Le 27 novembre, des groupes jihadistes ont entamé une offensive éclaire en Syrie, qui a mené à la prise de la ville d’Alep. Quant à la capitale, Damas, elle est tombée dimanche 8 décembre, provoquant la fuite du chef de l’État Bachar el Assad. Benjamin Blanchard , le directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, a répondu à nos questions.
| Que s’est-il passé en Syrie ?
On appelle cela une révolution ! En quelques jours, l’armée arabe syrienne – l’armée de l’ancien gouvernement – s’est enfui du terrain, les groupes jihadistes ont pris Alep, sans aucun combat, puis sont descendus jusqu’à Hama, puis Homs. Dans le même temps, tout le sud du pays s’est soulevé contre le gouvernement, qui est donc tombé définitivement dans la nuit du 7 au 8 décembre, avec, notamment la fuite de l’ancien président Bachar el Assad vers la Russie.
Personne n’imaginait, surtout après quatorze ans de guerre, que cela irait si vite. Il s’agit donc bien d’une véritable révolution puisque, en quelques jours seulement, ce sont 53 années de dynastie Assad, le père d’abord, puis le fils, qui ont été balayées.
Dans le même temps, il faut également souligner la résurgence de groupes de l’État islamique, dans le désert de Syrie, ainsi que les combats entre groupes islamistes soutenus par la Turquie et kurdes dans le nord-est. À cela, il faut ajouter les bombardements israéliens sur des cibles militaires – et notamment des dépôts d’armes – de l’ancienne armée syrienne, ainsi que l’occupation de nouveaux territoires, depuis le plateau du Golan, au sud-ouest de la Syrie.
| Comment expliquer tout cela ?
Lorsque j’étais en Syrie, au mois d’octobre, j’ai constaté combien le pays était usé, fatigué, par quatorze ans de guerre civile et presque autant de sanctions internationales. Il n’est donc pas étonnant que les Syriens n’aient pas eu la force de combattre les groupes islamistes jihadistes.
Après, il faut noter que les « protecteurs » habituels de la Syrie, c’est-à-dire l’Iran et le Hezbollah, d’une part et la Russie d’autre part sont affaiblis. Les premiers par la guerre au Liban, le second par la guerre en Ukraine. Il n’est donc pas étonnant que les rebelles jihadistes aient profité d’une fenêtre de tir pour déclencher leur offensive, avec le soutien, notamment de la Turquie.
| Justement, ces jihadistes, qui sont-ils ?
Celui qui a pris le pouvoir à Alep et qui est aujourd’hui l’homme fort de la Syrie est Mohammed al-Jolani, dont le vrai nom est Ahmed al-Sharaa. C’est le chef du Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un Syrien qui a connu les beaux quartiers de Damas. Pendant un temps, notamment après s’être battu en Irak, il est devenu un très proche d’ Omar al-Baghdadi, le premier calife de l’organisation État islamique.
Il a ensuite pris son « indépendance », si j’ose dire, pour fonder la branche syrienne d’al-Qaïda en Syrie, connue sous le nom de Front Al-Nostra. En France, nous les connaissons bien, puisque Laurent Fabius avait, à l’époque, estimé que le Front al-Nostra faisait « du bon boulot sur le terrain ! ».
En résumé – si on peut résumer une situation aussi compliquée – HTS est dont le nouveau nom d’al-Qaïda en Syrie, même si ils ont quitté al-Qaïda ! Bref, ce ne sont donc pas franchement des modérés – c’est un euphémisme de le dire. D’ailleurs à l’heure où je vous parle, la tête de Jolani est toujours mise à prix comme terroriste, par les Américains.
Fin 2015, après la libération d’Alep, les jihadistes qui encerclaient la ville ont eu l’autorisation de se retrancher à Idlib, une ville et une province au nord-ouest de la Syrie. Cette « poche d’Idlib » est donc devenu le refuge de tous les jihadistes de la région, qui y ont créé une sorte de petit califat, sous la direction de Jolani, où règne la loi islamique, avec tout ce que cela implique : restrictions vestimentaires, interdictions alimentaires, contraintes sur le mode de vie, et des discriminations systématiques envers les non-musulmans.
Lors de mon dernier voyage en Syrie, j’ai rencontré des personnes ayant vécu autour d’Idlib, qui m’ont expliqué que depuis quelques mois, les jihadistes se montraient davantage conciliants. Prémices d’une normalisation ou stratégie de communication pour montrer que les jihadistes de 2024 ne sont plus les mêmes que ceux de 2015 ? Notons que les émeutes et pillages qui accompagnent toutes les révolutions restent minimes, par rapport à ce qu’on a pu connaître ailleurs, notamment à Alep, ville entièrement tenue par HTS.
| Quelle est la situation des chrétiens, aujourd’hui, en Syrie ?
Pour rappel, avant la guerre, les chrétiens comptaient pour 7 à 8 % des 20 millions de Syriens. Aujourd’hui, leur nombre a été divisé, au moins, par deux. Pour vous donner un exemple très concret, avant la guerre, il y avait 150 000 chrétiens à Alep. Jusqu’à la fin du mois de novembre, on n’en comptait plus que 25 000. Lorsque les jihadistes sont arrivés, il y a dix jours, à Alep, une partie des chrétiens a fui vers le sud. Nous avons ainsi accompagné nos équipes syriennes dans leur fuite vers Damas. Aujourd’hui, chacun est rentré chez soi…
Il faut dire que, mis à part les pénuries des premiers jours, et quelques saccages (notamment des magasins vendant de l’alcool à l’aéroport) l’arrivée des jihadistes n’a pas changé le cour de la vie quotidienne. Par exemples, depuis dix jours, les églises sont ouvertes et les messes sont célébrées.
De même, nous sommes toujours en contact avec nos amis, etc. Ils ont peur, certes, mais, on ne constate ni persécution, ni interdiction. Au contraire, les nouvelles autorités multiplient les annonces de paix, de protection des chrétiens, d’unité de la Syrie et de concorde nationale. Combien de temps cela durera-t-il ? On ne le sait pas, évidemment.
Faut-il être optimiste ? C’est bien difficile de l’être… On se souvient qu’à Mossoul, à Raqqa ou encore en Afghanistan, cela a commencé exactement comme aujourd’hui en Syrie. Nous sommes donc tous très inquiets pour l’avenir de la Syrie et des chrétiens en Syrie.
| SOS Chrétiens d’Orient est-elle toujours en Syrie ?
Bien sûr ! Nous sommes toujours sur le terrain, en lien avec nos partenaires et notamment les différentes Églises avec lesquelles nous travaillons depuis onze ans. Nous avons effectué des donations d’urgence ces derniers jours, afin de soulager le sort des chrétiens syriens et nous entendons bien poursuivre notre action, avec le soutien de nos donateurs, si les nouvelles autorités nous le permettent.
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