venir ne saurait se réduire à un ouvrage d’économie critique. La conversation s’engage en effet autour de l’héritage de la « modernité occidentale » et sur la centralité que cette dernière octroie à la raison, désormais unique boussole des gouvernements. La finalité du rapport aux autres, elle, ne serait aujourd’hui plus questionnée : « Nous manquons d’un grand projet », relève Felwine Sarr, regrettant que seuls « un futur technologique ou un posthumanisme » continuent d’enthousiasmer. Les auteurs proposent alors une réflexion plus large sur la crise de sens traversée par l’Occident. Pour remédier aux maux contemporains, ils puisent dans leurs répertoires respectifs. Figure en vue des « chrétiens de gauche », Gaël Giraud invite à renouer avec l’ « hospitalité kantienne », c’est-à-dire avec la discussion entre égaux, ou encore avec le « geste primordial de la communauté chrétienne » contenu dans les Actes des Apôtres, celui de tout mettre en commun. De culture musulmane, Felwine Sarr invite pour sa part à redécouvrir le concept de « grand djihad », cet effort pour lutter contre soi-même. Rien à voir avec la lutte contre les ennemis de l’islam, mais, au contraire, une ouverture à « une capacité beaucoup plus grande de perception » . Afin, pour reprendre le mot de Rainer Rilke, de « devenir un monde ».