Maurice barrès aurait parlé des déracinés. Chercheur au Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po, Luc Rouban évoque dans son dernier livre, les raisons de la défiance (c’est aussi le titre de son ouvrage, paru aux Presses de SciencesPo, 176 p., 15 €) qui habite aujourd’hui une grande partie des Français. Le Figaro (16 janvier 2022) en donne un aperçu.
« Pourquoi les Français restent-ils les champions de la défiance politique?», se demande d’emblée Luc Rouban, chercheur au Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po. Son ouvrage, Les Raisons de la défiance, n’en apporte pas moins une réponse originale et hors des sentiers battus. Alors que la montée des communautarismes et les dangers du séparatisme occupent le devant de la scène, l’auteur pointe un autre risque bien plus grave à ses yeux: l’absence totale, pour pratiquement la moitié de la population française, de tout sentiment d’appartenance à une communauté, qu’elle soit nationale, régionale, linguistique, religieuse, d’origine, ou même de goûts.
Les enquêtes par sondage du Cevipof, dont certaines ont été menées parallèlement en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Italie, font apparaître que 45 % des Français répondent «aucun» quand on leur pose la question du groupe auquel ils se sentent rattachés. «Ce sentiment de n’appartenir à aucune communauté révèle bien plus un isolement social qu’une capacité d’autonomie», souligne Rouban, qui parle d’«anomie» pour qualifier de tels comportements. Le terme créé par Émile Durkheim dans son ouvrage fondateur Le Suicide. Étude de sociologie (1897) désigne le manque de normes sociales régulatrices auxquelles se raccrocher chez une personne. Notons que l’«anomie» et la perte de repères qu’elle dénote ne sauraient se confondre avec l’«anarchie», car celle-ci relève d’une doctrine politique assumée.
La proportion d’«anomiques» n’est par exemple que de 15 % en Italie contre 45 % chez nous, selon les enquêtes du Cevipof. La France, fragile et désunie, est-elle devenue une «République anomique», comme l’affirme Rouban? «Si la République est menacée, elle l’est sans doute plus par cette anomie que par l’intégration de minorités dans des groupes séparatistes», avertit le politologue.