Que faire lire à nos enfants et, surtout, comment les faire lire tout simplement ? Anne Bernet propose une nouvelle sélection d’ouvrages à destination des plus jeunes, qui tombe à pic pour la rentrée – il doivent renouer avec leurs bonnes habitudes de lecture ! – mais aussi parce que la période est particulièrement difficile pour les éditeurs.
Il paraît que l’épidémie de COVID 19 a entraîné une augmentation massive de la vente de jeux vidéo. Je le crois volontiers, car, pendant le Confinement, comme il faisait un temps radieux et que les fenêtres étaient ouvertes, tout le voisinage profitait, jaillissant de partout, des sonorisations, en général bruyantes, de ces divertissements, tout comme il profitait du spectacle des amateurs vautrés dans leur fauteuil, orteils en éventail, en train de se déchaîner sur leurs consoles …
Dans le même temps, librairies et bibliothèques étant fermées, et la plupart de nos contemporains possédant peu ou pas de livres, la pratique de la lecture s’effondrait. Le secteur de l’édition est sorti, comme tant d’autres, sinistré de la crise sanitaire. Cela n’aura pas aidé enfants et adolescents, déjà trop souvent peu adeptes de la lecture, à y prendre goût. Si vous désespérez de leur mettre un livre entre les mains, si vous ne savez plus, la littérature dite « pour la jeunesse » étant devenue trop souvent un cloaque de tous les immondices actuels, quoi leur faire lire sans danger, voici, tous parus aux éditions Téqui, une sélection d’ouvrages pour tous les âges garantis dépourvus de toxicité morale et spirituelle. La plupart des éducateurs et éditeurs spécialisés vous diront que les albums suivants s’adressent aux « six ans et plus ». En vérité, pourvu que vous soyez là pour les accompagner, commenter les illustrations, expliquer le texte, ces ouvrages sont accessibles à des enfants de quatre ans, voire moins. Et ils ont bien des mérites.
A Paris, merveilles de foi et d’architecture
À l’origine, s’élève, à la pointe de l’île de la Cité, la cathédrale Saint-Étienne, bâtie par le roi Childebert de Paris, l’un des fils de Clovis. Huit siècle après, le sanctuaire mérovingien ne convient plus aux besoins d’une population parisienne considérablement accrue, ni à la notoriété de la capitale d’une France qui s’impose sur la scène internationale. L’évêque Maurice de Sully convainc Louis VII de bâtir une cathédrale immense, splendide, dans ce nouveau style que l’on ne nomme pas encore gothique et que Suger a inauguré à Saint-Denis. Ainsi commence l’histoire d’un sanctuaire désormais étroitement mêlé au destin national. Rééditée au lendemain de l’incendie, La très belle histoire de Notre-Dame de Paris de Catherine de Lasa ( 32 p. 13 €.), évoque brièvement les grandes heures de la cathédrale et ses particularités architecturales. Plusieurs illustrateurs ont collaboré à l’album, ce qui lui donne un côté disparate, ou une fantaisie bienvenue. Affaire de goût !
En novembre 1870, alors que la France est envahie, Paris assiégé, la république proclamée, et que les troupes italiennes, profitant de la défaite française, sont entrées dans Rome, à Poitiers, deux jeunes catholiques, Alexandre Legentil et Hubert Rohault de Fleury, parisiens, beaux-frères et amis, se souviennent d’une des dernières demandes exprimées par le Christ à Marguerite-Marie : « Le Père éternel veut un édifice où serait le tableau du Cœur de son divin Fils ». Pour sauver Rome et la France, n’est-il pas temps d’exaucer cette demande et de bâtir dans Paris, si la capitale échappe à la destruction, un sanctuaire dédié au Sacré Cœur ? Ainsi naît, de l’enthousiasme de ces deux hommes et de leur obstination, le Vœu national, émis bien avant la Commune, avec l’écrasement de laquelle il n’a rien à voir, qui aboutira, en 1875, à la pose de la première pierre de la future basilique sur la colline de Montmartre. Sanctuaire national, élevé pour ramener les Français vers le Christ et son amour, obtenir de Dieu le secours dans les grands périls qui pressent la France, le Sacré Cœur de Montmartre est un lieu de prière, d’expiation et de réparation perpétuelles. À l’occasion du centenaire de sa consécration, Véronique Duchâteau propose La très belle histoire du Sacré Cœur de Montmartre, texte précis, documenté, intelligent, tout en restant à la portée des petits. Maguelonne du Fou joue habilement des couleurs vives, et des dessins naïfs, caricaturaux parfois.
Voici une bonne façon d’initier les petits à l’histoire.
De belles vies qui font de belles histoires
Celle de la sainteté n’a pas moins d’importance, tant s’en faut. Des parents de Notre Dame, les évangiles ne disent rien, il faut attendre les apocryphes pour qu’un nom et un visage leur soient donnés. Or, si ces textes regorgent de détails bizarres qui les décrédibilisent, les pages concernant Anne et Joachim restent sobres, parce qu’elles s’appuient sur une tradition solide, assez pour s’imposer dans l’Église. Francine Bay offre, illustré à ravir par les sœurs de l’abbaye de Rieunette, un Sainte Anne, mère de la Vierge Marie, qui évoque la naissance miraculeuse de Notre-Dame chez un couple qui désespérait d’avoir un enfant, l’arrivée des reliques de sainte Anne à Apt, le pèlerinage qui en naquit, l’apparition de « la grand-mère des Bretons » à Yves Nicolazic du village de Keranna près d’Auray. On peut difficilement trouver plus joli album à offrir à des petits.
Odile Haumonté possède un don rare pour transmettre les vérités de la foi et du salut au jeune public. Elle le prouve, une fois encore, avec deux albums, d’abord un Saint François d’Assise, initiation très simple, très joliment racontée, à la vie et la spiritualité du Poverello. À travers quelques scènes clés, elle révèle aux enfants la lumière de l’Ombrie franciscaine, sans rien édulcorer, d’ailleurs, des épreuves de François. C’est charmant, profond, touchant. Emmanuel Beaudesson, dont les illustrations évoquent parfois celles de Joubert, accompagne le texte de belles planches colorées et lumineuses.
Avec Nos saints anges gardiens, Odile Haumonté, alliant habilement un choix de prières, un peu d’angélologie mise à la portée des enfants, nombreuses anecdotes empruntées à la vie des saints, propose aux petits de découvrir la présence à leurs côtés de leur ange gardien et leur apprend à vivre avec lui. Les illustrations très modernes de Gaëlle de Crozé, aux anges ronds, joufflus, souriants et naïfs, déconcerteront les adultes mais les enfants leur trouveront une douceur rassurante.
Véronique Duchâteau s’adresse à un public un peu plus âgé, mais, là encore, la présence et l’aide d’un adulte peuvent rendre ses récits historiques accessibles aux plus jeunes. Pour raconter les apparitions de l’Ange de la Paix et de Notre-Dame aux trois petits bergers de la Cova de Iria, elle a choisi une approche originale : faire parler le cousin de Lucie, mauvais garçon qui s’était enfui de Fatima pour échapper à une vie laborieuse de paysan en emportant les économies familiales et risquait la prison. Il y échappa dans des circonstances miraculeuses, sauvé, dirait-il, par l’apparition de Jacinthe qui, alors qu’il errait, paniqué, en pleins bois, vint le secourir. Les faits sont authentiques. La fillette, ignorante du phénomène mystique de bilocation, dira avoir « prié beaucoup pour le fils de tante Victoria qui était si malheureuse ». A l’évidence, elle fut royalement exaucée.
Partant du récit du cousin repentant, Véronique Duchâteau reconstitue, en collant aux sources, avec un très grand sérieux historique, sans rien cacher du message, ni des sacrifices des enfants, tous les événements, et les enjeux de Fatima. C’est une remarquable initiation aux apparitions portugaises. (À Fatima, un rendez-vous avec le Ciel, 180 p., 13,90 €). Enfermé dans la forteresse de Peniscola où il s’est retranché après avoir refusé d’abdiquer, Pedro de Luna, l’antipape Benoît XIII, déposé par le concile de Constance, termine, en ce début du XVe siècle, ses jours dans la solitude et le remords. Le pire d’entre eux est de n’avoir pas su écouter la voix du seul qui se soit montré son véritable ami, le dominicain Vincent Ferrier.Convaincu que ce frère prêcheur, qu’il ordonna prêtre, était un envoyé de Dieu, Pedro de Luna n’eut de cesse d’utiliser la réputation et les dons de thaumaturge de Vincent à son profit. En l’attirant de son côté, l’amenant à prendre parti contre le pape de Rome, Benoît XIII assura son pouvoir avignonnais mais, quand Vincent, désolé par le schisme, lui conseilla de se retirer avec les honneurs, il le chassa. Cette faute, le vieux pontife ne se la pardonne pas ; dans l’espoir d’obtenir la miséricorde divine, il décide d’écrire l’histoire de ses relations compliquées avec frère Vincent, et, du même coup, la vie et les miracles de celui-ci.
C’est donc sous la forme d’une confession de Benoît XIII que Véronique Duchâteau narre le parcours du dominicain catalan, conseiller et conscience de la papauté, auquel, lors de son procès de canonisation, on attribua 873 miracles répertoriés, plus époustouflants les uns que les autres, et qui, s’arrachant à la cour pontificale et à son rôle ingrat de confesseur du pape, partit, vieillissant, sur les routes, prêcher aux pécheurs la colère divine, la fin du monde et le repentir.
Elle donne ainsi beaucoup de fraîcheur et d’humanité à la figure austère de Vincent Ferrier, en même temps que l’envie d’aller se recueillir devant son tombeau dans la cathédrale de Vannes. (Saint Vincent Ferrier, prédicateur des temps modernes, 190 p., 14,90 €).
A l’aventure !
Quoi de plus excitant, pour des adolescents, que la recherche d’un trésor ? Lorsque Godefroy d’Orvasson et sa cousine Alix découvrent dans le grenier du château familial en Vendée une lettre de Philippe, leur lointain parent, racontant comment, en 1796, après la capture de Charette, il mit en sûreté, en vue de jours meilleurs, les sommes recueillies pour la reprise du soulèvement, ils pensent avoir de quoi occuper leur camp scout l’été suivant : grâce aux indices laissés par Philippe, ils mettront la main sur l’or du général du Roi. Ce qu’ignorent les deux cousins, c’est la haine qui oppose, depuis la Révolution, leur famille à celle de leurs voisins, les Dulac. Malgré toutes les tentatives des Orvasson pour se réconcilier, depuis plus de deux siècles, les Dulac ne perdent aucune occasion de leur nuire. Jaloux de Godefroy, Frédéric Dulac a l’intention de perpétrer la vendetta familiale.
Emmanuelle Marly, sous un très joli titre, Le testament des cœurs fidèles, qui rend bien le propos du livre, sa volonté de transmission et de mémoire, utilise avec habileté le souvenir des guerres de Vendée pour donner un arrière fond historique à une chasse au trésor contemporaine et peindre une équipe de guides courageuses lancées dans une aventure plus périlleuse qu’elles l’imaginaient. Ce n’est pas la saga du Prince Éric, certes, mais un roman scout de bonne facture. On regrettera simplement quelques fâcheuses erreurs de mise en page. Les illustrations d’Emmanuel Beaudesson, qui se pose en continuateur de Joubert, n’auraient pas déparé autrefois la mythique collection Signe de Piste.
Restons en Vendée avec Pauline de Vançay et son roman Royalement vôtre (collection Défi, 190 p., 13,50 €). Au retour de Napoléon de l’île d’Elbe, le marquis de Brétigues, fidèle à Louis XVIII, doit quitter hâtivement Paris avec son épouse et leurs enfants adolescents pour chercher refuge dans leur propriété vendéenne. Tandis que l’Ogre de Corse s’apprête à mettre une nouvelle fois l’Europe à feu et à sang, la grande préoccupation de Mme de Brétigues est de trouver un nouveau maître d’hôtel, afin de recevoir la société locale comme il se doit. Conquise par les bonnes manières et la grâce du jeune Émile, elle l’engage sans s’étonner d’avoir, dans un trou de province, déniché un domestique si parfaitement stylé qu’il ne saurait être celui qu’il prétend. La fraîche Henriette de Brétigues en est la première convaincue car elle n’irait évidemment jamais s’amouracher d’un valet. Hélas, très vite, l’attitude du garçon inquiète le marquis, lancé dans un projet d’attentat contre l’empereur : et si Émile était un espion ? Sa soudaine disparition est-elle la preuve de sa culpabilité ou lui serait-il arrivé malheur ? Mlle de Vançay est très jeune. Cela explique des audaces qu’aucun auteur plus âgé n’oserait, car nous ne sommes plus au XIXe siècle, comme celle consistant à faire du mystérieux Émile le fils caché du duc d’Enghien, de tragique mémoire, donc le dernier des Condé … L’histoire, il faut l’admettre, en sort bien décoiffée mais c’est l’agrément de la chose.
Une étonnante Jeanne des temps modernes
Plus étonnant, encore Opération Jehanne d’Arc ( 260 p., 14,90 €) d’Axel Vachon. La jeune Mihiel n’est pas une adolescente comme les autres. Ses parents, tués dans une mystérieuse attaque des forces infernale peu après sa naissance, ont demandé à Dieu que leur enfant, promise à une grande mission dans les temps eschatologiques tout proches, ait une sagesse presque égale à celle de Salomon et soit protégée contre les assauts démoniaques. Ils ont été exaucés. Placée sous la protection de Notre-Dame et de saint Michel, son patron, Mihiel est prête pour sa première mission : purger le collège catholique Sainte Jeanne d’Arc de Villeurbanne de la racaille qui l’a mis en coupe réglée. Pour ce faire, elle devra aider le nouveau directeur à s’imposer, libérer l’établissement de l’emprise du « Bourguignon », jeune trafiquant de drogue manipulé par certains enseignants aux ordres d’un mystérieux chef de gangue anglais, et faire restaurer la chapelle afin d’y réinstaller le Saint Sacrement, ramener la paix et la concorde dans l’établissement. Une mission que les démons, bien installés dans les lieux, ont la ferme intention d’empêcher …
Il y a quelque chose d’un peu gênant à voir la mission de Jeanne transférée à notre époque pour régler une histoire de racket dans un collège qui n’a plus de catholique que le nom. Mettre Charles VII et le mystère de la royauté française sur le même plan que la crise d’autorité d’un directeur de l’enseignement diocésain, voir la France comparée à un lycée est pour le moins déroutant mais, si les adolescents adhéreront sans doute plus facilement que nous à ce récit.
D’ailleurs, l’essentiel n’est-il pas qu’ils lisent, et apprennent à aimer cela ?