Vraiment ? Cette affirmation du porte-parole du gouvernement et de toute une partie du petit monde médiatico-politique en réponse à la défense du secret lié au sacrement de pénitence par Mgr de Moulins-Beaufort a conduit le Figaro (9 octobre 2021) à intérroger le philosophe Rémi Brague à ce sujet.
Que vous inspire cette polémique ?
Rémi BRAGUE. – Elle m’inspire avant tout de la tristesse devant l’ignorance de certaines données de base du sacrement de la réconciliation, qu’on appelait naguère « pénitence » et jadis « confession ». Que le prêtre a le devoir de demander à son pénitent non seulement, pour le futur, de renoncer à ce qu’il fait de mal, mais, pour le passé, de réparer dans la mesure du possible le préjudice commis. Il y a cent façons de le faire : rendre ce qui a été volé, demander pardon, dédommager, etc. Et enfin, se réconcilier avec Dieu entraîne l’exigence de se réconcilier avec la société. C’est pourquoi le confesseur doit demander à son pénitent de se dénoncer aux autorités et, s’il s’agit d’un délit, à plus forte raison d’un crime, et dans le cas concret qui nous préoccupe depuis la publication du rapport Sauvé, un crime abominable, d’accepter d’être jugé, éventuellement condamné et de purger sa peine.
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Rien n’est plus fort que les lois de la République » a répliqué le porte-parole du gouvernement. Cette hiérarchie entre « lois de la République » et « lois religieuses » est-elle pertinente ?
Il est déplorable que l’on ait utilisé l’adjectif « fort » pour qualifier le fait qu’une loi l’emporte sur une autre. J’aurais préféré d’autres adjectifs, « juste », par exemple ou, tout bêtement « bon ». Mais cet emploi révèle une conception du droit qui ne se soucie plus du bien commun, mais fait reposer la législation sur les rapports de force à un moment donné. Feu le sénateur Jean-Pierre Michel, lors d’une séance mémorable au Sénat le 14 février 2013, avait déjà vendu la mèche sur ce point.
Par ailleurs, est-il vraiment sûr que rien, rien du tout, ne soit supérieur aux lois de la République ? Nous avons la chance de vivre — je ne sais pas si cela durera, mais, bon… — dans une société politique assez soft, assez « patte de velours », qui ne montre ses griffes que rarement. Dans certains cas, on peut même regretter qu’elle ne les sorte pas ou se contente de rodomontades ! En tout cas, que deviendrait cette hiérarchie sous un régime totalitaire ? Que dis-je, quels effets a-t-elle déjà produits ? C’est au nom de sa conscience que Franz Jägerstätter a refusé de porter les armes sous Hitler et a été exécuté, comme le raconte le film magnifique de Terrence Malick, Une vie cachée (2019). Et c’est à l’inverse en invoquant cette supériorité des lois de l’État que les accusés du procès de Nuremberg se sont défendus.