La comédie est un art difficile, car elle suppose pour celui qui la regarde de bien saisir les relations incongrues qu’elle manifeste et, pour celui qui la joue, d’entrer avec précision et sérieux dans l’incongruité elle-même. C’est bien pour cela que paradoxalement bien des pièces censées faire rire manquent totalement leur cible. Et puis il y a rire et rire… Tant de choses qui prêtent à rire ne font pas rire. Le rire est si différent quand il devient ironie ou moquerie. Aussi est-ce un art d’être capable de faire rire des bassesses et des médiocrités humaines avec l’intention de corriger les mœurs par le truchement du rire. Cet art, bien peu le pratique, car le plus souvent le rire est utilisé comme un art de distraire, comme une sorte d’échappatoire de sa propre condition humaine, des lâchetés et des mensonges qu’elle véhicule. Rire des autres pour ne pas pleurer en soi-même. La situation décrite par Feydeau dans Un fil à la patte a quelque chose de tragique. Elle met en scène un homme, Bois d’Enghien qui en bon grand bourgeois doit envisager de se ranger en contractant mariage avec une riche héritière et qui pour que cela puisse advenir doit se débarrasser de son encombrante maîtresse, Lucette Gautier. Situation banale peut-être, mais dans laquelle le spectacle de la veulerie humaine est dépeint avec férocité. Tout l’art de Feydeau est de nous introduire au ridicule de la situation, à l’incongruité des relations entre les personnages, en les rendant très sérieusement risibles. Ce n’est pas un comique léger, assimilable à l’art du vaudeville. Il y a quelque chose de plus, une sorte de regard décalé sur les situations qu’il est difficile d’appréhender dans une mise en scène. Le travail très soigné d’Anthony Magnier et de la Compagnie Viva est intéressant à cet égard. Tout le jeu est ordonné à faire rire et sur ce point la mécanique bien agencée de la machine parfaitement construite par Feydeau et servie par les comédiens fonctionne très bien à une nuance près, qui est son emballement à plusieurs reprises. Trop de rythme tue le rythme ! Le jeu des comiques de situation, des passages à la manière commedia dell’ arte sont drôles, mais ce qui touche le plus et révèle la nature du rire n’est sans doute pas de cet ordre récréatif. Le rire naît de l’apparition progressive de la nudité des personnages, de leur épaisseur ou de leur inconsistance se dévoilant peu à peu dans l’intensité du travail d’incarnation des comédiens à travers leurs rôles respectifs. Les personnages prennent corps au point de laisser apparaître le ridicule de leur situation. Ce rire-là a le mérite d’être vrai.
Théâtre 14, 20, av. Marc Sangnier, Paris XIVe, jusqu’au 31 décembre. Représentations : mardi, vendredi et samedi à 20 h 30 ; mercredi, jeudi à 19 h ; matinée samedi à 16 h. Réservation : 01 45 45 49 77.